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Féru de littérature française et étrangère, ma plume sévit dans diverses colonnes de journaux, de sites internet pour partager ce goût qui m´anime. Que détracteurs ou admirateurs n´hésitent pas à réagir à mes chroniques.

samedi 29 décembre 2018

Chronique de janvier 2019.


  
Benjamin Fondane, un écrivain devant l´Histoire. 

Quand, à la fin des années-vingt, il eut décidé de quitter la Roumanie pour s´installer à Paris, Benjamin Fondane a avoué qu´il le faisait parce qu´il ne supportait plus de vivre dans une colonie française, il valait donc mieux partir pour «la métropole». À part la boutade, les paroles de cet admirable poète, philosophe, essayiste, dramaturge et réalisateur de cinéma traduisent l´écrasante influence de la culture française auprès de l´élite intellectuelle roumaine, une influence dont on garde des traces encore aujourd´hui –quoique d´une manière moins incisive- et que tout le long du vingtième siècle s´est matérialisée à travers le nombre important d´écrivains d´origine roumaine dont le français fut la langue d´adoption et de création littéraire ou qui, au moins, ont choisi de vivre en France (souvent les deux situations). C´est le cas de Benjamin Fondane qui est donc parti en France et dont la plupart de l´œuvre fut écrite dans la langue de la raison et de l´esprit.
Né Benjamin Wechsler le 14 novembre 1898 à Iasi, en Roumanie, il a plus tard adopté-dès ses juvenilia vers 1913-le nom de plume de Benjamin Fundoianu du toponyme roumain Fundoaia. Après avoir fondé à  Bucarest une troupe théâtrale-Insula (Île, en roumain)- influencée par les conceptions de Jacques Copeau, publié une courte pièce de théâtre et écrit des essais et des articles pour la presse roumaine, il est parti pour Paris en 1923, ajoutant la culture française à ses racines roumaines et hébraïques et francisant son nom, s´appelant désormais Benjamin Fondane.
En France, il a entamé-en français donc-une remarquable carrière d´écrivain avec des ouvrages dans les domaines de la poésie (Le Mal des fantômes), du théâtre (Le Festin de Balthazar, Philoctète, Œdipe, pièce inachevée, et Le Puits de Maule), de l´essai littéraire (par exemple, Baudelaire ou l´expérience du gouffre, Rimbaud le voyou), du cinéma (Écrits pour le cinéma) et de la philosophie (La conscience malheureuse, entre autres titres). À Paris, il a rencontré le poète Tristan Tzara (Roumain lui aussi), fondateur du mouvement Dada dont il s´est senti assez proche dans un premier temps, épousant son esprit subversif. Néanmoins, sa rencontre la plus décisive fut celle de Léon Chestov, une rencontre qui l´a énormément bouleversé. Il a même consacré à ses rendez-vous un livre, Les Rencontres avec Léon Chestov, qui rassemble les notes prises par Fondane pendant leurs conversations et qui ne fut publié que bien après sa mort (une copie en fut pourtant confiée à l´écrivaine et mécène argentine Victoria Ocampo avec qui il a entretenu une correspondance régulière). Son adhésion inconditionnelle à la philosophie existentielle du philosophe russe émigré en France lui a permis de déconstruire la tradition du logos issue d´Athènes. Il a rapidement identifié sa révolte par l´absurde et l´irrésignation (terme qu´il a lui-même créé) à la démarche ironique et irrationaliste de Léon Chestov. Benjamin Fondane était donc, à l´instar du philosophe russe, un de ces auteurs hantés par l´absence de Dieu dans la culture rationaliste moderne marquée par le positivisme. La conscience malheureuse, ouvrage philosophique cité plus haut, publié par Fondane en 1936, est donc un ouvrage majeur de la philosophie existentielle des années trente.
On peut dire que ses incursions dans le cinéma traduisent également son aspiration à une liberté de création d´où l´absurde ne serait pas absent. En 1933, dans  le numéro 4 des Cahiers Jaunes, revue d´art et de littérature publiée par les éditions José Corti, numéro consacré au cinéma, Benjamin Fondane a déclaré : «Si j´étais libre, vraiment libre, je tournerais un film absurde, sur une chose absurde, pour satisfaire à mon goût absurde de liberté».
Sa passion pour le cinéma l´a fait travailler avec Dimitri Kirsanov, en 1933, à Rapt, un film expérimental adapté librement du roman La séparation des races de l´écrivain suisse Charles-Ferdinand Ramuz, et l´a ensuite mené en Argentine, en 1936, où il a tourné Tararira, film malheureusement disparu. Sur le bateau du retour en France, il s´est lié d´amitié avec le philosophe néo –thomiste Jacques Maritain.
Engagé dans l´Armée française en 1940, Benjamin Fondane a connu une fin tragique.  Fait prisonnier, il est plus tard parvenu à s´évader. Malheureusement, il fut arrêté en mars 1944 par la police de Vichy qui n´ignorait pas ses racines juives. Des amis ont pourtant pu obtenir sa libération, mais Benjamin Fondane a décidé de ne pas abandonner sa sœur Line et aussi fut-il envoyé au camp de Drancy, puis déporté au camp d´extermination d´Auschwitz -Birkenau où il serait mort le 2 ou 3 octobre dans une chambre à gaz.
Souvent polémiques, les écrits de Benjamin Fondane, à l´écart de chapelles et doctrines et à rebrousse-poil des courants dominants de son époque, visent au plus juste de la pensée. On peut le constater en lisant les textes réunis et présentés par Monique Jutrin pour les Éditions de l´Éclat, parus récemment sous le titre Devant l´Histoire. Cette édition rassemble des textes de jeunesse écrits en roumain aussi bien que des textes fondamentaux, écrits en français, comme «L´Homme devant l´Histoire ou le bruit et la fureur», publié dans Cahiers du Sud en 1939, «L´Écrivain devant la révolution», discours non prononcé au Congrès International des écrivains de Paris (1935) et autres textes importants.
Dans le tout premier texte, «L´Homme devant l´Histoire ou le bruit de fureur», publié dans le cadre d´une enquête qui essayait de répondre «aux questions angoissées» de l´époque, Benjamin Fondane répond à Jacques Benet, admirateur de Bernanos et de Barrès, qui dans son article «Avec des cartes truquées» défend, à propos de l´expansion nazie en 1938 – annexion de l´Autriche, occupation de la Tchécoslovaquie et persécution contre les juifs lors de la Nuit de Cristal-  que seul un retour au catholicisme de l´âge d´or médiéval pouvait s´opposer à la barbarie. Or, Fondane rejette à la fois les arguments de la charité chrétienne et ceux des auteurs qui tiennent le nazisme pour un irrationalisme que la raison pourrait combattre. À propos de la comparaison que Goebbels, en guise de propagande, a dressée entre l´exécution en 1934 d´Otto Planetta, le nazi autrichien qui avait assassiné le chancelier Engelbert Dolfuss et la mort du Christ sur la croix, Fondane a écrit : «Aussi bête, aussi mesquine que soit la comparaison entre la mort de Planetta et celle du Christ, aussi révoltante qu´elle nous paraisse, et qu´elle soit sa plus fine pointe ne touche pas tant ceux qui l´ont proférée que nous-mêmes, notre propre civilisation, qui l´avons rendue possible…Ici, et sur ce point, tout notre humanisme endosse la responsabilité de n´avoir jamais, franchement, voulu reconnaître que partout où il y a Histoire, elle se suffit à elle-même : nous sommes aux antipodes du religieux. Ceux-là même qui nous proposent le retour au Moyen Âge chrétien (allusion à l´article de Jacques Benet), c´est à Planetta qu´ils nous demandent de retourner et non au Christ ; sinon, ils eussent compris que le Moyen Âge n´était pas moins impuissant devant les maux et les souffrances et les malheurs humains, ni moins désarmé devant l´«immoralité» de l´histoire que le siècle présent. Ce fut une époque où bourreaux et victimes, noblement, acceptèrent leur tâche, les uns condamnant avec les plus pures intentions, les autres mourant avec la plus sublime des résignations. Pourtant, alors même qu´à tout prix il assurait à sa raison la victoire par la violence (une violence qui ne le cède guère à celle de notre époque), ses exercitia spiritualia mettaient le Moyen Âge chrétien devant un Dieu souffrant, misérable, impuissant, mort ignominieusement sur une croix de bois. S´il n´avait pas confondu Dieu et le monde, ce Moyen Âge eût réalisé ce qu´il ne faisait que professer du bout des lèvres, que cette impuissance n´était pas lâcheté, manque de bravoure, ni même manque de ressource, mais héroïsme, et donc impuissance triomphante, plus forte que toutes les puissances du monde et de la raison…». 
Pour Fondane, il existe une barbarie issue de la raison, consubstantielle à l´idéal humaniste. Le coupable serait cet humanisme qui avait trop misé sur l´intelligence et négligé l´homme réel. La barbarie nazie est un miroir déformant qui nous renvoie, grossis, les traits mêmes de notre culture. Quatre siècles d´humanisme n´ont abouti qu´au retour des pires horreurs, mais comme nous le rappelle Monique Jutrin dans ses notes : «sous la forme d´une résistance métaphysique et existentielle issue de la Bible, Fondane aboutit, au-delà de l´Histoire, au domaine de la foi. Lorsque le homme a échoué partout, ce n´est plus à lui de poser des conditions, conclut Fondane. «L´Histoire n´est plus à la mesure de notre raison mais à la mesure de Dieu»».
Parmi les textes écrits en roumain, il y en a un assez éloquent intitulé «Les Juifs en Roumanie», un texte de jeunesse que Fondane aurait écrit à l âge de 15 ans pour réagir à la polémique en France entre le radical-socialiste et l´homme d´État français Georges Clemenceau et l´essayiste, militant monarchiste, anti -dreyfusard et représentant de l´Action Française, Léon de Montesquiou. Georges Clemenceau expose dans un article la situation précaire des Juifs en Roumanie. Il faut rappeler que ce n´est qu´en 1923- donc après l´écriture de ce texte-qu´une nouvelle Constitution a élargi la nationalité roumaine à tous les résidents, indépendamment de leurs origines, langues et religions. Ce n´est donc qu´en 1923 que beaucoup de Juifs ont pu finalement devenir Roumains. Or, en 1913, Léon de Montesquiou, anti –sémite notoire, rétorque dans L´Action Française que les Juifs jouissent de la plus grande liberté et ajoute, reprenant les vieux clichés de l´anti-sémitisme classique : «Ils ont un droit capital selon leur point de vue, le droit qui leur tient le plus à cœur : celui de s´enrichir». En guise de réponse à Léon de Montesquiou, Benjamin Fondane écrit : «M. Montesquiou croit-il que cela puisse être le but d´un peuple ? Que les Juifs ne songent qu´à leur panse ? On a bien vu que, accusés de vivre uniquement pour les biens matériels, les Juifs ont fourni, dans tous les pays, de brillants talents-preuve du manque du bien-fondé de ces accusations. Et même à la Roumanie les Juifs ont offert des journalistes, des poètes, des folkloristes, des philologues, etc». Tout le  texte est d´une remarquable lucidité pour un jeune n´ayant que quinze ans.
Un autre texte important parmi ceux que l´auteur a écrits avant de partir en France est «L´Internationale des intellectuels» de 1921. Cet article est une plaidoirie pour la liberté de l´esprit et l´indépendance de la création artistique. Fondane critique les deux tendances dominantes dans les milieux intellectuels européens, particulièrement chez les français : d´un côté le nationalisme, incarné par Charles Maurras, de l´autre, l´internationalisme militant, représenté par Romain Rolland, Henri Barbusse et Georges Duhamel, adeptes de l´enrôlement de la plume au service de l´activisme social. Pour Fondane, l´activisme social n´est qu´une illusion de liberté. À cette perspective, il oppose l´écriture spéculative, le libre arbitre de Stendhal, de Sainte-Beuve, de Renan, de son propre aveu, la ruée vers le sceptique, l´attitude normale de tout groupe humain ayant l´instinct de conservation : « Et puisque des sceptiques vont surgir de toute façon, ils auront la capacité de contempler. Ce sont eux les spectateurs. Eux les historiens. Il fallait Saint-Simon pour qu´existent les mœurs à la cour de Louis. Il fallait Suétone pour octroyer l´existence aux douze Césars. Nous  attendons leur ironie. Éventuellement leur sourire».
Enfin, dans «L´Écrivain devant la révolution» sur le Congrès International des Écrivains qui s´est tenu à Paris en 1935, Fondane souligne que ce rassemblement n´est autre chose qu´un meeting politique. Pour lui, l´erreur communiste consiste à utiliser la même tactique envers les ouvriers et les écrivains. Or, l´écrivain n´est pas un homme d´action, il s´adresse non au social, mais à l´individu : «Le rôle de la culture n´est pas de sanctionner une somme d´interdictions, ni de canoniser des moyens de contrainte ; ce n´est pas à elle de faire le silence sur le suicide de Maïakovski ; c´est à elle, au contraire, de délimiter dans un événement pareil la frontière du social de la frontière de l´individuel ; c´est à elle de tirer les enseignements nécessaires et d´amener l´événement à sa plus haute expression éthique, métaphysique ou religieuse».
D´autres textes intéressants enrichissent ce recueil dont «À propos de L´Église de Céline»-texte admirable qui passe d´un ton goguenard déconcertant à une clairvoyance qui permet de déceler l´antisémitisme du romancier de Voyage au bout de la nuit, que peu de contemporains, à part Ramon Fernandez, avaient perçu à l´époque-, «Une politique de l´esprit» (sur le Premier Congrès des Écrivains de l´Urss en 1934),« La  « Ligne générale» de Gide», «Léon Chestov, À la recherche du Judaïsme perdu» ou «L´Humanisme Intégral de Jacques Maritain».
Devant L´Histoire permet de découvrir la lucidité, l´esprit critique et la pensée d´un brillant philosophe et d´un intellectuel majeur de la première moitié du vingtième siècle.  

Benjamin Fondane, Devant l´Histoire, textes réunis et présentés par Monique Jutrin(écrits roumains traduits par Carmen Oszi, Aurélien Demars, Marlena Braester, Odile Serre et Hélène Lenz), Éditions de l´Éclat, Paris, septembre 2018.

vendredi 28 décembre 2018

La mort d´Amos Oz.

On vient d´apprendre la mort, aujourd´hui même, d´une des voix les plus réputées de la littérature internationale: l´écrivain israélien Amos Oz.
Né Amos Klausner,le 4 mai 1939 à Jérusalem, il était cofondateur du mouvement «La Paix maintenant»et l´un des partisans les plus fervents de la solution d´un double État au conflit israélo-palestinien.
Romancier et essayiste, il était l´auteur de romans traduits dans le monde entier dont La boîte noire, Un juste repos, Seule la mer, Une histoire d´amour et de ténèbres ou Soudain dans la forêt profonde, publiés chez Gallimard. Son essai Comment guérir un fanatique a suscité les plus vifs éloges de la critique et du grand public.
Son oeuvre a acquis une audience internationale et fut  récompensée par de prestigieux prix comme, entre autres, le Femina étranger (pour La boîte noire), le Prix de la Paix des libraires allemands, le Prince des Asturies, le Kafka, le Goethe de la ville de Francfort ou le Heinrich Heine de la ville de Düsseldorf. En 1984, il a reçu l´Ordre des Arts et des Lettres de France. 

vendredi 21 décembre 2018

Article pour Le Petit Journal Lisbonne.

Vous pouvez lire sur l´édition Lisbonne du Petit Journal ma chronique sur le roman Maîtres et esclaves de l´écrivain français Paul Greveillac, aux éditions Gallimard.  

https://lepetitjournal.com/lisbonne/maitres-et-esclaves-roman-de-paul-greveillac-246749



jeudi 29 novembre 2018

Chronique de décembre 2018.


Alexandre Soljenitsyne: entre tradition et dissidence.

Dix ans après sa mort et au moment où l´on signale le centenaire de sa naissance, il est temps de rappeler l´importance qu´a eue Alexandre Soljenitsyne dans l´histoire de la dissidence dans l´ex-Union Soviétique et dans l´ensemble de l´Europe de l´Est. Si son œuvre est composée de livres tout aussi décisifs que Le Pavillon des cancéreux, Une journée d´Ivan Denissovitch, Le premier Cercle ou La Roue Rouge, ouvrage monumental de six mille pages environ sur les mécanismes de la révolution russe, c´est toujours L´Archipel du Goulag qui nous vient, de prime abord, à l´esprit quand on pense à lui, quoique ce livre ne fût publié qu´après que l´Académie Nobel lui eut décerné en 1970 son prestigieux Prix de Littérature. L´Archipel du Goulag, témoignage terrifiant de la vie dans les camps de travail soviétiques, a bouleversé tous ceux qui ont pu le lire en Europe, aux États-Unis et ailleurs, et qui se sont en ce moment-là avisés de la réelle ampleur de l´ignominie qui sévissait sur les prisonniers, véritables marionnettes dans l´engrenage du socialisme à visage inhumain en vigueur dans l´Urss. Le livre, un des documents capitaux du vingtième siècle, est clandestinement sorti de l´Union Soviétique en 1973 à destination de la librairie des Éditeurs Réunis à Paris. Il fut remis à l´imprimerie Beresniak, toujours à Paris, qui appartenait à la famille maternelle du scénariste de bande dessinée René Goscinny, une des rares imprimeries françaises à disposer de caractères typographiques cyrilliques. L´édition française a fini par être publiée début 1974 chez Le Seuil.
Ce monumental essai d´investigation littéraire –divisé en sept parties-sur l´expérience concentrationnaire soviétique était inspiré par une foule de documents et témoignages rassemblés par l´auteur mais aussi par la vie d´Alexandre Soljenitsyne lui-même qui en 1945 fut condamné à huit ans de détention dans les camps de travail pénitentiaire pour «activité contre-révolutionnaire» par une commission spéciale du NKVD (Commissariat du peuple aux affaires Intérieures), un organisme d´État, équivalent à un ministère, chargé de combattre le crime et de maintenir l´ordre public. Soljenitsyne aurait enfreint l´article 58 du Code Pénal. En fait, il fut arrêté le 9 février 1945 pour avoir échangé avec un ami d´enfance-alors qu´il était en Prusse –Orientale en mission avec le grade de capitaine – des lettres que la censure avait interceptées. Les deux jeunes militaires (l´ami d´enfance était lui aussi officier) dans ces lettres-là affublaient Staline du nom de Caïd puisqu´il aurait trahi la cause de la révolution, aurait décapité l´Armée Rouge lors des purges et aurait été, en somme, un maître de la fourberie et de la cruauté.
Soljenitsyne, né le 11 décembre 1918 (le 28 novembre selon le calendrier julien alors d´usage en Russie) à Kislovodsk, issu d´une famille modeste, a donc grandi après la révolution et a naturellement adhéré au communisme. Ayant rejoint l´Armée pendant la seconde guerre mondiale, il fut un militaire brillant, décoré d´abord de la médaille de la Guerre patriotique de 2ème degré et puis de l´ordre de l´Étoile Rouge après la prise de Rogatchov. À la suite de sa détention en 1945, à l´âge de vingt-six ans, il fut condamné à huit ans de camp, suivis d´une peine de « relégation à perpétuité».
En butte à un régime d´emprisonnement très strict, il s´est mis à écrire ou plutôt à composer de mémoire, sans rien coucher sur le papier. Dans la préface à une version abrégée de L´Archipel du Goulag publiée par les éditons du Seuil en 2014(collection de poche Points), Natalia Soljenitsyne, sa deuxième femme, née en 1939, rappelait la réponse que son mari avait donnée un jour après qu´on l´eut interrogé sur les raisons qui l´avaient poussé à devenir écrivain : «Je suis devenu un écrivain en profondeur lorsque j´étais en prison. Avant la guerre, j´avais écrit quelques essais littéraires ; pendant mes années d´études, j´écrivais déjà avec une certaine persévérance. Mais ce n´était pas un travail sérieux, car je manquais d´expérience de la vie. C´est durant mes années d´emprisonnement que je me suis vraiment mis à travailler en profondeur, comme un conspirateur : je dissimulais le fait même que j´écrivais-ce que je dissimulais plus que tout. Au début, j´apprenais par cœur les vers que je composais dans ma tête, puis j´ai fait la même chose avec la prose.».
Les premières années de sa peine, Soljenitsyne les a accomplies à la charachka, prison à régime spécial où des spécialistes détenus –des savants, des chercheurs, des ingénieurs- mettaient au point des moyens de liaison radio et par téléphone. Cette expérience lui a servi d´inspiration pour le roman Le Premier Cercle. Le titre du roman est une allusion au premier des neuf cercles de l´Enfer dans La Divine Comédie de Dante. Dans ce roman, nous sommes témoins de l´omniprésence de Staline sans que le père des peuples soit pour autant abondamment nommé. Dans son étude «L´image discursive de Staline dans Le premier Cercle d´Alexandre Soljenitsyne», Marie-Odile Thirouin de l´Université Lumière Lyon 2 met l´accent sur cette particularité : «Nul besoin que l´on nous dise qui se trouve là : ce qui permet d´identifier le personnage historique dans le nouveau personnage romanesque présenté, c´est la simple mention de l´effigie «tant de fois reproduite dans la pierre, à l´huile, à l´aquarelle, à la gouache, à la sépia, dessinée au fusain, à la craie, à la brique pilée, recomposée en galets, en coquillages, en carreaux de céramique, en grains de blé ou de soja, taillée dans l´ivoire, modelée dans du gazon, inscrite dans la trame des tapis ou dans le ciel des escadrilles d´avions, gravée sur pellicule cinématographique, plus qu´aucune autre image, jamais, au cours des trois milliards d´années que compte l´écorce terrestre» et celle d´un nom tant de fois cité qu´il n´est pas nécessaire de le nommer à nouveau pour le faire reconnaître. L´image et le nom de Staline valent comme signes purs ou encore absolus : dire qu´il s´agit de l´image la plus souvent reproduite et du nom le plus souvent cité suffit à une identification qui procède non de la connaissance partagée des qualités particulières du référent initial, le constituant en individu singulier, mais du sens de la prolifération de ces signes dans l´espace public qu´ils monopolisent : quantitativement, il ne peut s´agir que de Staline».  Et Marie-Odile Thirouin poursuit son analyse : «Le nom de Staline s´efface de lui-même ou plutôt se passe de réalisation sonore sans pour autant cesser d´exister à l´état latent, implicite : il y a là un paradoxe, touchant au pouvoir du nom, qui invite à s´interroger su le traitement, dans un univers fictif, d´un nom réel qui a su saturer l´espace discursif de son temps au point de hanter, tel un fantôme, jusqu´aux discours qui ne se réfèrent pas à lui explicitement. Soljenitsyne ne laisse aucun doute au lecteur quant à la raison d´une telle entreprise de saturation visuelle et sonore : il s´agit pour Staline de monopoliser les esprits, son nom signifiant à lui seul la Révolution». Achevé en 1957, ce roman a connu nombre de vicissitudes (dont la destruction des deuxième et troisième moutures pour des raisons de sécurité), la version définitive n´ayant été publiée qu´en 1968.               
De 1950 à 1953, Soljenitsyne fut au bagne d´Ekibastouz (au Kazakhstan) où les détenus étaient même privés de leurs noms : un numéro cousu sur le bonnet, la poitrine, le dos et le genou en tenait lieu, lorsqu´il fallait les appeler. Il y a travaillé comme maçon, puis comme mécanicien. C´est ce camp-là qui est décrit dans le roman Une journée d´Ivan Denissovitch. Ce roman est peut-être après L´Archipel du Goulag le livre le plus emblématique d´Alexandre Soljenitsyne. Publié pour la première fois en 1962 –à l´époque donc du dégel kroutchévien- dans la revue Novy Mir, ce court roman dépeint une journée d´un  zek- nom donné aux prisonniers du Goulag en Urss- montrant toute l´horreur de son existence et de celle de ses camarades.  Le roman a néanmoins suscité des interprétations curieuses-on dirait même un tant soit peu incongrues-à la lumière des prêches antisocialistes, prônant un spiritualisme autoritaire et conservateur, que Soljenitsyne n´a cessé de répandre dans ses écrits et ses conférences après son départ de l´Urss en 1974, comme nous le rappelle Mario Vargas Llosa(Prix Nobel de Littérature 2010) dans son essai «Les réprouvés au paradis» inclus dans le livre La verdad de las mentiras (La vérité par le mensonge). C´est que pour certains enthousiastes de ce court roman celui-ci ne serait qu´une sorte d´autocritique du système, un texte qui revendiquerait le socialisme soviétique tout en dénonçant ses déformations. C´est la perspective d´Alexandre Tvardovsky, le directeur de Novy Myr, la revue où le court roman a été publié. Poète, écrivant et membre du parti communiste, Tvardovsky, en présentant le texte à ses lecteurs leur explique que Soljenitsyne ne fait rien d´autre que critiquer «les faits terribles de cruauté et d´arbitraire découlant de la perversion de la justice soviétique». Sur la même longueur d´onde se trouvent les propos du théoricien marxiste Georg Lukács qui attribue à Soljenitsyne le rétablissement, en écrivant ce roman, de la meilleure tradition du «réalisme socialiste» des années vingt que le stalinisme avait mutilée. Ces interprétations peuvent être perçues comme abusives ou du moins discutables, mais pour Mario Vargas Llosa elles ne sont pas aussi déplacées que d´aucuns auraient pu le penser. Selon l´écrivain péruvien, le récit est d´un point de vue purement formel d´un réalisme rigoureux qui ne prend pas la moindre liberté avec l´expérience vécue, en phase avec la grande tradition littéraire russe. En plus, ajoute Mario Vargas Llosa : «Il est imprégné, comme un roman de Tolstoï, de Dostoïevski ou de Gorki, d´indignation morale pour la souffrance que cause l´injustice humaine. Est-ce que ce sentiment relève du socialisme ? Oui, sans doute. Une attitude éthique et solidaire du pauvre et de la victime, de celui qui, pour une raison ou une autre, est en marge de la vie, à la traîne, est la dernière bannière d´une doctrine qui a dû abandonner toutes les autres après avoir vérifié que le collectivisme menait à la dictature et non pas à la liberté et que l´étatisme planifié et centraliste débouchait sur la stagnation et la misère et non pas sur le progrès. À cause de ces étranges tours de prestidigitation qui se produisent souvent dans la vie, Alexandre Soljenitsyne, le combattant le plus acharné du système créé par Lénine et Staline, pourrait bel et bien être le dernier écrivain réaliste socialiste.»
  Soljenitsyne, qui avait été réhabilité en 1956 après le dégel kroutchévien et donc la période de déstalinisation, s´est derechef attiré les foudres du pouvoir après la destitution de Nikita Khrouchtchev et l´avènement du chef du Soviet Suprême Léonid Brejnev.  Il était constamment surveillé par le KGB, manquant d´être assassiné en 1971 par un «parapluie bulgare», méthode inventée par les services secrets soviétiques pour faire pénétrer du poison dans le corps de la victime à l´aide d´un parapluie. Un an avant, en 1970, le pouvoir soviétique n´a pas vu d´un bon œil l´attribution du Prix Nobel de Littérature à Alexandre Soljenitsyne qui ne s´est pas déplacé à Stockholm de peur d´être déchu de la nationalité soviétique et de ne pas pouvoir rentrer en Urss, le gouvernement suédois ayant refusé de lui remettre le prix à son ambassade de Moscou. Néanmoins, contrairement à Boris Pasternak qui, en 1958, s´était vu contraint de renoncer au prix –le gouvernement soviétique lui interdisant le retour en Urss si jamais il décidait de se rendre à Stockholm pour recevoir sa récompense-, Soljenitsyne n´a point manifesté l´ intention de le refuser. En 1974, alors que le monde, frappé de stupeur, découvrait au grand jour, l´ignominie dépeinte dans L´Archipel du Goulag, le pouvoir soviétique a décidé d´arrêter l´écrivain- le 12 février 1974- l´incarcérant dans la prison de Lefortovo accusé de haute trahison. Le lendemain, Soljenitsyne a entendu la lecture du décret le privant de la nationalité soviétique et ordonnant son expulsion. Il fut envoyé à Francfort par avion spécial. Chassé de l´Union Soviétique, il a pu enfin recevoir le Prix Nobel de Littérature. Dans le discours qu´il a prononcé lors de la remise du prix à Stockholm, il  a affirmé : «Notre XXème siècle a prouvé qu´il était plus cruel que les siècles précédents, et sa première moitié n´a pas encore effacé ses horreurs. Notre monde est toujours déchiré par les passions de l´âge des cavernes : la cupidité, l´envie, l´emportement, la haine, qui, au cours des ans, ont acquis de nouveaux noms respectables, comme la lutte des classes, l´action des masses, le conflit racial, le combat syndical. Le refus primitif de tout compromis est devenu un principe, et l´orthodoxie est considérée comme une vertu. Elle exige des millions de sacrifices par une guerre civile incessante».
L´Archipel du Goulag -que l´auteur a présenté comme un essai d´investigation littéraire- décrit minutieusement les rouages de l´état soviétique totalitaire. De même que L´Île de Sakhaline d´Anton Tchekhov, La Résurrection de Léon Tolstoï ou Souvenirs de la Maison des Morts de Fiodor Dostoïevski immortalisent le bagne tsariste, de même L´Archipel du Goulag-avec Les Récits de la Kolyma, magnifiques fictions de Varlam Chalamov, ou Voyage au Pays des Ze-ka de Julius Margolin -illustre on ne peut mieux l´engrenage de l´univers concentrationnaire soviétique, à la différence près que si le système pénitentiaire de la Russie des tsars était plutôt classique, celui mis en place par le pouvoir soviétique était autrement pervers et scientifique. Tout homme était dépossédée de sa condition humaine puisque, comme il était d´ordinaire soufflé aux prisonniers du Goulag, «un ennemi du peuple» n´était pas un être humain. Les tortures, les avanies, toute l´industrie concentrationnaire était organisée de nature à rendre l´homme coupable d´avoir pensé, d´avoir osé s´insurger contre le «paradis sur terre». La dissidence était même souvent traitée au niveau de la psychiatrie, étant donné que, selon les préceptes en vigueur, d´après l´idéologie totalitaire, tous ceux qui s´opposaient au communisme allaient contre le sens de l´histoire, sabotaient la marche inéluctable vers le progrès et le bonheur universels. Parfois, peu importait si les gens étaient vraiment coupables. Pendant les purges staliniennes dans les années trente, nombre d´innocents ont été incarcérés et déportés. Dans les années quarante, après l´annexion en 1939 d´une partie de l´Europe centrale et orientale, un million de ressortissants des pays de cette région dont de nombreux juifs ont été arrêtés par familles entières. Les hommes ont été envoyés dans les camps de travail, les femmes, les enfants et les plus âgés ont été déplacés dans des villages du Grand Nord soviétique, en Sibérie et dans les steppes kazakhes (lire à ce propos le livre de Marta Craveri et Anne Marie Loonczy, Les Enfants du Goulag, aux éditions Bélin).  
Pour en revenir à L´Archipel du Goulag, le cortège d´horreurs que l´on voit défiler en lisant l´ouvrage ne peut que causer des frissons à tout lecteur imprégné –ne serait-ce que chichement- d´une culture humaniste. L´humiliation, l´intimidation, le mensonge, la faim, la privation de sommeil, le procédé sonore (faire asseoir l´inculpé à une distance de six à huit mètres et le forcer à parler très fort en répétant chaque phrase) ou le procédé lumineux (la lumière électrique crue vingt-quatre heures sur vingt-quatre dans la cellule ou le box où vous êtes enfermé, avec une ampoule d´une puissance démesurée pour un local aussi exigu et aux murs peints en blanc. Vos paupières s´enflamment, c´est très douloureux) étaient des méthodes abondamment employées contre les prisonniers.
Comme nous le rappelle Soljenitsyne, on nous instruit dans notre jeunesse à accomplir nos devoirs de citoyens, à avoir soin de notre corps, à nous conduire comme il faut ou à comprendre la beauté, mais jamais à ce qui sera la grande épreuve de notre vie : l´arrestation sans crime et l´instruction sans objet. Que faut-il faire  pour être plus fort que le commissaire-instructeur et ce piège bien huilé, s´interroge l´écrivain ? Il donne lui-même la réponse : «Il faut franchir le seuil de la prison sans aucune nostalgie pour la douce existence qu´on vient de quitter. Dès qu´on passe la porte, il faut se dire : ma vie est finie-un peu tôt, mais je n´y puis rien. Jamais je ne recouvrerai ma liberté. Je suis condamné à périr, maintenant ou un peu plus tard ; mais plus tard, ce sera encore plus dur, donc le plus tôt sera le mieux. Je ne possède plus sur cette terre de biens matériels. Mes proches sont morts pour moi, et moi pour eux. À partir d´aujourd´hui, mon corps ne m´est plus rien, c´est une défroque inutile et étrangère. Seuls comptent et gardent du prix à mes yeux mon esprit et ma conscience. Face à un tel prisonnier, c´est l´instruction qui pliera ! Seul peut vaincre celui qui a renoncé à tout !»Reconnaissons que ce n´était pas facile…
Un des meilleurs ouvrages de réflexion sur L´Archipel du Goulag est l´essai de Claude Lefort (1924-2010) Un homme en trop, paru en 1976 aux éditions du Seuil et disponible aujourd´hui chez Belin. Claude Lefort y dissèque les mécanismes de l´univers concentrationnaire que Soljenitsyne a décrits dans son essai d´investigation littéraire et livre une réflexion profonde et philosophique sur l´énigme de l´entreprise totalitaire, l´Etat et le communisme. Particulièrement intéressante est une réflexion que Claude Lefort nous présente sur le paradoxe des camps en remettant dans le circuit de la rationalisation économique ceux que l´on tenait pour le rebut de la société : «En premier lieu, la Révolution, le Peuple, le Pouvoir soviétique se délivrent des ennemis : ceux-ci sont expulsés, isolés. L´opération, je le rappelais, se place sous le signe de la prophylaxie sociale. Les camps reçoivent les déchets de la société. Situés de fait sur territoire national, ils n´en font pas à proprement parler partie. On les repousse vers le Grand Nord, on choisit des îles, par souci de sécurité peut-être, mais surtout-car, comme la suite l´enseignera, la précaution est inutile-, sous l´effet d´un fantasme d´exclusion. On veut circonscrire l´altérité. Au vrai, comme l´observe Soljenitsyne, l´image la meilleure est celle du gouffre. Il est creusé pour que chacun à tout moment redoute d´y être précipité. Et puis, voilà que se rabat sur l´espace étranger, que vient se réemparer du gouffre la loi du socialisme, c´est-à-dire, la Bureaucratie : les déchets sont récupérés, remis dans le circuit de la rationalisation économique. Le Plan prévoit leur utilisation au service de la construction du monde nouveau. Dès lors, les camps se multiplient, envahissent le continent et deviennent un élément de la grande Fondation. Planification, collectivisation, industrialisation et camps de concentration s´ajustent dans la réalité, comme jamais ne le purent, sortis de l´imagination de Lénine, l´électrification et les Soviets».  
L´industrie concentrationnaire poussait l´abjection à un tel degré de perversité que les administrations des camps libéraient les prisonniers inaptes au travail, malades psychiatriques, invalides et mourants pour qu´ils meurent à l´extérieur du camp. Aussi, lors de l´ouverture des archives du Goulag, les historiens ont-ils été surpris des taux modérés de mortalité des statistiques officielles. Des recherches récentes ont pu établir quelles en étaient les raisons…
Alexandre Soljenitsyne, on l´a vu plus haut, fut expulsé de son propre pays en 1974 et s´est tout d´abord installé à Zurich, en Suisse, grâce à l´aide de l´écrivain allemand Heinrich Böll (Prix Nobel de Littérature en 1972), puis, avec sa famille, à Cavendish, dans le Vermont, aux États-Unis. S´il s´est surtout consacré à l´écriture de romans et essais, ses positions publiques dans des discours (comme à Harvard en 1978) des conférences ou des écrits lui ont donné du fil à retordre puisqu´elles ont étalé au grand jour ses idées conservatrices, son attachement à l´identité russe traditionnelle où la spiritualité orthodoxe joue un rôle important. Alexandre Soljenitsyne dérogeait ainsi à l´image que l´Occident se faisait d´un intellectuel dissident russe, un intellectuel censé être réformiste voire libertaire, quoique dans son pays il eût été voué aux gémonies par un régime certes totalitaire, mais se réclamant d´idées soi-disant progressistes. Alexandre Soljenitsyne fut d´ailleurs assez souvent accusé d´être carrément réactionnaire. En 1976, donc après la mort du caudillo espagnol Francisco Franco (survenue le 20 novembre 1975), il a affirmé que les Espagnols vivaient en liberté pendant le franquisme, en mettant l´accent sur les racines chrétiennes du régime. Sur le dictateur chilien Augusto Pinochet, il déplorait surtout que l´Occident eût montré plus d´acharnement vis-à-vis de la dictature chilienne qu´il ne l´eût fait contre le régime soviétique et le Mur de Berlin. Dans L´erreur de l´Occident, il a vitupéré l´indulgence de l´Occident à l´égard du communisme. Des accusations d´anti-sémitisme ont également fusé à l´encontre de Soljenitsyne à partir de l´interprétation de certains de ses écrits. D´autre part, des imprécations contre le matérialisme et la société de consommation des occidentaux remplissaient ses discours.  Enfin, en septembre 1993, à l´occasion de l´inauguration du Mémorial de la Vendée aux Lucs-sur-Boulogne, il a proféré un discours sur les guerres de Vendée et la Révolution française où il a établi un parangon entre ces événements –qu´il a qualifiés de génocide- et les soulèvements populaires anti-communistes en Russie.
À propos des prises de position de Soljenitsyne, il est intéressant de relire un texte de 1975 de l´écrivain croate Predrag Matvejevitch(1932-2017), spécialiste de la dissidence en Europe de l´Est, que l´on peut retrouver dans Entre asile et exil (édition revue et augmentée, parue chez Fayard en 2008).  Predrag Matvejevitch y écrit : «Les prises de position de Soljenitsyne ne sont pas dépourvues de contradictions. Pour défendre sa nation, il invoque parfois les arguments des nationalistes. Son expérience du «socialisme réel», totalitaire, le pousse à identifier toute forme de socialisme au totalitarisme. Il glorifie, d´une part, le peuple russe, mais, de l´autre, il ne le considère pas comme «mûr» pour une véritable démocratie. Il assimile celle-ci à une sorte de populisme (narodnitchestvo) qu´avaient défendu les précurseurs du bolchevisme. Les staliniens ont manipulé le mythe du peuple, Soljenitsyne croit à ce mythe. Il s´enthousiasme pour la politique de Stolypine, en qui les nations non russes de l´Union Soviétique (les Ukrainiens, entre autres) voient un oppresseur tsariste». Et il poursuit : «Soljenitsyne est contre toutes les révolutions et les utopies dont elles se nourrissent, il les considère comme une source de mal et de violence. Il croit que seul le christianisme peut remettre l´humanité sur le droit chemin, que la Russie ne peut être sauvée que par l´orthodoxie chrétienne. Cependant, l´orthodoxie qu´il évoque dans sa Lettre aux dirigeants soviétiques, celle de «Serge de Radonèje et de Nil Sorski, vieille de sept siècles, que Nikon n´a pas réussi à dépraver ni Pierre le Grand à étatiser» est également une utopie. À l´époque de la Renaissance, les «vieux –croyants» en Russie ont persécuté les hérétiques». Quoi qu´il en soit, ceci n´entame pas, bien entendu, l´importance fondamentale de l´œuvre de Soljenitsyne et a fortiori de L´Archipel du Goulag sur lequel Predrag Matvejevitch écrit qu´il s´agit du «J´accuse» de notre temps, le monument funèbre de l´histoire contemporaine et il ajoute : «L´auteur évoque sa «tentative de recherche littéraire» : ce livre ne relève qu´en partie de la littérature. En lui s´allient la vocation de l´écrivain et le témoignage de l´homme. La politique ne représente que les scories de cet alliage, l´idéologie n´en est que le résidu. Rares sont les œuvres littéraires de Soljenitsyne (telles qu´Une journée d´Ivan Denissovitch et quelques autres récits) à atteindre les sommets de la littérature russe. L´Archipel du Goulag dépasse la littérature. Peut-être divisera-t-on notre époque en période d´avant et d´après ce livre».          
Mihail Gorbatchev lui a restitué la citoyenneté soviétique et en 1989  L´Archipel du Goulag a pu enfin paraître en Urss. Soljenitsyne n´est pourtant rentré au pays-en Russie, concrètement, après l´écroulement de l´Union Soviétique-qu´en 1994. Jusqu´à sa mort,  il n´a cessé de prendre position. Si le communisme et la terreur n´existaient plus, il n´en était pas moins désabusé devant le nouveau régime, certes nationaliste, mais sevré de cette fibre spirituelle qui lui tenait tant à cœur. Pourtant, si Soljenitsyne ne soutenait pas le nationalisme tel qu´il était interprété par Vladimir Poutine, une sympathie réciproque fut visible à plusieurs reprises. Un an avant la mort de celui qui fut un des plus grands écrivains russes du vingtième siècle, Poutine, l´ancien agent du KGB, lui a rendu hommage en lui attribuant le prestigieux Prix d´État.
À sa mort, le 3 août 2008, nombre d´enthousiastes ont mis en exergue son courage et l´excellence de son œuvre tandis que ses détracteurs ont stigmatisé celui qu´ils considéraient comme un vieux réactionnaire. Parmi les commentaires répandus un peu partout ces jours-là dans la presse, celui qui me vient d´abord à l´esprit fut proféré par l´écrivain chilien Jorge Edwards dans les colonnes du quotidien madrilène El País : «Soljenitsyne était un écrivain du dix-neuvième siècle égaré parmi les meilleurs du vingtième siècle».
  
Dernières parutions (ou reparutions) d´ouvrages d´Alexandre Soljenitsyne traduits du russe en français :

Révolution et mensonge, traduit par José Johannet, Georges Philippenko, Georges Nivat et Nikita Struve, éditions Fayard, Paris, octobre 2018.
Journal de la Roue Rouge, traduit par Françoise Lesourd, éditions Fayard, Paris, octobre 2018.

Le Premier Cercle, traduit par Louis Martinez, collection Pavillon Poche, éditions Robert Laffont, Paris, novembre 2018.
Cahiers de l´Herne sur Soljenitsyne, coordination de Georges Nivat, éditions de l´Herne, Paris, novembre 2018.
L´affaire Soljenitsyne, coordination de Georges Nivat, éditions de l´Herne, Paris, novembre 2018.
Zacharie, l´ escarcelle et autres récits, traduit par Georges Nivat, L. et A. Robel et A. Aucouturier, collection Pavillon Poche, éditions Robert Laffont, Paris, novembre 2018.


jeudi 22 novembre 2018

Article pour Le Petit Journal Lisbonne.

Vous pouvez lire sur l´édition Lisbonne du Petit Journal ma chronique sur le roman Capitaine de l´écrivain français Adrien Bosc, aux éditions Stock.

https://lepetitjournal.com/lisbonne/le-capitaine-dadrien-bosc-244782


«Poesia revelada».

Je vous invite à découvrir le nouveau blog de poésie de Philippe Despeysses et Hervé Hette Poesia revelada(www.poesiarevelada.com): «Des Mots, des Images, des Voix, des Sons, des Musiques...Quand la poésie se révèle à nouveau».


dimanche 11 novembre 2018

Centenaire de la mort de Guillaume Apollinaire.

 
Ce vendredi, 9 novembre, on a signalé le centenaire de la mort de Guillaume Apollinaire, un des plus grands poètes français du début du vigtième siècle. Né sujet polonais de l´Empire Russe, le 26 août 1880, à Rome, Guillaume Apollinaire est mort à Paris, victime de la grippe espagnole. Il fut néanmoins déclaré «mort pour la France», en raison de son engagement pendant la première guerre mondiale(il est mort d´ailleurs deux jours avant l´Armistice).
Le poète éblouissant de Calligrammes, d´Alcools, de Poète assassiné fut également chantre de plusieurs avant-gardes artistiques de son temps: le cubisme, l´orphisme, voire le surréalisme dont il fut en quelque sorte le précurseur.  Il a également écrit des pièces de théâtre, des essais, des chroniques, des contes et des romans dont deux à forte connotation érotique comme Les onze mille verges et  Les exploits d´un jeune Don Juan.
Éclectique, épris de musique et de peinture, Guillaume Apollinaire fut une des figures intellectuelles les plus remarquables de son temps.

mercredi 7 novembre 2018

Prix Goncourt 2018 pour Nicolas Mathieu.

Le prix Goncourt 2018 vient d´être attribué Leurs enfants après eux de Nicolas Mathieu, publié aux éditions Actes Sud. Cette maison d´édition d´Arles remporte le prix le plus prestigieux du roman français pour la deuxième année d´affilée.  L´année dernière, elle l´avait obtenu pour le roman L´ordre du jour d´Éric Vuillard.Aujourd´hui, Nicolas Mathieu l´a emporté au quatrième tour par six contre quatre pour Paul Greveillac, auteur de Maîtres et esclaves(éditions Gallimard).
  Leurs enfants après eux est une fresque sociale dans une Lorraine désindustrialisée. Le roman suit pendant quatre étés trois adolescents – Anthony, le fils de prolétaire, Hacine, le fils d’immigré et Steph, la bien-née – qui rêvent de s’échapper et qui cherchent  leur voie dans un monde qui meurt.
Né à Épinal en 1978,Nicolas Mathieu en est à son deuxième roman. Le premier, Aux animaux la guerre, publié également aux éditions Actes Sud en 2014, avait reçu le prix Mysère de la critique.