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Féru de littérature française et étrangère, ma plume sévit dans diverses colonnes de journaux, de sites internet pour partager ce goût qui m´anime. Que détracteurs ou admirateurs n´hésitent pas à réagir à mes chroniques.

dimanche 28 mai 2017

Chronique de juin 2017.



 
Georges Perec: entre l´éternel et l´éphémère.

 
 L´écrivain chilien Roberto Bolaño- voir sur le blog la chronique de juillet 2008- a affirmé peu avant sa mort, survenue en juillet 2003, que Georges Perec était un des meilleurs écrivains, toutes langues confondues, du dernier demi-siècle. L´ironie du sort a voulu que, tout comme Perec, mort d´un cancer du poumon quelques jours avant son quarante-sixième anniversaire, Bolaño soit mort lui aussi prématurément- à cinquante ans – d´une crise hépatique. Mais, au-delà des  tristes coïncidences, toujours est-il que, malgré l´énorme notoriété qu´il a acquise auprès de la critique et même d´un certain lectorat plus érudit, Perec est encore loin d´occuper la place de choix qui devait lui être dévolue dans l´histoire de la littérature française. Avec l´entrée toute récente (le 11 mai) dans la prestigieuse collection-reliée et au papier bible-de la Pléiade, Georges Perec aura peut-être attient la notoriété qui lui manquait auprès du grand public. Un célèbre lipogramme monovocalique résume en quelque sorte la quête de Georges Perec : «Je cherche en même temps l´éternel et l´éphémère» Peut-être son œuvre quittera-t-elle maintenant l´éphémère et touchera-t-elle enfin l´éternel.
  Georges Perec est né à Paris le 7 mars 1936, dans une maternité de la rue de l´Atlas au XIXe arrondissement. Ses parents, émigrés juifs polonais, qu´il évoque dans son livre W ou les souvenirs d´enfance, sont morts pendant la guerre : son père, engagé volontaire, d´une blessure au ventre en 1940 ; sa mère, en déportation à Drancy, en 1943. Devenu orphelin, Georges Perec a été pris en charge par une sœur de son père et son mari, Esther et David Bienenfeld.
  Comme il arrive souvent aux grands écrivains, Georges Perec s´est vu lui aussi refuser des manuscrits avant que son premier livre ne fût publié en 1965: Les choses. Ce livre a tellement enthousiasmé la critique qu´il fut récompensé par le prix Renaudot alors que Perec n´avait que vingt-neuf ans. Fruit d´un travail minutieux d´écriture, Perec a réussi le pari d´être innovateur dans les procédés tout en restant fidèle à la grande tradition du roman, contrairement à une autre école littéraire, Le Nouveau Roman, qui, Robbe-Grillet en tête, se voulait un mouvement de rupture d´avec le roman de facture balzacienne.
  Documentaliste au CNRS, Perec s´approche, entre-temps du groupe Oulipo (Ouvroir de littérature potentielle) et de Raymond Queneau. Ceci ne l´a pourtant pas empêché de faire ses expérimentations et d´ouvrir de nouvelles voies au roman contemporain. Après le coup d´éclat avec Les choses, les livres publiés dans les années suivantes sont relativement passés inaperçus, mais leur importance dans l´évolution de l´œuvre de Perec n´est pas négligeable, surtout La disparition en 1969 et Les revenentes en 1972.
  La disparition est un roman policier avec toutes les caractéristiques normalement associées à ce genre, mais présentant une innovation que Perec a craint un moment qu´elle ne se fût superposée à l´intérêt suscité par le roman en soi. Cette innovation était le recours à un lipogramme, en l´occurrence l´absence de la lettre «e». Écrire tout un livre en français sans recourir à l´emploi d´une des lettres les plus courantes de la langue française tient de l´exploit. Cette expérience du lipogramme qui a constitué un véritable défi et qui, l´eût-il prise pour un jeu, n´en aura pas moins été sûrement éprouvante pour Perec, l´auteur l´a rééditée trois ans plus tard avec Les revenentes. Cette fois-ci Perec aura le «culot» d´éliminer toute autre voyelle que la lettre «e» comme si celle-ci prenait sa revanche d´avec le livre précédent de l´écrivain. Or, ceci a impliqué une véritable révolution langagière qui a bousculé les normes de la langue française et l´aisance traditionnelle du lecteur.
  En 1978, Perec publiait un nouveau livre qui est aujourd´hui tenu pour son chef-d´oeuvre: La vie mode d´emploi, qui allait remporter le prix Médicis.
 Ce livre présente le sous-titre de romans, donc au pluriel et non pas au singulier et ceci s´explique parce que cette entreprise follement romanesque est un véritable puzzle où plusieurs histoires s´enchaînent et dont le héros principal est un certain Bartlebooth, un hybride du Bartleby de Melville et du Barnabooth de Valery Larbaud. Avec ce livre Perec a accompli son désir de renouer avec la grande tradition romanesque, mais ce chef-d´œuvre est devenu aussi en quelque sorte l´ex-libris de l´œuvre oulipienne. Comme l´a affirmé un  autre écrivain oulipien, Jacques Roubaud, «La tâche de l´auteur oulipien étant la fabrication d´un chef-d´œuvre, architecture de contraintes oulipiennes oulipiennement agencées, La vie mode d´emploi, est la seule œuvre oulipienne qui se rapproche de cette idée».
Quoi qu´il en soit, d´aucuns mettaient en doute que Perec fût vraiment un romancier. Dans la préface de Romans et Récits paru en 2002 dans la collection Pochothèque du Livre de Poche, Bernard Magné rappelait l´interrogation adressée par Jean-Louis Ezine à Perec en 1978, dans Le Magazine Littéraire, lors de la parution de La vie mode d´emploi : «Vous êtes l´acrobate de la littérature contemporaine(…).Vous faites des prouesses, mais êtes-.vous romancier ?» Or, romancier Perec l´était indiscutablement, mais  le doute soulevé par Jean-Louis Ezine était peut-être suscité par la structure atypique de La vie mode d´un emploi que j´ai citée plus haut et cela nous renvoie à l´originalité de l´œuvre perecquienne. Comme nous le rappelle encore Bernard Magné dans la même préface,  «pour les lecteurs des romans de Perec, le plaisir que procure la reconnaissance est moins simple car il s´accompagne de tout un jeu d´équivoques et d´ambiguïtés. Le plus souvent, citations et autocitations demeurent implicites, tantôt camouflées dans le récit par la disparition des marques traditionnelles (guillemets, italique), tantôt signalées comme discours empruntés, mais pourvues d´attributions fantaisistes. Dans le même temps, Perec prend un malin plaisir à offrir quelques indices en laissant, ça et là, deviner très indirectement à un lecteur sagace que ce qu´il est en train de lire pourrait bien être moins innocent qu´il n´y paraît».
Une des forces motrices de l´œuvre de Perec est également l´autobiographie, l´auteur ayant d´ailleurs insisté à maintes reprises sur les rapports étroits que son écriture entretenait avec  ce genre. Dans W ou le souvenir d´enfance, il écrit notamment que le projet d´écrire son histoire s´est formé quasiment en même temps que son projet d´écrire. Néanmoins, dans La vie mode d´emploi, cette empreinte autobiographique prend une autre dimension, cessant d´être ponctuelle et aléatoire pour devenir une des règles génératrices du roman. Un  roman- puisque Perec en a une conception hédoniste, mais d un hédonisme généreux-qui s´ouvre au lecteur, au plaisir d´écrire devant correspondre celui de lire et donc à la jubilation du romancier doit correspondre celle de son lecteur.
Le roman peut donc être conçu comme un puzzle. À la fin de sa préface, Bernard Magné écrit : «Pas plus que le puzzle, l´écriture romanesque n´est «un jeu solitaire». En revanche, pour continuer en la paraphrasant la composition suggérée par l´écrivain à la fin du préambule de La vie mode d´emploi, je ne crois pas que chaque geste que fait le lecteur, l´écrivain l´ait fait avant lui. Comme les puzzles de Gaspard Winckler les romans de Georges Perec offrent leur lot de ruses et de pièges, prévus de longue date ; mais ils sont aussi et avant tout, pour le grand bonheur de ceux qui s´y plongent, d´incomparables espaces d´invention et de liberté». Gaspard Winckler est un personnage de fiction apparu dans W ou le souvenir d´enfance, La vie mode d´emploi et dans le roman posthume Le condottière.         
  Perec est mort, on le sait, en 1982, mais nombre de ses écrits ont été publiés après sa mort dont le roman inachevé 53 jours, des pièces de théâtre, Penser/Classer et, plus récemment, deux autres romans inédits Le condottière en 2012 et l´année dernière L´attentat  de Sarajevo qui aura été son premier roman, écrit en 1957 à l´âge de 21 ans.
Dans Le condottière, on retrouve, comme je l´ai écrit plus haut, Gaspard Winckler qui en prince des faussaires, se voue depuis des mois à réaliser un faux Condottière, le célèbre tableau peint par Antonello de Messine en 1475, quand il assassine son commanditaire Anatole Madera. Il s´agit d´un roman de jeunesse retrouvé dans une vieille malle et qui, comme on nous le rappelle dans la quatrième de couverture, donne du sens à l´interrogation qui parcourt toute l´œuvre de Perec : comment, en se débattant avec le faux, parvenir à la conquête du vrai ?  
L´attentat à Sarajevo-que Perec aura écrit à peine revenu d´un voyage de six semaines en Yougoslavie-est une sorte de roman d´analyse psychologique, racontant une histoire d´amour et de jalousie. Œuvre de jeunesse avec le parfum, mais aussi les maladresses propres à ce genre d´opus, on peut dire que les caractéristiques qui ébaucheront la généalogie du roman perecquien y germaient déjà. 
  Un des tout premiers livres posthumes à être publié fut pourtant Penser/Classer en 1985, un choix de textes desquels je me permets de citer cet extrait où l´auteur disserte sur son travail : «Je sens confusément que les livres que j´ai écrits s´inscrivent, prennent leur sens dans une image globale que je me fais de la littérature, mais il me semble que je ne pourrais jamais saisir précisément cette image, qu´elle est pour moi un au-delà de l´écriture(…) auquel je ne peux répondre qu´écrivant, différant sans cesse l´instant même où, cessant d´écrire, cette image deviendrait visible, comme un puzzle inexorablement achevé».
Un des meilleurs écrivains français de la deuxième moitié du vingtième siècle est enfin entré dans la Bibliothèque de la Pléiade trente-cinq ans après sa mort.


P.S- À lire le dossier que Le Magazine Littéraire a consacré à Georges Perec dans le numéro 579 (mai 2017)


Georges Perec, Bibliothèque de La Pléiade.
 Tome I (publié sous la direction de Christelle Reggiani avec la collaboration de Dominique Bertelli, Claude Burgelin, Florence de Chalonge, Maxime Decout et Yannick Séité) : Les Choses- Quel petit vélo à guidon  chromé au fond de la cour ?- Un homme qui dort-La disparition-Les revenentes-Espèces d´espaces-W ou le souvenir d´enfance-Je me souviens. En marge des œuvres : textes et documents.
Tome II (publié sous la direction de Christelle Reggiani avec la collaboration de Claude Burgelin, Maxime Decout, Maryline Heck et Jean-Luc Joly) : La vie mode d´emploi-un cabinet d´amateur-La clôture et autres poèmes-L´Éternité. Appendice : Tentative d´épuisement d´un lieu parisien-Le voyage d´hiver-Ellis Island- L´art et la manière d´aborder son chef de service pour lui demander une augmentation-L´Augmentation. En marge des œuvres : Textes et documents. 


jeudi 18 mai 2017

Article pour Le Petit Journal.

Vous pouvez lire sur l´édition Lisbonne du «Petit Journal» un article que j´ai écrit sur les chroniques de Françoise Sagan (éditions Le Livre de Poche):

http://www.lepetitjournal.com/lisbonne/a-voir-a-faire/culture/278999-litterature-quand-la-chronique-est-un-art



samedi 13 mai 2017

Centenaire de la naissance de Juan Rulfo.



Mardi prochain, 16 mai, on signalera le centenaire de la naissance du grand écrivain mexicain Juan Rulfo,né à Jalisco et décédé le 8 janvier 1986 à Mexico.
Juan Rulfo fut écrivain mais aussi scénariste et photographe. En tant qu´écrivain, il est devenu en quelque sorte un des noms les plus mythiques de la littérature latino-américaine du vingtième siècle.Tributaire du genre fantastique, il n´a écrit que deux livres:le recueil de nouvelles El llano en llamas(Le llano en flammes), publié en 1953, et  le roman Pedro Páramo, paru en 1955. Ces deux oeuvres ont été publiées en français chez Gallimard.
Juan Rulfo fut l´auteur de deux oeuvres brèves mais décisives dans l´histoire de la littérature de langue espagnole et de la littérature universelle.
À  lire, indiscutablement.