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Féru de littérature française et étrangère, ma plume sévit dans diverses colonnes de journaux, de sites internet pour partager ce goût qui m´anime. Que détracteurs ou admirateurs n´hésitent pas à réagir à mes chroniques.

dimanche 28 septembre 2014

Chronique d´octobre 2014




 



 L´Arabe de Meursault.



Selon Kamel Daoud, l´Algérie est «un pays coincé entre le ciel et la terre. La terre appartient aux «libérateurs», cette caste maudite qui ne veut pas mourir, et qui assure avoir fait la guerre pour nous. Et le ciel est colonisé par les religieux qui se l´approprient au nom d´Allah. Que me reste-t-il ? Les livres. C´est cette digression littéraire que je poursuis car l´Algérie m´étouffe et pour desserrer cette étreinte, je lis et j´écris». Ces paroles, on les retrouve justement dans le portrait de Kamel Daoud brossé par Jean-Louis Le Touzet et paru dans l´édition du 15 avril  du quotidien français Libération.
Ce fut vers le mois de mai 2011  que je suis tombé pour la première fois sur le nom de Kamel Daoud, pour être plus précis lorsque j´ai lu une recension critique sur son recueil de nouvelles Le Minotaure 504 qui venait alors de paraître en France aux éditions Sabine Wespieser. Pas beaucoup plus d´une centaine de pages, mais qui vous laissent tout à fait surpris par la qualité des quatre nouvelles qui composent le recueil : «Le minotaure 504», le soliloque d´un chauffeur de taxi qui met en garde ses passagers contre Alger ; «Gibrîl au kérosène» où un militaire fou d´aviation essaie en vain de persuader les clients de la foire internationale où il expose que le prototype qu´il a conçu est d´une qualité irréprochable ; «L´ami d´Athènes» sur un marathonien qui court sans fin dans le stade des Jeux Olympiques d´Athènes et, enfin, «La préface du nègre» où l´on assiste aux déboires d´un écrivain fantôme. Ces nouvelles, d´une langue percutante et sans fioritures, mettent en exergue des héros qui poursuivent incessamment leur quête mais qui se trouvent en effet piégés par une Algérie qui ne correspond pas aux espoirs fondus sur elle au moment de l´indépendance et où l´avenir est comme mis en sursis. Les cris de désespoir et de révolte ne s´étalent pas derrière chaque phrase, mais ils sont là, ne serait-ce qu´en filigrane.
Né à Mostaganem en 1970, Kamel Daoud est écrivain mais aussi journaliste au Quotidien d´Oran, où il tient depuis une douzaine d´années la chronique la plus lue d´Algérie :«Raïna Raïkoum» («Mon opinion, votre opinion»). Écrivant souvent sur le fil du rasoir, à cause de la censure qui pointe, des ennuis que sa plume acérée peut amener à son journal, des imprécations des fanatiques religieux, et des pièges que le régime peut lui tendre- il y a le risque que  Bouteflika et ses suppôts puissent se servir de son succès pour clamer que la censure n´existe pas en Algérie-il est parfois tenu de glisser ses papiers sur facebook.
Ces derniers mois, Kamel Daoud défraie aussi la chronique en France en raison de la parution en mai, chez Actes-Sud, d´un roman qui n´a pas laissé indifférents les cercles littéraires tant et si bien qu´il vient d´être couronné du prix François Mauriac, de celui des Cinq Continents, et figure dans la première sélection du Goncourt et du Renaudot: Meursault, contre-enquête. Le patronyme du titre du roman vous poussera peut-être à vous interroger, sur la coïncidence ou l´éventuel rapport entre ce Meursault-ci et celui devenu fameux en tant que personnage d´un roman célèbre d´un écrivain français fort réputé, né en Algérie comme Kamel Daoud, prix Nobel de Littérature en 1957, et qui répondait au nom d´Albert Camus. Et bien, vous avez vu juste, le Meursault évoqué par Kamel Daoud est bel et bien le Meursault de L´Étranger de Camus, roman qui commence par ce paragraphe que l´on n´est pas près d´oublier : «Aujourd´hui, maman est morte. Ou peut-être hier, je ne sais pas. J´ai reçu un télégramme de l´asile : Mère décédée. Enterrement demain. Sentiments distingués». Cela ne veut rien dire. C´était peut-être hier».Comment se fait-il ?Meursault,contre-enquête est-il une espèce de suite de L´Étranger, le genre de livre dont sont normalement friands les lecteurs des romans dits populaires ? Ce serait pousser un peu trop loin la méfiance envers le talent de Kamel Daoud qui est immense. Non, pas du tout.  L´histoire de Meursault est vue sous un tout autre angle : celui du frère de l´Arabe tué par Meursault lui-même.
Haroun, le narrateur qui égrène un monologue interminable soir après soir dans un bar d´Oran soixante-dix ans après les faits, est donc le frère de «l´Arabe», le personnage de L´Étranger  à qui  Camus n´attribue pas de nom. Ceux qui ont lu le roman se rappellent peut-être le moment où, ébloui par le reflet du soleil sur la lame que l´Arabe avait sorti à sa vue, Meursault prend le revolver qu´il avait sur lui et tire sur l´Arabe. Il le tue d´une seule balle mais les coups de feu ne s´arrêtent pourtant pas là : «C´est là, dans le bruit à la fois sec et assourdissant, que tout a commencé. J´ai secoué la sueur et le soleil. J´ai compris que j´avais détruit l´équilibre du jour, le silence exceptionnel d´une plage où j´avais été heureux. Alors, j´ai tiré encore quatre fois sur un cœur inerte où les balles s´enfonçaient sans qu´il y parût. Et c´était comme quatre coups brefs que je frappais sur la porte du malheur». À l´audience, Meursault indique qu´il n´avait pas l´intention de tuer l´Arabe et qu´il avait commis le crime à cause du soleil, déclenchant ainsi des éclats de rire dans la salle.
Dans Meursault, contre-enquête– qui avec L´Étranger on lira peut-être un jour tel un diptyque, selon Macha Séry, journaliste au Monde des Livres- l´Arabe porte bien un nom, Moussa. Oui, Moussa, le fils d´une typique famille algérienne des années quarante, sans espoir, vivotant au gré des besoins, un père qui se volatilise et la mère femme de ménage parfois dans des maisons d´étrangers, surnommés les roumis. Le regard de certains voisins, entre la méfiance et la compassion, une atmosphère de colère rentrée ou la misère, tout cela peuple le quotidien de cette famille (et de tant d´autres familles algériennes). Dans le roman de Camus, l´Arabe n´a pas de nom, puisqu´en effet un Algérien n´était justement que ça pour les colons français : un Arabe et c´est tout (encore aujourd´hui en France, c´est ainsi que l´on fait souvent allusion aux ressortissants du Maghreb, les Arabes). Dans le roman de Daoud, il a un nom, mais il sombre dans l´anonymat, sa mère ne recevant aucune allocation pour la mort de son Moussa adoré. Néanmoins, il reste omniprésent dans sa vie, à telle enseigne que Haroun ne peut vivre que dans l´ombre et le souvenir de l´absent.
Si Meursault contre-enquête peut être lu comme une sorte d´hommage à L´Étranger, il met également en scène le problème de l´identité et questionne l´Algérie contemporaine. Devant son interlocuteur français(un universitaire camusien ou un être purement imaginaire ?), Haroun évoque les autres «Moussa» du bar et fait d´une certaine façon un pied de nez à la génération qui envisageait l´indépendance comme l´aurore d´une ère nouvelle : «On va juste regarder tous les autres Moussa de ce bouge, un par un, et imaginer, comme je le fais souvent, comment ils auraient survécu à une balle tirée sur le soleil ou comment ils ont fait pour ne jamais croiser ton écrivain, ou enfin, comment ils ont fait pour ne pas être encore morts. Ils sont des milliers, crois-moi. À traîner la patte depuis l´Indépendance. À déambuler sur des plages, à enterrer des mères mortes et à regarder dehors pendant des heures depuis leur balcon. Putain ! Ce bar me rappelle parfois l´asile de la mère de Meursault : même silence, même vieillissement discret et mêmes rites de fin de vie». Comme si ces personnages ne vivaient que pour attendre la mort, qui met quand même du temps à venir, puisque ne dit-on pas d´ordinaire qu´en Afrique-et donc en Algérie- les heures sont plus longues ?
Dans son adolescence, Haroun déménage  d´Alger (quartier de Bad-el-Oued) à Hadjout (anciennement Marengo) avec sa mère, une mère qui semble souvent s´en prendre à lui, comme s´il était coupable de rester vivant alors que Moussa n´était plus de ce monde : « Chez nous, la mère est la moitié du monde. Mais je ne lui ai jamais pardonné sa façon de me traiter. Elle semblait m´en vouloir pour une mort qu´au fond j´ai toujours refusé de subir, alors qu´elle me punissait. Je ne sais pas, j´avais en moi de la résistance et elle le sentait confusément». D´Alger, où il ne retournera qu´une fois en 1963, Haroun ne gardera jamais un bon souvenir. Sans doute ne souscrirait-il jamais à ces phrases de Camus datées du 18 mars 1941 que l´on retrouve dans ses Carnets : «Les hauteurs au-dessus d´Alger débordent de fleurs au printemps. L´odeur de miel des roses jaunes coule dans les petites rues. D´énormes cyprès noirs laissent gicler à leur sommet des éclats de glycine et d´aubépine dont le cheminement reste caché à l´intérieur. Un vent doux, le golfe immense et plat. Du désir fort et simple-et l´absurdité de quitter tout cela».*
À Hadjout-où est censée être enterrée la mère de Meursault-, ils finissent par aller vivre dans une ancienne maison de colons français-«C´est presque une tradition ici, quand les colons s´enfuient, ils nous laissent souvent trois choses : des os, des routes et des mots…ou des morts»-, l´heure de l´indépendance sonne et c´est justement le 5 juillet 1962, que Haroun tue, sous le regard complice de sa mère, un colon français, un certain Joseph, ce qui vaut plus tard à Haroun de passer quelque temps en prison, soupçonné d´avoir commis le meurtre, mais surtout-comme le lui affirme un militaire qui l´interroge- coupable de ne l´avoir pas fait en temps utile et au service des forces de libération, coupable à vrai dire de n´avoir pas pris le maquis.
Haroun évoque aussi l´amour et le souvenir de Meriem, une jeune femme aux cheveux châtains très courts, qui frappe un jour à la porte en leur posant (à sa mère et à lui) une question que personne d´autre n´avait jamais posée : «Êtes-vous de la famille de Moussa el-Assasse ?» ; Meriem, une enseignante qui travaille sur un livre où il est question de Moussa et dont Haroun s´éprend. Enfin, Haroun ne peut s´empêcher d´invectiver la religion : «La religion pour moi est un transport collectif que je ne prends pas(…) je déteste les religions et la soumission».
Meursault, contre-enquête est assurément un des meilleurs romans publiés cette année en France. Un roman qui confirme que les écrivains algériens s´exprimant dans la langue de l´ancien colonisateur continuent à enrichir la littérature de langue française d´une originalité, d´un goût de l´invective, d´une rénovation des sujets et des procédés littéraires qu´en France- où la fantaisie s´est un peu flétrie- on n´apprécie pas encore à sa juste mesure.
Un livre qui aurait sans doute enchanté Albert Camus et qui permet à Kamel Daoud de s´affirmer comme une valeur sûre dans le cadre de la littérature contemporaine d´expression française.

*Albert Camus, Carnets I (mai 1935-février 1942), collection Folio, éditions Gallimard, Paris, 2013.

Kamel Daoud, Meursault, contre-enquête, éditions Actes-Sud, Arles, 2014(Le livre avait déjà paru au préalable aux Editions Barzakh, Alger, 2013).

À lire également:
Kamel Daoud, Le Minotaure 504, éditions Sabine Wespieser, Paris, 2011 (publié en 2010 à Alger aux Éditions Barzakh).

  

dimanche 14 septembre 2014

Centenaire de la naissance d´Adolfo Bioy Casares



 

Ce lundi, 15 septembre, on signale le centenaire de la naissance du grand écrivain argentin Adolfo Bioy Casares. Né à Buenos Aires, il est mort dans la même ville le 8 mars 1999.
Marié à Silvina Ocampo, écrivain elle aussi et sœur de Victoria Ocampo, grande dame de la littérature et de l´édition en Argentine, Bioy Casares a écrit nombre de fictions relevant pour la plupart des genres fantastique ou  policier. Il a également  écrit  des livres en collaboration avec Jorge Luis Borges dont Seis problemas para Don Isidro Parodi (Six problèmes pour Don Isidro Parodi), Cronicas de Bustos Domecq(Chroniques de Bustos Domecq) ou Nuevos cuentos de Bustos Domecq(Nouveaux contes de Bustos Domecq). Bioy Casares et Borges se sont liés d´amitié en 1932. Ainsi en 2006, une sélection des journaux de Bioy Casares où il est question des idées et affirmations de Borges, a-t-elle vu le jour, justement intitulée Borges.
Parmi les principales œuvres  de Bioy Casares on se permet de citer : La invención de Morel (L´invention de Morel) ; El sueño de los Héroes(Le songe des Héros) ;Diario de la guerra del cerdo(Journal de la guerre aux cochons) ;Dormir al sol(Dormir au soleil) ou Historias fantásticas(Histoires fantastiques).   
Adolfo Bioy Casares a reçu le prix Cervantès, la plus haute distinction des lettres en langue espagnole, en 1990, et il est un des noms incontournables de la littérature argentine du vingtième siècle

vendredi 5 septembre 2014

Le centenaire de Nicanor Parra



 

Le Chili sera en fête ce 5 septembre pour célébrer le centenaire  du grand poète Nicanor Parra, toujours vivant à ce jour.
 Dans les archives de ce blog, vous pourrez retrouver un court article que je lui ai consacré lorsqu´il a été couronné du prix Cervantès, le plus important des lettres hispaniques (voir archives de décembre 2011).