Qui êtes-vous ?

Ma photo
Féru de littérature française et étrangère, ma plume sévit dans diverses colonnes de journaux, de sites internet pour partager ce goût qui m´anime. Que détracteurs ou admirateurs n´hésitent pas à réagir à mes chroniques.

samedi 28 septembre 2013

Chronique d´octobre 2013

Turin, Italie

                    

                                           L´Italie de Josep Pla.


Il est des territoires qui, plutôt que des pays, configurent avant tout une certaine idée de la vie, une philosophie de la joie, une civilisation du plaisir et du bonheur.  Peu de pays autres que l´Italie peuvent se piquer d´une telle réputation. Le long des siècles, ce pays (ou les républiques qui le composaient puisque l´unité italienne comme chacun le sait ne s´est amorcée que vers 1861) a fait noircir nombre de pages illustrées des rêveries les plus envoûtantes, jaillies de la plume d ´écrivains de toutes les latitudes. Pourrait-on -pour n´en citer qu´un des exemples les plus représentatifs du genre- évoquer l´œuvre d´Henri Beyle dit Stendhal en faisant l´impasse sur l´Italie ? Les Italiens d´ailleurs lui ont toujours été assez reconnaissants, eux qui n´ont cessé de rappeler depuis lors l´amour du génie français pour leur pays, soit par des écrits que les écrivains de la péninsule lui ont consacrés (voir entre autres L´adorabile Stendhal de Leonardo Sciascia) soit en lui rendant les plus chaleureux hommages y compris en lui attribuant un nom d´hôtel à Rome et à Parme. On dirait qu´avoir un hôtel qui porte le nom d´un écrivain relèverait plutôt du fait divers (pour Stendhal, il y en a aussi un à Paris). Est-ce vrai ? Combien de villes au monde peuvent-elles se prévaloir d´avoir un hôtel portant le nom d´un écrivain, qui plus est étranger ? Je n´ai jamais fait de recherche là-dessus, mais je hasarderais qu´elles sont très peu nombreuses. Pour la petite histoire, il me vient à l´esprit en ce moment qu´à Lisbonne il y a bien au quartier de Chiado, dans la vieille ville, tout près de chez moi,  un hôtel Borges, mais tout rapport avec le célèbre écrivain argentin ne serait que pure coïncidence, le patronyme Borges étant relativement courant au Portugal (tant et si bien que Jorge Luis Borges avait curieusement un arrière- grand-père portugais). Quoi qu´il en soit, on peut toujours se servir de son imagination et de sa mémoire pour inventer des rapports littéraires. Ainsi l´emplacement d´une petite statue de Fernando Pessoa au café A Brasileira(La Brésilienne) juste à côté de l´hôtel Borges peut-il  faire rêver à un dialogue improbable entre les deux écrivains. Ou alors le souvenir d´un voyage que j´ai fait à Cuba en 2007 où j´ai rencontré un jeune couple espagnol de Barcelone qui avait choisi de passer sa lune de miel à Lisbonne et de descendre chez Borges justement parce que cet hôtel portait le nom du génie argentin. Mais puisque je verse trop dans la digression-et pour en rester encore quelques secondes à Borges, rappelons que dans L´Histoire de l´éternité(1), en citant De Quincey, il évoque l´épisode de ce gentilhomme qui lors d´une discussion théologique ou littéraire s´est vu jeter du vin à la figure ; ne se formalisant nullement, il répond à son interlocuteur :«ce que vous venez de faire, monsieur, est une digression, j´attends votre argument»-arrêtons donc les digressions et avançons vers les arguments.
Cette évocation de l´Italie surgit à la suite de ma lecture récente  d´un livre de voyages sur l´Italie écrit par  un auteur espagnol et en langue catalane : Cartes d´Itàlia(Lettres d´Italie) de Josep Pla.
On ignore peut-être que la langue catalane a une tradition littéraire plutôt riche. Elle n´est pas parlée qu´en Catalogne, en Espagne, mais aussi dans la principauté d´Andorre (dont elle est d´ailleurs la langue officielle), dans le sud de la France (dans ce que l´on pourrait dénommer la Catalogne Française) et en Italie, dans une petite communauté de la Sardaigne qui répond au nom d´ Alghero (Alguer, en catalan).
Le long des siècles, de grands noms se sont singularisés par l´excellence de leur travail littéraire en langue catalane, comme au Moyen âge  Ramon Llull(XIIIème siècle), Ausiàs March et Joanot Martorell(XVème siècle). Après des siècles de déclin, la littérature en langue catalane a pris un nouvel essor à partir du dix-neuvième siècle jusqu´à nos jours.
Au vingtième siècle, Josep Pla en fut un des noms les plus emblématiques. Né en 1897 à Palafrugell et mort à Llofríu en 1981, francophile, il fut écrivain mais aussi journaliste, son talent étant disséminé par nombre de chroniques souvent rassemblées en livres et plus récemment dans ses œuvres complètes (47 volumes et plus de trente mille pages !). Son œuvre la plus connue est sans l´ombre d´un doute son journal littéraire Quadern gris(Le cahier gris) (2). Pourtant, force insinuations ont terni son image de journaliste indépendant, d´aucuns ne lui ayant jamais pardonné son rôle passif voire de soutien timidement avoué à la cause franquiste. Entre-temps, ces ressentiments se sont paraît-il estompés. Quoi qu´il en soit, les prises de positions qu´il a assumées et les opinions politiques qu´il a exprimées le long de sa vie ne peuvent nullement entacher cela va sans dire sa réputation de grand prosateur de la langue catalane. Il fut un sacré voyageur et dans ses innombrables périples, il n´a jamais cessé de coucher sur le papier ses impressions tout court, les paysages qui l´ont ébloui, un regard qui l´a fasciné, le portrait qu´il a brossé d´un personnage atypique. Ainsi le livre Cartes d´Itàlia est-il un des exemples les plus achevés de cet enthousiasme que Josep Pla ne pouvait s´empêcher de traduire en mots simples, percutants et réjouissants. Ce livre rassemble une foule de textes que Josep Pla a rédigés dès son premier séjour en Italie dans les années vingt jusqu´à la date de sa parution en 1954. Si l´Italie a pas mal changé depuis-on le sait bien et il ne pouvait en être autrement- ce livre garde néanmoins toute sa fraîcheur et son actualité, non seulement parce que certaines caractéristiques typiquement italiennes demeurent intactes, mais également parce qu´il est le fruit du regard primesautier d´un fin observateur de la réalité transalpine.
 On n´ignore pas qu´un voyage en Italie, en principe, ne laisse personne indifférent et marque à jamais la vie de ceux qui l´ont entrepris, pour le meilleur et pour le pire. Ainsi Plà nous rappelle-t-il  que Maurice Barrès, déjà vieux, interrogé sur ce qu´il lui plairait de refaire, aurait répondu : «avoir à nouveau vingt ans et faire le premier voyage en Italie».
 L´Italie des bons vins et des mille variétés de pâtes, oh la pâte italienne, la  célèbre pasta asciutta, une des quatre choses tangibles et concrètes qui selon notre chroniqueur catalan ne semblent pas de ce monde et  nous transportent dans un terrain idéal, les trois autres étant la sculpture grecque, deux ou trois chants du Paradis de Dante et l´amour filial. Mais aussi connue que la pasta surtout la pasta all sugo ou alla bolognese est l´école d´avocats napolitains, une école qui a eu comme grands maîtres Tarantini, Nicola Amore, Manfredi ou Ruffa. Or, Plà nous raconte qu´un  jour ce dernier, Ruffa- avocat d´un accusé qui avait avoué ses crimes-se met à chanter les beautés de Capri et Sorrento avec une telle intensité que les membres du jury, nés dans ces deux villes, ont rendu un verdict inattendu : l´absolution de l´accusé !
Les Italiens sont d´ailleurs-on le sait- les champions de l´emphase, de la gesticulation, du baroque. Dans nul autre pays que l´Italie aurait pu surgir une personnalité comme Gabriele d´Annunzio(1863-1938). Cet écrivain, symbole du décadentisme italien et prince de Montenevoso, fasciste, excessif, grotesque, autrefois célèbre et de nos jours totalement oublié, ou du moins qu´on ne lit plus, fut presque un personnage de roman.  Militariste, il a mené en 1919 un spectaculaire coup paramilitaire avec des légionnaires pour occuper la ville de Fiume(3) -et contester ainsi la formation de l´État libre de Fiume- que les Alliés rechignaient à rattacher soit à l´Italie soit au nouveau Royaume de Yougoslavie.  Ce régime aux méthodes répressives-qui a duré quasiment seize mois- a quand même instauré dans les derniers mois la Carta del Carnaro(Charte du Carnaro),une sorte de Constitution locale, rédigée par le syndicaliste Alceste de Ambris et revue par D´Annunzio lui-même et qui était très en avance sur d´autres Constitutions soi-disant progressistes, proposant des normes telles le suffrage universel masculin et féminin, la liberté d´opinion et de religion, l´habeas corpus et la dépénalisation des drogues, du nudisme et de l´homosexualité. La Charte déclarait en outre la musique comme le principe fondamental de l´État. Pla dédie quelques lignes aussi à D´Annunzio et au baroque dont voici un extrait : «Dans la littérature italienne moderne, le remplacement de la force para la férocité et du sentiment par le sentimentalisme fut  principalement promu par Gabriele D´Annunzio. Le baroque est une forme de vie caractérisée par le manque absolu de frontières entre la bonté et la méchanceté-pour l´aisance dont on peut passer, frivolement, des caprices au fanatisme, du bien au mal, sans solution de continuité. Le baroque est volubilité, instinct, irrationalité couverte par une hypocrisie qui prétend s´inspirer en la littérature humaniste et la tradition classique. D´Annunzio, plutôt que le créateur fut le prétexte pour l´éclosion du dannunzianisme, confluence de rhétorique, d´amoralité et de multiples instincts d´infériorité» Plà établit  par-dessus le marché une parenté inversée via le baroque entre D´Annunzio et Edmundo D´Amicis, l´auteur de Cuore : «D´Annunzio pour la férocité frivole et D´Amicis pour le sentimentalisme pleurnichard. En réalité, ils sont l´avers et l´envers du baroque. D´Amicis  n´est au fond  qu´un D´Annunzio raté et déçu.»      
Pla consacre quelques pages, naturellement, aux illustres voyageurs qui l´ont précédé dont Goethe-«Le voyage en Italie de Goethe est encore un voyage purement archéologique avec son conséquent apport à cette chose horrible nommée le folklore»-et surtout Stendhal qui contrairement à Goethe aurait su mieux comprendre l´essence des Italiens, malgré des réserves qu´il émet tout de même vis-à-vis du génie français : «Stendhal fut le premier qui est parti de l´idée qu´en Italie il y a bel et bien des Italiens. J´ignore si Stendhal avait une idée claire et correcte des Italiens. La psychologie stendhalienne des Italiens, considérant ceux-ci essentiellement comme une incarnation de la passion, de la véhémence, de certaines formes de musicalité et avec une prédisposition à créer ce que l´on nommait la «beauté idéale» est probablement fausse. Stendhal confondait la capacité de compréhension(…) avec la passion qui est une chose fort différente(…) Le plus important c´est quand même de s´être rendu compte que l´Italie est plus qu´une vitrine, non seulement un passé aux œuvres certes impressionnantes, mais aussi un présent indiscutable et formidable.»
La peinture et la sculpture passent aussi sous la plume chatoyante de Josep Pla : De Vasari, Piero della Francesca, Uccello, Michel-Ange, le sépulcre de Dante à Ravenne, l´importance de la musique, des musées, des monuments, des églises, autant  de noms et de situations que l´écrivain catalan n´oublie pas. Tout comme d´ailleurs le portrait des villes qu´il a visitées : les gondoles et les palais de Venise ; la place de Pratto della Valle à Padoue où l´on dénombre les statues de 78 professeurs universitaires( !) ; Milan qui ressemble à une ville d´Europe Centrale ; la splendeur médiévale de Sienne ; Trieste et la piètre impression que cette ville mythique lui a causée ; Florence et la phrase de Charles Maurras («Toute la vie Maurras a écrit que le meilleur sanatorium pour une désintoxication de romantisme politique est l´histoire de Florence») ; le sentimentalisme qui peut devenir terriblement corrosif à Naples ; Vérone et les amants célèbres ; Parme et la Chartreuse de Stendhal qui n´a jamais existé ; Bologne, ses librairies et son anticléricalisme ;enfin-avant que l´on ne perde le souffle !- Turin, pour l´auteur, la ville la plus distinguée d´Italie. D´autres villes où il a séjourné font également l´objet de ses commentaires (qu´il serait inutilement fastidieux de mentionner ici), des villes où souvent l´industrialisation –malgré le manque d´organisation dont les Italiens sont d´ordinaire affublés-n´a pas entamé l´excellence de l´urbanisme.
Josep Pla a fait également un petit détour par Saint-Marin où  d´après lui, il paraît que l´on n´y va que pour écrire des cartes postales à la famille ! À chaque arrêt, lors d´un voyage d´autobus, il y a toujours des touristes prêts à écrire des cartes postales immortalisant leur séjour dans un des Etats indépendants les plus petits d´Europe.
Bref, ce livre de Josep Pla est,  à tous titres, remarquable et un régal pour tous les amants de ce pays merveilleux qu´est l´Italie.
Je prends congé en vous laissant un commentaire fort élogieux de ces Cartes d´Itàlia  de Josep Pla-que l´on trouve dans la quatrième de couverture du livre-  écrit par un autre grand nom de la littérature catalane dont on a signalé le centenaire en juillet dernier, le poète Salvador Espriu(1913-1985) : «Des yeux et une intelligence d´une singulière lucidité ont regardé et compris lentement, en l´espace de plusieurs années, le pays de notre prédilection, le pays le plus important au monde. Pla et l´Italie : pour un sujet complexe et difficile, pour un sujet aussi large, un écrivain qui en soit digne».
Josep Pla, Cartes d´Itàlia, Edicions Destino, Barcelone, 2009.

(1)    Jorge Luis Borges, Historia de la eternidad, Biblioteca Borges numéro 5, Alianza Editorial, 9ème édition, Madrid, 2005 (en français en ce moment, il paraît que ce titre n´est disponible que dans Les œuvres complètes de la collection de La Pléiade, Gallimard).

(2)    Josep Pla, El quadern gris, Edicions Destino, Barcelone, 2012(traduction française : Le cahier gris, traduit par Serge Mestre, paru en mars 2013 chez Gallimard).

(3)    Rijeka, en croate.

lundi 23 septembre 2013

La mort d´António Ramos Rosa



Quelques minutes après avoir rédigé mon article précédent sur la mort d´Álvaro Mutis, j´apprends la nouvelle de la mort d´un autre grand poète. Il s´agit cette fois-ci du Portugais António Ramos Rosa.
Né le 17 octobre 1924 à Faro, dans le sud du Portugal, il a publié des poèmes dès les années 50, d´abord dans des revues littéraires puis dans de petites maisons d´édition.En 1958, il a fondé la revue Cadernos do Meio-Dia(Les Cahiers du Midi)qui en 1960 fut interdite par la politique politique du régime fasciste portugais(la Pide).
Son oeuvre est très vaste regroupant autour d´une centaine de titres. Son premier livre O grito claro(Le cri clair) a été  publié en 1958 et le dernier Em torno do Imponderável(Autour de l´Impondérable)  a paru en 2012. Son oeuvre a eté récompensée par quelques prix prestigieux dont Le Pen Club de Poésie Portugaise en 1980, le Prix Pessoa en 1988 et le Prix Jean Malrieu en 1992.
Il fut également essayiste et traducteur. En français, il y a des traductions disponibles d´António Ramos Rosa chez Gallimard(Le cycle du cheval, suivi de Accords, dans la collection Poésie)et chez Lettres vives(Le livre de l´ignorance, Clameurs, Le Dieu nu).
António Ramos Rosa était indiscutablement un des tout premiers poètes portugais contemporains.

La mort d´Álvaro Mutis


On vient d´apprendre la mort, hier en fin de soirée à l´âge de 90 ans(il était né le 25 août 1923), d´un grand seigneur des lettres hispaniques: l´écrivain colombien Álvaro Mutis. 
Prix National de Littérature en Colombie en 1974, Prix Xavier Villaurrutia en 1988, Prix Roger Caillois en 1993,Prix Prince des Asturies des Lettres, Prix Reina Sofia de Poésie Ibero-américaine et Prix Grinzane Cavour, tous les trois en 1997, Prix Cervantès en 2001 et enfin Prix International Neustadt de Littérature en 2002, entre autres distinctions, les prix littéraires n´ont pas manqué à celui qui était considéré à juste titre comme un des écrivains latino-américains  les plus importants. Romancier, poète et essayiste, il est l´auteur notamment de plusieurs romans autour de la figure du marin Maqroll(dont La neige de l´amiral, traduction française de La nieve del almirante, a reçu le prix Médicis étranger en 1989), rassemblés en 1996 en un seul volume intitulé: Empresas y tribulaciones de Maqroll el Gaviero(Tribulations de Maqroll, le Gabier). Ce personnage fait également irruption dans sa poésie, voir à ce propos Summa de Maqroll el Gaviero(traduction française: Et comme disait Maqroll, el Gaviero).
Grand ami de Gabriel Garcia Márquez et d´autres grandes figures de la littérature internationale, Álvaro Mutis a passé son enfance à Bruxelles où son père exerçait des fonctions diplomatiques à l´ambassade de Colombie en Belgique. Il vivait au Mexique depuis 1956.
Les traductions françaises de ses oeuvres sont surtout disponibles chez Grasset(pour la prose) et Gallimard(pour la poésie).