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Féru de littérature française et étrangère, ma plume sévit dans diverses colonnes de journaux, de sites internet pour partager ce goût qui m´anime. Que détracteurs ou admirateurs n´hésitent pas à réagir à mes chroniques.

dimanche 27 avril 2014

Chronique de mai 2014



 



César Fauxbras et la dèche à Paris dans les années trente.



On a déjà beaucoup écrit sur les années trente du vingtième siècle où la crise économique sévissait, notamment sur l´Europe et les États-Unis. Quand on évoque cette période, il me vient toujours à l´esprit l´excellent livre autobiographique de George Orwell Down and Out in Paris and London, traduit en français par Dans la dèche à Paris et à Londres, qui dépeint on ne peut mieux la misère dans ces deux grandes villes européennes dans les années vingt et le début des années trente. Quoi qu´il en soit, il n´y a pas tellement de fictions traduisant les affres et la misère vécues par un chômeur français à Paris en ce temps-là.  Un des auteurs qui ont su le mieux décrire le quotidien de ces gens en proie aux coups de boutoir de cette terrible crise économique fut César Fauxbras.
César Fauxbras était le pseudonyme de Kléber Gaston Gabriel Alcide Sterckeman, né à Rosendaël le 30 janvier 1899 et mort à Paris le 22 août 1968. Il fut aussi journaliste et  syndicaliste. Dynamique, courageux et aventurier, il s´est engagé à l´âge de 15 ans comme mousse à bord de l´Armorique, ayant aussi servi sur le cuirassé Danton lors de la Première guerre mondiale et dans les bases de Bizerte, Alger et Sidi Abdallah. Avant de clore cette carrière maritime, il a reçu le 25 avril  1922 son Brevet  de Capitaine de la Marine Marchande.
Au début des années trente, grâce aux bons soins de Max Frischer, éditeur à Flammarion, César Fauxbras publie son premier roman : Jean Le Gouin, inspiré par son expérience personnelle de marin. Pourtant, son livre le plus poignant, un des témoignages littéraires les plus singuliers sur la vie des chômeurs pendant les années trente en France, est sans conteste Viande à brûler, paru en 1935 et pressenti pendant quelques semaines pour le prix Goncourt de cette année-là, un prix qui a fini par couronner le roman  Sang et lumières de Joseph Peyré.
Viande à brûler qui vient d´être réédité par les éditions Allia-qui est en train de publier toute l´œuvre de César Fauxbras- présente comme sous –titre Journal d´un chômeur. Cette édition est agrémentée d´une belle postface d´Anthony Freestone qui nous fournit des données fort intéressantes sur cette œuvre et son succès à l´époque. Ainsi apprend-on qu´entre octobre 1935 et janvier 1936 plus de soixante-dix articles paraissent dans la presse avec pour la plupart des commentaires fort élogieux. Anthony Freestone reproduit aussi les paroles d´ Yves Gandon qui, dans un article de L´Intransigeant du 22 octobre 1935, écrit sur sa rencontre avec César Fauxbras qu´il décrit de la sorte: «César Fauxbras est un homme libre : quinze années de navigation lui ont inspiré un éloignement insurmontable de tout ce qui ressemble au travail confiné, à l´internement, à la cage à mouches. Au physique, un petit homme brun, nerveux, râblé. Un béret basque, emboîte le front têtu sous lequel éclatent des yeux perçants, d´un noir de houille. On cherche un mot pour le peindre, et l´on trouve celui-ci : un corsaire…». Enfin, le postfacier nous donne aussi des informations sur les raisons qui auraient peut-être empêché ce livre de se voir décerner le prix Goncourt.
 Viande à brûler est le journal d´un certain Paul Thévenin, un ancien fondé de pouvoir d´une prestigieuse entreprise, qui se retrouve chômeur dans une France des années trente fustigée par la crise économique. Séparé (mais non divorcé) de sa femme Simone Bertrand qui aime mener grand train et ne se contente pas d´un mari qui n´a plus le sou (elle, qui avait été dans sa jeunesse militante communiste, raison pour laquelle L´Humanité est plutôt discret devant ce nouveau livre de Fauxbras, alors qu´il n´avait pas tari d´éloges sur les deux premiers), Thévenin habite un petit hôtel dirigé par un certain Rouchot- qui ne voit pas d´un bon œil les chômeurs qui y pullulent- à qui il demande un certificat de domicile. Ce certificat en main, Thévenin s´adresse d´abord au commissariat puis au Service du Chômage qu´il décrit comme «une espèce de hangar, coupé par une cloison longitudinale afin que les serviettes et les torchons, je veux dire les bureaucrates et les chômeurs, ne se mélangent point».
Dans ce Service du Chômage, Thévenin se lie d´amitié avec Chouard, un  autre chômeur qui le convainc d´aller vivre dans son hôtel, «sis dans une ruelle infâme, au milieu d´un îlot insalubre», tenu par Madame Desvaeaux. La moue de dégoût de Thévenin n´échappe pas à Chouard qui soutient qu´ au bout d´un mois son nouvel ami n´en verrait plus la lèpre ni n´en sentirait plus les relents. Chouard n´avait pas tout à fait tort puisque dans le dénuement on finit par s´habituer à des choses que l´on eût négligées aux temps des vaches grasses. Dans cette nouvelle demeure, Thévenin aura affaire à une foule de personnages qui vont amenuiser en quelque sorte la douleur de son quotidien : les époux Voulaz et leur fille, la petite Guiguitte, Jeannette, la bonne, Barjon, Robert ou Georges Tillier, dit Jojo. Ce dernier, licencié ès lettres, mention histoire, est un type qui, selon Chouard «cause un tas de langues, qui te trouverait des fautes d´orthographe dans le dictionnaire et qui te dirait quel jour Nabuchodonosor a fait sa première communion», mais qui aurait préféré n´avoir aucun diplôme : «Ainsi à mon âge, vingt-cinq ans, je serais manœuvre, ajusteur ou gratte-papier. Je gagnerais trente ou quarante francs par jour. Quarante francs par jour ! Et en cas de chômage, j´aurais droit à l´allocation. Les chômeurs sont des parias : je suis, moi, un paria entre les parias».
Jojo voit juste puisque les chômeurs sont vus d´ordinaire comme des parias, des fainéants, des gens sans esprit aventurier qui n´auraient pas eu l´entregent de dégotter un nouvel emploi après avoir à peine perdu l´ancienne occupation, comme si l´on pouvait dénicher un travail à chaque coin de rue. Thévenin, il a bien pu en décrocher un, une place de magasinier à Clichy dans la Société Industrielle de Roulement à Billes. Il n´y est néanmoins resté qu´une semaine, étant viré à la suite d´une plainte d´un client. C´est, cela va sans dire, l´excuse et Thévenin l´a bien compris, prétexte pour que l´auteur mette sur la bouche de son personnage une réflexion pertinente sur les ennemis du peuple : «Et me voici redevenu chômeur, par la faute d´un travailleur, ce qui me remplit d´amertume. La satisfaction dérisoire de maudire les patrons, les capitalistes, les bourgeois, ennemis du peuple reconnus comme tels, m´est refusée : je suis victime d´un exploité, d´un «frère de misère». Mais les pires ennemis du peuple ne sortent-ils pas du peuple ? La bourgeoisie, depuis qu´elle règne, n´a-t-elle pas recruté ses soutiens parmi les prolétaires ? Le capitalisme survivrait-il un seul jour à la défection de la police, de la garde mobile, de l´armée de métier, toutes issues de la plèbe ? (…)».
En butte aux insinuations d´indolence ou d´escroquerie de la part du Service  du Chômage ou de la mairie, à Paul Thévenin et aux autres chômeurs qui doivent compter leurs sous quotidiennement, il ne reste que les liens de solidarité tissés dans la dèche et l´espoir que l´avenir pourrait changer un jour. Pourtant, Thévenin, comme on le verra à la fin du roman, n´y croit pas…
Ironique, d´une langue quelque peu débraillée et un brin argotique,  Viande à brûler est un livre d´une actualité étonnante, au moment où en Europe les chômeurs sont légion et où l´on est témoin, malgré l´ abondance accumulée et le progrès technologique, d´ une régression civilisationnelle et de la dictature des marchés financiers.
«Un curieux homme, écrivain en marge que Vallès eût aimé», comme l´a écrit Yves Gandon dans l´article de l´Intransigeant cité plus haut, César Fauxbras prétendait ne dire que ce qu´il avait vu et avoir habité l´hôtel pour chômeurs où gravitaient les personnages de Viande à brûler, puisque, de son propre aveu, il ne visait qu´à être un bon photographe. Journaliste particulièrement actif dans les années 35-36, écrivant chaque semaine des articles pour le journal L´Œuvre et pour l´hebdomadaire Le Merle Blanc, il poursuit en concomitance son œuvre d´écrivain combatif et anarchisant. Pourtant, les années suivantes ne seraient nullement pour lui une partie de plaisir.  En 1939, pour un article paru dans Solidarité Internationale Antifasciste, il est condamné pour cause de propagande anti- nataliste et en 1940 il est fait prisonnier à un Stalag à Kaiserstenbruck, en Autriche d´où il est libéré en 1941.  Après la guerre, il écrit deux livres importants qui n´ont paru qu´en 2011 et 2012 respectivement, grâce aux éditions Allia, d´abord La Débâcle, propos recueillis par l´auteur de soldats prisonniers de guerre en 1940, puis Le Théâtre de l´Occupation, son propre journal tenu pendant la guerre.
Presque cinquante ans après sa mort, grâce aux éditions Allia et au travail de recherche de quelques enthousiastes dont Anthony Freestone et Matt Perry, nous avons pu découvrir l´œuvre de cet écrivain tombé dans l´oubli qui semble maintenant renaître des cendres. César Fauxbras est un auteur immense qui honore on ne peut mieux la tradition littéraire française. 

César Fauxbras, Viande à brûler, postface de Anthony Freestone, éditions Allia,  Paris 2014.

A lire également :
La Débâcle, éditions Allia, Paris, 2011.
Le Théâtre de l´Occupation, éditions Allia, Paris, 2012.



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