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Féru de littérature française et étrangère, ma plume sévit dans diverses colonnes de journaux, de sites internet pour partager ce goût qui m´anime. Que détracteurs ou admirateurs n´hésitent pas à réagir à mes chroniques.

dimanche 28 janvier 2018

Chronique de février 2018.


Paul Gadenne ou la solitude de l´Homme.

François-Régis Bastide  a confié un jour à Daniel Rondeau-qui rapporte ces propos dans son livre d´essais Les fêtes partagées-que Paul Gadenne essayait de survivre pour écrire tous ces romans qui grondaient en lui. Mort le 1er mai 1956, à l´âge de 49 ans, à Cambo –les-Bains (Pyrénées-Atlantiques), Paul Gadenne était un écrivain rare dont les œuvres sont assurément autant de trésors cachés de la littérature française.
Né à Armentières (Nord) le 4 avril 1907, Paul Gadenne en  fut chassé –avec sa famille- par la Grande Guerre et a donc passé une partie de son enfance à Boulogne-sur –Mer avant de s´installer à Paris où il a fait des études a partir de 1918. Il a suivi des classes d´hypokhâgne et khâgne au prestigieux lycée Louis-le-Grand où il a été condisciple de Robert Brasillach, Roger Vailland, Thierry Maulnier ou Maurice Bardèche. Il a décroché une licence ès lettres et le diplôme d´études supérieures à l´Université de Paris avec une thèse consacrée à Marcel Proust. Devenu enseignant, il a dû néanmoins interrompre sa carrière pour des raisons de santé.  En 1933, il a passé de longs mois au sanatorium de Praz-Coutant, près de Sallanches en Haute-Savoie. Ce séjour au sanatorium lui a inspiré son roman Siloé (1941), en partie autobiographique. D´aucuns n´ont pas manqué de rappeler qu´à l´instar d´autres écrivains plutôt secrets, plus ou moins de la même époque, comme Henri Calet (né en 1904, décédé à 52 ans d´une crise cardiaque) ou Jean Reverzy(né ne 1914, mort à 45 ans d´un infarctus du myocarde), la maladie-dans ce cas la tuberculose-a prématurément interrompu chez Gadenne une vie d´écrivain au sommet de son art.
Celui qui était lié à Louis Guilloux.et à Raymond Guérin, qui aimait Kafka, Céline, Drieu La Rochelle et Maître Eckhart, s´est toujours battu-comme nous le rappelle Daniel Rondeau dans l´ouvrage cité plus haut- contre la déveine : «une œuvre construite sur les décombres de sa vie». «Les héros de Gadenne, écrit encore Daniel Rondeau, sont des hommes de la quête. Toujours à l´attente de quelque chose ou de quelqu´un, ils vivent dans une veille perpétuelle marchant dans les rues des grandes villes « où la nuit tombe comme un manteau de suie», ils connaissent «le prix de leur lâcheté»».
Cet écrivain, dont l´œuvre-construite en marge des cercles parisiens ou, on dirait plutôt, parisianistes-est d´une exigence, d´un souci de perfection qui aurait dû le hisser au panthéon des lettres françaises, est néanmoins un nom assez méconnu quoique ses œuvres soient, malgré tout, encore disponibles, certes chez de petits éditeurs comme Le Dilettante ou Finitude, mais aussi chez les grosses écuries comme Gallimard, Le Seuil ou Actes-Sud.
Déjà en 1973, à l´occasion de la parution d´un inédit, le roman Les Hauts-Quartiers, le préfacier, le grand écrivain belge Pierre Mertens, mettait en exergue l´originalité de Paul Gadenne et regrettait que son audience ne fût pas plus large. Pourtant, il rappelait aussi que l´œuvre de Gadenne n´était passée inaperçue ni de son vivant ni au lendemain de sa mort : Albert Béguin, Gaëtan Picon, François-Régis Bastide, on l´a déjà vu, Jean Cayrol, Marcel Arland, Bernard Dort, Pierre de Boisdeffre ou Robert Kanters ont affirmé qu´on tenait en lui un écrivain parmi les plus représentatifs de s génération. Guy de Chambre a, pour sa part, considéré le roman La plage de Scheveningen un des meilleurs de son temps. Un prestigieux dictionnaire de l´époque, Le Dictionnaire des œuvres contemporaines, tenait un autre roman de l´auteur, L´Avenue, pour «un des plus beaux  d´aujourd´hui bien qu´on ne le sache guère». Des critiques anglo-saxons et des professeurs d´universités anglophones se sont même étonnés du manque de rayonnement de l´œuvre de Gadenne dans son propre pays. Le professeur Henri Peyre, de l´Université de Yale, aux États-Unis, retenait Paul Gadenne parmi les dix écrivains français qui marqueraient leur époque et le professeur R.T.Sussex a publié une étude intitulée «The novels of Paul Gadenne» («Les romans de Paul Gadenne») dans Aumla, Journal of the Australian Universities Language and Literature Association, en novembre 1961. 


Toujours est-il que Paul Gadenne a surtout connu un succès d´estime. Son esthétisme-décrié par certains qui ne le conçoivent pas forcément comme une qualité-n´était pas de nature à susciter l´intérêt de lecteurs qui ne voient dans la littérature qu´un simple divertissement. Aussi étrange que cela paraisse, cette perspective était également celle du critique et écrivain Robert Kemp qui –dans Les Nouvelles Littéraires-regrettait justement que Paul Gadenne ne considérât pas le roman comme un «divertissement» D´autres déploraient une certaine difficulté d´accès que recelaient ses œuvres. André Rousseaux lui reprochait-en 1947, dans Le Figaro Littéraire, à propos du roman Le Vent noir- ses «analyses minutieuses» et la gratuité apparente de «quelques innovations techniques».  Enfin, comme nous le rapporte encore Pierre Mertens, François –Régis Bastide, un admirateur de l´œuvre de Gadenne, a relevé ironiquement dans le texte «Paul Gadenne et ses coupables» (La Table Ronde, 1953), à propos de La Plage de Scheveningen, «les biais dont bien des lecteurs de ce livre usaient pour «avouer leur admirative incompréhension de cette œuvre. Les uns souhaitaient plus de clarté, les autres plus de romanesque, celui-ci amorce un essai théologique, un dernier exorcise la poésie (…). Il semble plus simple de reconnaître que la vie de son auteur est celle d´un absent ou d´un prophète».  
Dans La Plage de Scheveningen (1952)-dont le titre est inspiré par le tableau homonyme attribué au peintre hollandais du XVIIème siècle Jacob Van Ruysdael-on évoque la guerre, la collaboration, la trahison, mais on peut y déceler en filigrane, comme dans la plupart des romans de Gadenne, une méditation sur la complexité de l´âme humaine, le jugement et la question du salut. L´intrigue se déroule à Paris en 1944. Le héros, Guillaume Arnoult, recherche, après quatre ans de guerre, les traces d´Irène, la femme aimée. Il la retrouve au moment où il apprend la condamnation à mort d´Hersent, journaliste politique qu´il a connu familièrement pendant ses années de jeunesse. Hersent peut être conçu comme une figure déguisée de Robert Brasillach, intellectuel collaborationniste, condamné à mort et exécuté après la Libération, que Gadenne a fréquenté dans le lycée Louis-le-Grand. Ceci place au centre du roman la question de la solitude de l´homme. Comme on peut lire dans le roman, «L´abandon (…)quelque chose de pire que la mort». Aussi Arnoult se sent-il responsable de son frère, fût-il Caïn, comme l´a si bien vu Emmanuelle Caminade dans son blog L´Or des Livres (septembre 2012) : «Il ne peut abandonner Hersent car ce serait cautionner l´abandon de l´homme par Dieu même. La solitude de l´homme serait alors entière et la vie sur terre une prison sans espoir». Quant à l´amour du héros pour Irène, il ne peut plus être assouvi, car le temps est comme une maladie qui condamne…
Une dizaine d´années avant La plage de Scheveningen, Paul Gadenne a publié son premier roman Siloé (1941). Ce roman, inspiré, on l´a vu, par la maladie de l´auteur, retrace la convalescence d´un jeune homme dans un sanatorium. Il y rencontre la douce Ariane et goûte autrement à la vie entre magie et pureté. Dans le texte –intitulé «Paul Gadenne absent de Paris»- de la préface du roman Les Hauts-Quartiers, Pierre Mertens écrit sur Siloé : «La narration frappe par sa profusion, son caractère incantatoire et cette plénitude qui reflète une des dimensions de l´œuvre, son côté diurne. Le bonheur d´exister se transmue ici en bonheur d´écriture. On n´est pas près d´oublier ces pages où Simon qui marche dans la neige aux côtés d´Ariane, la femme aimée qui lui ravira une avalanche, tombe en arrêt et en extase devant un arbre isolé, trait d´union entre la terre et le ciel et signe d´une réconciliation d´où plus rien de vivant ne s´absente». 
Les Hauts-Quartiers, roman paru dix-sept ans après la mort de l´auteur, est le récit d´un jeune écrivain mystique, Didier, qui rêve d´achever son étude sur l´effacement. Atteint de tuberculose, sa quête spirituelle, de la pauvreté en Christ, prend néanmoins des allures de révolte. On voit alors un homme dépouillé accéder au bord du néant et fixer de façon quasiment transcendantale  le vertige de l´amour. En quatrième de couverture de l´édition de poche, parue en 2013 dans la collection Signatures Points, on peut lire une phrase illustrant on ne peut mieux la condition extrême du jeune écrivain mystique: «Parfois, les jours où la fatigue le submergeait, Didier n´était plus tout à fait sûr de vivre».
L´œuvre de Gadenne est donc d´une cohérence telle que l´on aurait du mal à choisir un seul titre comme étant le plus représentatif du talent de l´écrivain, comme sa quintessence. Outre La plage de Scheveningen, Siloé, ou Les Hauts-Quartiers, on aurait pu mettre tout autant en exergue Le Vent noir (1947), roman racontant la folie d´aimer et l´impossibilité de vivre sa passion ; La Rue profonde(1948), sorte de poème en prose d´une remarquable transparence ; Baleine(1948), courte nouvelle que d´aucuns tiennent pour un des chefs-d´œuvre inconnus de la littérature française ; L´Avenue(1949) où le sculpteur Antoine Bourgoin, blessé pendant l´exode de 1940, trouve asile dans une petite ville et va s´efforcer de modeler une statue pour récupérer sa propre identité ; Enfin, L´invitation chez les Stirl(1955),ballet fantasque de l´amitié et de l´ennui.
L´essayiste Juan Asensio a su traduire on ne peut mieux l´importance de l´œuvre de Paul Gadenne dans un brillant article publié en 2015 sur le blog littéraire Zone Critique : «C´est donc l´humilité et la profonde vérité de l´œuvre de Paul Gadenne qui font qu´elle accompagnera toujours l´homme dans sa quête harassante, parce qu´elle ne le trompe pas et ne tend pas devant ses yeux une toile de foire l´empêchant de fixer l´horreur(…)C´est aussi cette même humilité et cette même vérité  qui font que, jamais, nous ne pourrons reprocher aux romans de Paul Gadenne leur coupable esthétisme, en un mot, leur indifférence à ce qui appartient au règne si fragile de l´homme. C´est la souffrance même du romancier, personnelle avant que d´être écrite, qui a incarné son œuvre dans la chair humble et misérable soumise à la douleur de la maladie, à la séparation, à la mort, à la pourriture mais aussi, dans le même mouvement pascalien qui est le sceau de notre grandeur invisible, mouvement qu´il fut donné au génie de Gadenne d´évoquer sans relâche, à la gloire».     

Bibliographie essentielle de Paul Gadenne :

La Rupture : Carnets, 1937-1940, Rézé, Séquences, 1999.
Siloé, Gallimard, 1941 ; réédition Seuil, 1974, dernière réédition collection Points (poche), 2013.
Le Vent noir, Gallimard, 1947 ; réédition Seuil, 2013.
La Rue profonde, Gallimard, 1948 ; réédition Le Dilettante, 1995.
L´Avenue, Gallimard, 1949.
La Plage de Scheveningen, Gallimard, 1952, réédition collection L´Imaginaire, 1983.
L´Invitation chez les Stirl, Gallimard, 1955, dernière réédition collection L´Imaginaire 1995.
Baleine, 1948, dernière réédition Actes Sud, 2014.
Les Hauts-Quartiers, Seuil, 1973, dernière réédition collection Signatures Points (poche), 2013.

 

    

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