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Féru de littérature française et étrangère, ma plume sévit dans diverses colonnes de journaux, de sites internet pour partager ce goût qui m´anime. Que détracteurs ou admirateurs n´hésitent pas à réagir à mes chroniques.

samedi 28 janvier 2017

Chronique de février 2017.




  

                                                Postdammer Platz, Berlin, années 30.       


La tragédie de Vera Kaplan.




Dans les nombreux débats ayant lieu en Allemagne et ailleurs sur le sort tragique des Juifs dans la seconde guerre mondiale, il est souvent question d´une absence d´esprit de révolte dont beaucoup ont fait montre, comme si le cauchemar qu´ils étaient en train de vivre était le fruit du destin, comme si rien ne pouvait effacer ou plutôt changer ce qui s´ébauchait de façon insoutenable devant leurs yeux. Comme si c´était encore un nouvel épisode-et malheureusement c´en était un, en fait-de l´interminable calvaire éprouvé le long des siècles. Comme si c´était une faute à expier.
Néanmoins, il est une vérité encore plus insoutenable à telle enseigne qu´un Juif aurait du mal ne serait-ce qu´à la chuchoter : la dénonciation d´un Juif par un autre Juif afin de se sauver soi-même ou de sauver ses proches.
Laurent Sagalovitsch
Cette question est au cœur du dernier roman de Laurent Sagalovitsch, Vera Kaplan, paru en août dernier aux éditions Buchet/Chastel. C´est un court roman (cent-cinquante pages environ) qui a reçu quelques critiques élogieuses, mais qui n´a été couronné d´aucun grand prix littéraire, bien´il eût été finaliste du prix des lecteurs de L´Hebdo (sages lecteurs que ceux de ce prestigieux hebdomadaire suisse) et finaliste également du prix du Parisien Magazine. Cette constatation ne prouve que l´indigence du choix de certains prix littéraires (pas tous, heureusement), mais cela est une autre histoire et ce n´est pas mot but ici de faire un quelconque procès contre les jurés de ces prix-là ou de mener une enquête sur ce qui se cache derrière l´attribution de ces distinctions littéraires.
Pour écrire Vera Kaplan, Laurent Sagalovitsch s´est inspiré de l´histoire de Stella Goldschlag, une Juive allemande qui a collaboré à la traque de Juifs cachés à Berlin. Cette attitude lui a valu d´être surnommée Geifer (le grappin). On estime entre 600 et 3000 mille le nombre de personnes capturées en raison des renseignements apportés par Stella Goldschlag qui, à la fin de la guerre, fut condamnée à dix ans d´ emprisonnement.
Dans Vera Kaplan, l´histoire commence dans les années quatre-vingt-dix à Tel- Aviv. Un homme (qui vit régulièrement à Montréal) y séjourne dans l´appartement qui avait appartenu à sa mère, décédée, victime d´un cancer à cinquante ans. Un jour, il   reçoit un courrier en provenance d´Allemagne adressé à sa mère et signé par un certain  M.Krauss, exécuteur testamentaire. C´est ainsi qu´il apprend l´existence de sa grand-mère dont sa mère, adoptée dans l´enfance, ne lui avait jamais parlé. Cette grand-mère répondait au nom de Vera Kaplan. Elle avait mis fin à ses jours et son notaire avait l´épineuse tâche de retrouver la fille de Mme Kaplan à qui elle avait laissé-ou, par défaut, à ses descendants légitimes- l´ensemble de ses biens. Parmi ses affaires, il y avait un document où Vera Kaplan racontait sa vie et une sorte de journal des années de guerre que son petit-fils va donc nous faire connaître.
Vera Kaplan était issue d´une famille juive pleinement intégrée dans la société allemande, son père étant journaliste au Berliner Tageblatt où il s´occupait de la rubrique Sport. Lorsque le führer Adolf Hitler est arrivé au pouvoir, on a senti venir le danger mais, au fond, on croyait que la barbarie n´allait pas déferler sur l´Allemagne et sur l´Europe, que la sagesse allait prévaloir sur l´ignominie. C´était ainsi un peu partout et de même chez Vera.  Devant l´inquiétude de sa  femme, le journaliste usait de l´humour pour la rendre tranquille : «Un mois, tu entends, ma petite Klara adorée, dans un mois on n´entendra plus parler de lui, et tu verras, ils l´enverront se faire soigner à l´hôpital de la Charité, je te parie que sa chambre est déjà prête, une belle petite chambre pas plus grande que notre cave où on pourra lui rendre visite, oh, pas longtemps bien sûr, cinq minutes peut-être, juste le temps de lui offrir une boîte de chocolats».
Toujours est-il que ce qui paraissait inconcevable s´est bel et bien produit. Les slogans racistes se multipliaient au fil des jours et les Juifs étaient la cible de ces attaques d´une violence inouïe: «Les pancartes suintantes de haine indiquaient l´appartenance de telle boutique à un membre de la communauté juive et appelaient à la boycotter. Les troupeaux de la Jeunesse hitlérienne, fiers et arrogants, défilant en ordre impeccable dans les rues de Berlin, entonnant des chants dédiés à la gloire de leur chef, sous le regard admiratif d´une foule conquise qui applaudissait à tout rompre. Cette même foule amassée sur Unten den Linden regardant passer son Chef en lançant des hourras enthousiastes, en poussant des hurlements hystériques, en trépignant de joie comme des gamins. Leurs regards éperdus d´admiration, la dévotion fébrile d´un peuple qui avait cessé de penser par lui-même, qui s´en remettait à la seule volonté d´un homme qui n´était plus un homme mais  un Dieu, un Dieu terrible, sûr de lui, ivre de puissance, mandaté pour amener son peuple à côtoyer l´olympe de l´Histoire». Et puis, il y a eu la Nuit de Crystal, les synagogues incendiées, les humiliations quotidiennes…
Vera et ses parents ont fini par être arrêtés. Afin d´empêcher la déportation de ses parents dans un camp d´extermination, elle a accepté de collaborer avec la Gestapo en dénonçant d´autres Juifs. Avec la complicité de Karl- dont elle a fini par s´éprendre-elle parcourait la ville de Berlin, en se faisant passer parfois pour une résistante, pour dénicher des Juifs qui se cachaient tant bien que mal. Une flétrissure qui n´a servi à rien. Elle n´a pu sauver ses parents. Comment pouvait-on, d´ailleurs, faire confiance à des nazis ? On n´y pense pas quand le désespoir s´empare de soi-même…
Quand Vera Kaplan écrit en quelque sorte ses confessions, les paroles du procureur lors de son procès résonnent encore dans son esprit. Des paroles éclairantes à plus d´un titre puisque si elles sont tranchantes et sans concession sur quelqu´un qui n´a pas hésité à envoyer des innocents à la mort, il y perce quand même un peu d´indulgence ou plutôt de condescendance face aux malheurs de la condition humaine : «Oui, et je le dis avec toute la gravité dont je puis être capable, conscient du tragique presque insupportable de mes dires mais restant assez lucide pour ignorer ce qu´aurait pu être ma conduite confrontée à ce dilemme infernal, car qui ici, dans cette salle, dans cette ville, dans ce pays où se sera tenue la plus effroyable des tragédies, qui donc peut se lever et dire avec la certitude la plus implacable, en toute conscience, moi je sais qu´entre une vie déchue et une mort louable, j´aurais opté pour la mort, qui ?»
La fragilité de la condition humaine dans l´Allemagne hitlérienne s´est traduite certes par la délation, mais aussi par l´abjection de ceux qui devant la barbarie se sont vautrés dans le déshonneur en soutenant le totalitarisme nazi. En épigraphe de ce magnifique roman, l´auteur a su choisir les mots justes, celles du philosophe et musicologue français Vladimir Jankélevitch dans L´Imprescriptible : «Qu´un peuple aussi débonnaire ait pu devenir ce peuple de chiens enragés, voilà un sujet inépuisable de perplexité et de stupéfaction. On nous reprochera de comparer ces malfaiteurs à des chiens ? Je l´avoue en effet : la comparaison est injurieuse pour les chiens. Des chiens n´auraient pas inventé les fours crématoires, ni pensé à faire des piqûres de phénol dans le cœur des petits enfants…»
Laurent Sagalovitsch, né en 1967, à Montreuil (France) est un écrivain franco-canadien installé depuis 2009 à Vancouver. Il fut critique littéraire à L´Événement du Jeudi (hebdomadaire français aujourd´hui disparu), au magazine Les Inrockuptibles et au quotidien Libération. Il anime depuis 2011 un blog sur Slate.fr intitulé «You will never hate alone».
Il est l´auteur de cinq romans précédant Vera Kaplan, tous publiés chez Actes Sud : Dade City (1996), La canne de Virginia (1998), Loin de quoi ? (2006) La Métaphysique du hors-jeu (2010) et Un Juif en cavale (2013).
Avec Vera Kaplan, Laurent Sagalovitsch s´affirme comme un des noms que l´on ne saurait plus ignorer dans la littérature française contemporaine.


Laurent Sagalovitsch, Vera Kaplan, collection Qui Vive éditions Buchet/Chastel, Paris, août 2016.

mercredi 18 janvier 2017

Article pour Le Petit Journal.




Vous pouvez lire sur l´édition Lisbonne du «Petit Journal» un article que j´ai écrit sur le roman Avec la mort en tenue de bataille de José Alvarez (éditions Albin Michel):

  http://www.lepetitjournal.com/lisbonne/a-voir-a-faire/culture/268330-litterature-avec-la-mort-en-tenue-de-bataille-de-jose-alvarez

 

vendredi 6 janvier 2017

La mort de Ricardo Piglia.


C´était indiscutablement un des meilleurs écrivains argentins et l´un des meilleurs écrivains contemporains de langue espagnole: Ricardo Piglia vient de s´éteindre à l´âge de 76 ans à Buenos Aires. 
Né à Adrogué le 24 novembre 1940, Ricardo Piglia était atteint depuis quelque temps d´une sclérose latérale amyotrophique. Tout de même, il est parvenu à préparer la publication de ses Journaux intitulés Los Diarios de Emilio Renzi dont deux des trois tomes ont déjà paru en espagnol chez Anagrama.
Je lui ai consacré la chronique de novembre 2010 que vous pouvez consulter dans les archives du blog.