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Féru de littérature française et étrangère, ma plume sévit dans diverses colonnes de journaux, de sites internet pour partager ce goût qui m´anime. Que détracteurs ou admirateurs n´hésitent pas à réagir à mes chroniques.

jeudi 10 avril 2014

Article pour Le Petit Journal



Je reproduis ici un article que j´ai écrit pour Le Petit Journal(édition Lisbonne) sur le dernier livre du poète français Philippe Despeysses et qui fut publié le 8 avril. 
  


L´Alentejo, entre terre et horizon.



 









Au sud de Lisbonne, de l´autre côté du Tage, l´écrivain -marcheur, poète et journaliste Philippe Despeysses plonge dans ce que nous appelons au Portugal l´Alentejo profond. Alentejo signifie en portugais au- delà du Tage et Philippe Despeysses  en est tombé sous le charme. Né en 1950 en Ardèche, il vit à Lisbonne depuis 2007 et il est l´auteur de nombreux livres de poésie dont Carnets de l´Instant (2010), une balade poétique dans la ville de Lisbonne, ou Comme les restes d´une vague(2012), une errance le long de l´Océan Atlantique sur la côte portugaise. Comme on nous le rappelle dans la quatrième de couverture de son dernier livre, Lignes de Terre et d´Horizon, son travail est rattaché à une certaine «géopoétique» inaugurée par le poète écossais (de langue anglaise naturellement, mais aussi française) Kenneth White, autour des années 70-80 dans le paysage poétique français.
Dans ce dernier livre, Lignes de Terre et d´Horizon, Philippe Despeysses rend un hommage à l´Alentejo, non pas l´Alentejo des dépliants touristiques, mais un autre Alentejo, transfiguré certes par le regard et l´errance du poète, mais néanmoins-ou justement pour cette raison même -fidèle à son enseigne. L´Alentejo des maisons blanchies à la chaux, d´une tasca(petite auberge portugaise simple et traditionnelle) aperçue à la tombée de la nuit, du son des  cloches entendu  d´on ne sait quel lointain passé. L´Alentejo réel n´est-il qu´un étroit chemin vers un autre Alentejo qui pointe à l´horizon ?
Quoi qu´il en soit, le poète semble marcher vers une plaine qui l´attend les bras ouverts : «Tu pars vers le Sud/direction au-delà du fleuve/le long des routes des cigognes/du chemin des rizières/La plaine attend, t´attend/il te faudra traverser la vallée du Cão/croiser quelques salines». Mais peut-être n´est-ce que le rêve du poète, la plaine n´est-elle qu´un miroir oublié où l´on croise des mutants qui se déplacent vers d´autres contrées : « Dans la plaine oubliée/ on croise souvent des mutants/ burinés par le vent incessant/ boursoufflés de soleil/ les yeux hagards/ en phase de décollage/ vers des contrées secrètes/ que personne ne veut imaginer».
La plaine, on ignore d´ailleurs ce qu´elle est au juste, être irréel que l´on n´est pas en mesure de saisir : «La plaine est comme un tremblement/nous n´y sommes que des inscriptions fugitives/les pages de la terre s´y froissent à tout instant/il faudrait pouvoir saisir les phrases qu´elle nous souffle». 
En route vers  un horizon aperçu, mais inconnu, on peut entendre le bruissement de voix ou une musique qui revient de loin : «Ces voix dans le lointain/on les croirait perdues/par instants elles nous parlent/résonnent dans nos têtes/elles ramènent de la nuit/des effluves de poèmes/une musique oubliée».
Le poète quitte les collines où il ne se sent pas libre, interpelle une autre voix qui fait irruption dans ses poèmes («Tu manges la terre» ; « tu veux disparaître puis renaître»). Parfois, il marche à la nuit tombante ou sous« une lumière matinale aux nuances de lait», plonge dans des paysages inondés de soleil, regarde le ciel et les étoiles,  perçoit le printemps en train d´éclore. Au fur et à mesure que son âme vagabonde foule la terre, il dessine ce que Bruce Chatwin a appelé une anatomie de l´errance.
L´Espagne est toute proche, l´Espagne de «cal y canto»*, comme si l´ombre solitaire de  Rafael Alberti (ou de García Lorca, Vicente Aleixandre ou un autre poète andalou, quel qu´il fût) rendait visite à une sombre plaine de l´Alentejo.  Néanmoins, le poète sort du temps, oublie le passé -où sont passées les «Caravelles» de Vasco da Gama, né à Sines, en Alentejo, justement, ou de Christophe Colomb qui selon la légende aurait séjourné aussi en Alentejo, à la ville de Cuba ?- oui, il oublie le passé et «la poésie reste mon seul guide/cette rumeur discrète/dont j´aperçois l´éclat tout au loin».
Écrivain-marcheur, poète, journaliste, on l´a écrit plus haut, on dirait aussi un passeur. Philippe Despeysses avec ces écritures poétiques prouve une nouvelle fois, après Carnets de l´Instant puis Comme les restes d´une vague, qu´il est au sommet de son art. Un art buriné où les paroles sont portées par un souffle poétique. Le souffle de ce  vent doux d´Alentejo chanté par une voix française singulière et chaleureuse. 

*Titre d´un livre de poèmes de Rafael Alberti.

Philippe Despeysses, Lignes de Terre et d´Horizon, Éditions de la Mouette, Sète, France, 2014.




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