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Féru de littérature française et étrangère, ma plume sévit dans diverses colonnes de journaux, de sites internet pour partager ce goût qui m´anime. Que détracteurs ou admirateurs n´hésitent pas à réagir à mes chroniques.

samedi 28 décembre 2013

Chronique de janvier 2014







Le rat Ferdinand, en fin observateur.

Cette année 2014, on signale, on le sait, le centenaire de l´éclatement de la première guerre mondiale. La mobilisation citoyenne et les conditions de vie inhumaines des tranchées resteront à jamais dans la mémoire collective comme les symboles du premier grand conflit à l´échelle mondiale du vingtième siècle, mais aussi la «désolation absolue» selon les paroles de la romancière américaine Edith Wharton qui, habitant Paris à l´époque et écrivant des chroniques pour le Scribner´s Magazine, a suivi de près la guerre et en a livré ses impressions dans son livre Fighting France. La «désolation absolue» décrivait l´air que l´on respirait à Reims, toute la région de Champagnes-Ardennes ayant été particulièrement touchée. Cette expérience française d´Edith Warthon(qui a collaboré avec la Croix Rouge et s´est vu décerner la Légion d´Honneur) fut récemment rappelée par l´intellectuel espagnol César Antonio Molina, ancien ministre de la Culture d´ Espagne, dans une tribune intitulée «1914 y los fantasmas del pasado» publiée le 15 décembre par le quotidien El País.
Ce n´est donc pas une surprise si en France la parution(ou reparution, dans certains cas) de livres-romans, essais, témoignages-allusifs au conflit s´intensifie, des journaux y consacrant déjà un espace assez considérable à sa mémoire. Par contre, au Portugal, où j´écris ces lignes, l´évocation du conflit est assez ténue alors que le pays y a lui aussi participé, quoique seulement, à vrai dire, à partir de 1917*(contrairement à la seconde guerre mondiale où le gouvernement du dictateur Salazar a opté –du moins officiellement-pour la neutralité jusqu´à la fin du conflit). Je me rappelle bien ces jours de mon enfance où, à l´école, des camarades de classe évoquaient encore les histoires racontées à la maison par des aïeuls anciens combattants et transmises aux générations les plus jeunes. Les raisons qui peuvent justifier ce relatif désintérêt c´est que le Portugal n´a pas vécu  la guerre sur son territoire. Quoi qu´il en soit, la participation portugaise s´est quand même soldée par un épisode traumatique, traduit par la cuisante déconvenue dans la bataille de la Lys le 9 avril 1918 où ont péri autour de 2.000 combattants portugais, le nombre de blessés, prisonniers ou disparus s´élevant à plus de 5.000. Le corps expéditionnaire portugais fut la principale force militaire que le pays a envoyée à la guerre des tranchées en France (autour de 30.000 hommes), bien qu´une autre unité – plus petite- y eût aussi combattu, le Corps d´artillerie lourde portugaise, sous le commandement de l´armée française.
Mais quand à la guerre tout court,  le hasard a voulu qu´il me  fût tombé entre les mains il y a peu un des livres les plus originaux concernant ce premier grand conflit du vingtième siècle : Mémoires d´un rat, suivis de Commentaires du rat Ferdinand, ancien rat de tranchées, reparu en 2008 et réimprimé en 2012(collection Texto, éditions Tallandier), écrit par  Pierre Chaine.
Pierre Chaine est né en à Tenay, dans l´Aine, en 1882. Dramaturge et romancier, il s´est fait remarquer dès 1908, en publiant la pièce de théâtre Au rat mort, cabinet 6. Cette année-là, il a fondé avec José de Bérys et Robert de Beauplan la Revue du Temps Présent. Lorsque la Grande Guerre eut éclaté, en 1914, il fut mobilisé au 158ème régiment d´infanterie de ligne. C´est cette expérience de guerre qui lui a inspiré la fiction satyrique dont il est question ici, une fiction qu´il a commencé à rédiger en 1915 alors qu´il était lieutenant mitrailleur au 370ème régiment d´infanterie et qui fut d´abord publiée en feuilleton dans L´Œuvre, un journal d´opposition de tendance radicale -socialiste qui prônait une paix  rapide. Le livre de Pierre Chaîne épousait donc on ne peut mieux  la ligne éditoriale du journal, en dénonçant notamment la culture de guerre officielle.
Comme mes chers lecteurs se seront déjà rendu compte, le narrateur est bel et bien un rat des tranchées, le rat Ferdinand, qui raconte les tribulations de la guerre en tant que témoin privilégié de la vie des tranchées. Il vit ses années  de rat combattant sous la protection d´un poilu, le soldat Juvenet, qui l´a pris sous sa protection. Le ton est d´ordinaire narquois et nourri de réflexions sur la guerre, ses absurdités et son horreur.  
Le rat se présente naturellement dans les toutes premières lignes. De son propre aveu, il n´est ni un rat d´opéra («n´attendez pas de moi des récits polissons ni des contes égrillards») ni un rat de cave «dont les lumières pourraient être utiles aux amateurs de pinard». Son rôle dans la guerre, comme celui de tous les autres rats des tranchées, revêt une importance primordiale que l´histoire impartiale sera forcée de reconnaître un jour. Les soldats- qui, pour la plupart, se seraient laissé surprendre par l´ennemi si l´activité nocturne des rats n´avait stimulé leur vigilance- étaient on ne peut plus ingrats, oubliant jusqu´aux services que les rats leur rendaient en fournissant un prétexte pour le renouvellement constant des vivres de réserve !
Par contre, le haut commandement reconnaît mieux le mérite des rats, puisque les chefs n´ont eu qu´à imiter leurs travaux pour porter à la perfection ce qu´on dénommait «la guerre des taupes», les chiens ratiers n´étant qu´une satisfaction accordée à l´opinion publique. 
Le rat Ferdinand- je l´ai écrit plus haut- a  un protecteur, le soldat Juvenet, figure centrale de l´histoire. Ferdinand suit de près les humeurs de Juvenet pour lequel il finit par éprouver une certaine tendresse. Juvenet qui au début voulait le noyer, finit par suivre les conseils du colonel, le garde- comme avertisseur en cas d´attaque par les gaz--et lui procure même une nouvelle cage. Son attachement au rat pousse Juvenet à le baptiser (Ferdinand) et, alors qu´il est permissionnaire, à l´emporter à la maison. Si dans le métro Ferdinand, à moitié dissimulé par la capote de son maître, passe plutôt inaperçu, dans le wagon de première, par contre, sa présence provoque un barouf du diable ! Deux «pimbêches» montent debout dans leur banquette en poussant des cris d´épouvante. Juvenet a beau insister que Ferdinand est apprivoisé, le scandale ne s´amenuise pas pour autant, bien au contraire, les cris fusent, des «mijaurées» se trouvent mal ou s´écroulent, l´indignation est à son comble et Juvenet, sa femme qui l´avait rejoint et Ferdinand sont sommés par le chef de station d´abandonner le train.
En guise de conclusion à cette première partie-Mémoires d´un rat-Pierre Chaine met dans la bouche de Ferdinand des considérations sur la différence entre les hommes et les rats qui sont à vrai dire des remarques critiques sur la guerre : «La grande différence entre les hommes et les rats, c´est que ces derniers ne se battent jamais que volontairement et par goût, tandis que je n´ai rencontré aucun homme qui fît la guerre pour son plaisir. Chacun d´eux paraissait céder à la nécessité, aussi bien parmi les agresseurs que chez les autres. Il faut donc supposer que ceux qui veulent la guerre ne sont pas ceux qui la font. Le chef d´œuvre de l´organisation consiste alors à faire accomplir par la collectivité ce à quoi chacun de ses membres en particulier répugne le plus» Et il poursuit : «C´est pourquoi il est nécessaire qu´il y ait dans une nation une certaine masse d´individus qui soient dispensés d´exposer leur vie, afin qu´ils soient mieux excités à poursuivre la victoire par l´assurance d´en risquer seulement le profit. Ils gardent ainsi l´esprit libre pour suggérer les mesures les plus sanglantes et pour en exiger l´exécution. Trop près du danger, ils pourraient être enclins à moins d´énergie. La force principale des armées, c´est le réseau des forces protégées qui attendent derrière elles et qui sont prêtes à leur demander des comptes» (page 108).    
Ces  lucides réflexions sur la guerre, teintées d´ironie, ouvrent la deuxième partie du livre intitulée Commentaires de Ferdinand (ancien rat de tranchées), dédiée à Anatole France.
Le rat Ferdinand questionne derechef les fondements de la guerre, notamment pour ce qui est des différentes sortes de fuites, qui selon le cas-ou peut-être au gré des humeurs de certains observateurs- peuvent être vues soit comme une retraite stratégique, donc comme un signe de prudence, soit comme une retraite tactique et, à ce moment, il s´agirait d´une lâcheté : «La retraite tactique n´est pas admise pour les isolés et l´on fusille un soldat qui lâche pied sur un champ de bataille. Mais la retraite stratégique, celle qui n´attend pas l´ennemi et qu´on exécute par principe, celle-là ln´a jamais empêché un militaire d´être décoré». La frontière est assez mince comme on affirme plus loin : «On peut reculer avant le danger mais pas devant, et il ne manque à la lâcheté pour devenir prudence qu´un plus grand intervalle entre le péril et la fuite». À quel point précis la prudence devient-elle lâcheté ? s´interroge Ferdinand. Il avance lui-même la réponse : «Attendre la veille d´un engagement pour se faire évacuer à l´occasion d´une entorse ou d´un mal de dent serait s´exposer au mépris de ceux qui restent et à la réprobation tacite des médecins. Mais un rappel régulier à l´arrière pendant une période de repos n´excite que la jalousie des camarades» (pages 118-119).
Le livre est émaillé d´autres histoires cocasses comme celle du train que j´ai citée plus haut, la plus hilarante étant peut-être celle où Mme Juvenet use d´un stratagème (un déguisement) pour rejoindre son mari devenu cuistot.  Un mari qui entre-temps en pince pour une certaine Marie-Louise et, en guise de confidence, philosophe un peu devant Ferdinand : «(…) l´habitude et l´accoutumance ont fini par engourdir en moi cette conscience du néant ; l´espoir de revenir s´est enraciné dans mon cœur ; et j´ai connu alors seulement l´impatience du temps perdu et la rancœur des années que la guerre m´aura volées. Oui, volées !...mes jours consumés dans la solitude des cantonnements ou dans le désert des tranchées sont les plus précieux de ma vie, les derniers de ma jeunesse et je ne les retrouverai jamais plus.»(page 190).
Au fond, à coup de mots d´ordre sur l´héroïsme, l´honneur de servir l´armée, la gloire de la nation, l´espoir faisait vivre les militaires. Si d´aucuns néanmoins se rendaient compte plus tard qu´ils avaient perdu à tort ou à raison les meilleurs années de leur vie, il leur restait le sentiment du devoir accompli. Aujourd´hui, où le temps de la conscription est révolu (heureusement, à mon avis) dans plusieurs pays, où  l´armée est professionnelle et où les nouvelles générations ont une autre approche de la guerre, les sentiments souvent exprimés par les anciens conscrits et a fortiori par les anciens combattants relèvent d´un certain romantisme. Et pourtant, la guerre est encore présente dans de nombreux pays où l´on devient soldat dès l´enfance, une triste réalité qui nous arrache le cœur. Malgré notre colère devant cette situation honteuse, il y a quand même au bout du tunnel l´espoir qui nous fait vivre comme naguère il faisait vivre  les conscrits. Et par-dessus le marché, pour nous combler de joie, des livres qui racontent la guerre d´une façon singulière comme celui écrit il y a quasiment un siècle par Pierre Chaine à qui je rends hommage en rédigeant cette chronique.


 *Le Portugal avait quand même envoyé avant des troupes en Afrique(en Angola et au Mozambique) pour protéger ses colonies des visées allemandes. 
 
Pierre Chaine, Mémoires d´un rat suivis de Commentaires de Ferdinand, ancien rat de tranchées, collection Texto, éditions Tallandier, Paris, 2008(réimpression 2012). 

jeudi 28 novembre 2013

Chronique de décembre 2013





La rumeur du monde  d´après  Karel Capek.


À part les linguistes et quelques amateurs férus d´étymologie, ils ne sont peut-être pas aussi nombreux que ça ceux qui se penchent régulièrement sur l´origine des mots. On n´ignore pas que les écrivains sont friands de néologismes et qu´ils en inventent d´ordinaire pour donner libre cours à leur imagination débridée, pour le grand bonheur-faut-il le dire- de leurs lecteurs plus ou moins fidèles. Pourtant, ces mots-là deviennent parfois assez courants à telle enseigne qu´ils s´autonomisent par rapport à leur créateur et que la trace de leur origine se dilue. C´est le cas sans doute du mot «robot». Combien de gens savent-ils, en effet, que ce mot a surgi pour la première fois en 1920 dans une pièce de théâtre de l´écrivain tchèque Karel Capek ? Selon la légende, le mot lui aurait été soufflé par son frère, le peintre Josef Capek, et il se dissimule derrière les initiales du titre de la pièce : R.U.R (Rossum´s Universal Robots). Ce mot robot, inspiré par le mot robota (corvée en tchèque) désigne, dans cette œuvre de science-fiction, des machines humanoïdes et intelligentes, inventées par Rossum, un scientifique génial. Des machines se développent, se perfectionnent et sont produites en masse par la société Rossum´s Universal Robots. Force de travail peu coûteuse, ces nouveaux êtres remplacent petit à petit l´homme dans ses tâches quotidiennes le poussant à l´inactivité et à l´oisiveté. La procréation en pâtit naturellement. Les guerres sont donc désormais menées par les robots qui, manquant de vie spirituelle et de sentiments, mais se croyant supérieurs, se rebellent contre leurs maîtres.
Epuisé depuis quelque temps, le texte de la version française de cette œuvre (traduite par Jan Rubes)  vient de reparaître aux Editions de la Différence, dans la collection Minos. Dans la belle préface qu´elle consacre à Karel Capek (lisez Tchapek) et à son œuvre, Brigitte Munier attire notre attention sur le côté original  de cette pièce  et de toutes les fictions (quel qu´en soit le genre) de cet auteur incontournable de la littérature tchèque du vingtième siècle : «En découvrant ce texte, le lecteur contemporain oubliera peut-être sa date de parution ou croira Capek visionnaire : le chien artificiel le fera penser à Dolly, brebis clonée à la vie brève, tandis que les robots lui paraîtront anticiper des ordinateurs capables d´apprentissage ! L´impression d´actualité suscitée par la pièce est renforcée par un recours à un procédé littéraire original : Capek ne situe jamais ses contre-utopies ou dystopies dans un futur lointain, comme Wells ou Orwell, ou dans une contrée imaginaire, tel Anatole France ou Samuel Butler ; l´anomalie, l´étrangeté surgissent ici et maintenant en un quotidien fort semblable au nôtre». Il en est ainsi en effet non seulement dans R.U.R, mais également dans La guerre des salamandres, La maladie blanche, La fabrique de l´absolu ou Hordubal, comme on le verra plus loin, mais qui était au fait Karel Capek ?
Ce génie de la littérature du vingtième siècle- que l´on classe souvent (parfois à juste titre) dans le genre science –fiction- est né le 9 janvier 1890 à Malé Svatonovice(dans la région de Hradec Králové, en Bohême)et mort le 25 décembre 1938 à Prague. Ayant commencé ses études secondaires dans sa région natale, il a dû pourtant les finir à Brno en raison de la découverte d´un cercle anti- autrichien (la future Tchécoslovaquie faisait naturellement encore partie de l´empire des Habsbourg) auquel il appartenait. Les études universitaires, il les a suivies d´abord à la Faculté de Philosophie de l´Université Charles à Prague, puis à l´Université Whilhelm(Guillaume) à Berlin et enfin à la Faculté des Lettres de la Sorbonne à Paris où il a soutenu  une thèse, en 1915, portant sur Les méthodes esthétiques objectives en référence aux arts appliqués. 
Pour cause de problèmes de santé (des douleurs au dos qui se sont prolongées le long de sa vie), il fut réformé et n´a donc pas participé en tant  que combattant à la première guerre mondiale, contrairement à tant d´autres écrivains européens dont  l´expérience de cette triste réalité a nourri l´imaginaire comme Ernst Jünger, Erich Maria Remarque, Maurice Genevoix, Roland Dorgelès, Drieu La Rochelle ou Ernest Hemingway, entre autres. Quoi qu´il en soit, la guerre a quand même laissé des  traces qui ont inspiré un peu son œuvre, Karel Capek étant d´ailleurs un homme qui n´était pas indifférent aux questions politiques et philosophiques posées par la nouvelle donne issue de la fin de la guerre. La carte de l´Europe, on le sait, en a été bouleversée et la Tchécoslovaquie est née, devenant en quelques années, grâce à une industrie florissante, la dixième puissance industrielle mondiale. Karel Capek  a salué, cela va sans dire, l´avènement de cette nouvelle république et a soutenu le président Tomás Masaryk.
  C´est pendant les années vingt qu´il a entamé sa carrière d´écrivain et de journaliste. Il s´est également singularisé en tant que traducteur. Ses traductions des poètes de langue française ont  inspiré l´avant-garde littéraire tchèque et ses études sur la langue aussi bien que ses premiers romans et pièces de théâtre lui ont procuré une énorme réputation et ont fait de lui un auteur prestigieux, l´ayant hissé à la présidence du PEN club tchécoslovaque. De ses déplacements à l´étranger, il a ramené des impressions assez riches qui se sont matérialisées dans la publication d´excellents carnets de voyages sur l´Italie, l´Angleterre, la Hollande, l´Espagne ou l´Europe du Nord. Enfin, dans les années trente, il fut plusieurs fois pressenti pour le Prix Nobel de Littérature.
Son œuvre, nourrie par l´ironie, le sarcasme, l´humour noir et un style et des sujets innovateurs, déroutait néanmoins par l´imagination prodigieuse de l´auteur et son côté visionnaire.
Après le coup d´éclat de la pièce R.U.R, Karel Capek a publié un autre livre fort remarqué en 1922, le roman La fabrique d´absolu(1). Ce roman met en scène l´invention de l´ingénieur Maret. Pour se faire une idée de l´inventivité de Capek et du côté atypique et bouleversant de l´invention de Maret, imaginez que Dieu était contenu (ou en quelque sorte enfermé) dans la matière comme l´enseignaient Baruch Spinoza et les panthéistes. Or, en libérant l´énergie calorique par combustion, c´est donc l´Absolu que le carburateur  de l´ingénieur Maret  répand dans le monde. À la différence près que cette fois-ci cette force divine n´a pas la mission de créer le monde, mais des machines de toutes sortes. Les carburateurs sont commercialisés et ainsi chaque banque, chaque ministère, chaque industrie se mue en temple producteur d´abondance et de religiosité. Ne peut-on pas y voir un des signes du danger qui guette les sociétés modernes ? N´y a-t-il pas un côté visionnaire dans toute la trame ?
Les années trente ont été particulièrement prolifiques. En moins de deux ans, entre 1933 et 1934, Capek a publié la trilogie romanesque Hordubal, L´Aérolithe et Une vie ordinaire(2). De ces trois titres, Hordubal est, sans conteste, le plus fort. Ce roman raconte l´histoire d´un homme (Hordubal, justement) qui rentre au pays après huit ans de travail en Amérique, où il a trimé comme mineur à Johnstown. Étrangement, il n´est pas bien accueilli de retour dans son village, soit on ne le reconnaît pas, soit on se montre hostile à son égard y compris sa femme qu´il croit un exemple de fidélité conjugale  et qui pourtant  le trompe  avec le valet de ferme. Les relations deviennent assez tendues et Hordubal découvre le pot aux roses. Sa femme et son amant concoctent un plan qui aboutit à sa mort et sont arrêtés et condamnés. Pour Marcel Aymonin, les romans de cette trilogie reflètent encore la psychologie relativiste du Capek des années vingt mais annoncent déjà un changement de cap. Ce sont des romans où «chacun détient sa vérité personnelle, c´est avant tout lui-même que l´homme intègre à sa connaissance d´autrui, tout individu est finalement un conglomérat mental multiple et contradictoire. Mais là déjà perle une mélancolie, l´hésitant pressentiment d´une mutation à consentir. La phase euphorique de la démocratie de mois en mois s´éloigne, les tensions se dessinent, économique, sociale, politique, en Europe et dans le pays même»(3). En effet, les deux grandes œuvres de Capek postérieures à cette trilogie-La guerre des salamandres(4) et La maladie blanche(5)- renferment, quoiqu´en filigrane et sous une forme allégorique, un contenu politique plus incisif.
La guerre des salamandres (1935) est une parabole visionnaire emplie d´humour où certains ont vu un pied de nez aux totalitarismes de tout bord et d´autres une dénonciation originale du nazisme.  Découvertes sur une petite île sauvage au large de l´Indonésie, ces salamandres apprennent la langue humaine de communication, seront apprivoisées et asservies par l´homme, mais à l´instar des robots de R.U.R, finiront par se révolter. Puisqu´on  fait reproduire les salamandres en progression géométrique, les océans ne semblent plus suffire à leur épanouissement. Epousant l´impérialisme et le nationalisme, ces sauriens sont à même de reproduire les défauts de l´homme moderne jusque dans sa manie d´autodestruction. La forme originale de ce roman se traduit, au cours de la narration, par une compilation d´articles de journaux et communications scientifiques et l´intervention de l´auteur à la fin en guise d´épilogue sous le titre «L´auteur discute avec lui-même». Ce livre fracasse toutes les étiquettes littéraires qu´on puisse lui coller : roman d´anticipation, conte philosophique, utopie, voire anti-utopie. Lors de la parution du livre, la critique l´a qualifié d´utopie, mais dans une interview, Capek a réfuté cette idée : «Je refuse ce mot. Ce n´est pas l´utopie, mais l´actualité. Ce n´est pas une spéculation sur quelque chose qui pourrait se produire dans l´avenir, mais cela reflète ce qui est au milieu de quoi nous vivons. De la fantaisie, je peux vous en donner combien vous voudrez et gratuitement, mais ici je visais la réalité. Rien à faire, la littérature qui ne s´occupe pas de réalité, de ce qui se passe vraiment dans le monde, la littérature qui ne veut pas réagir avec toute la force que possèdent la parole et l´idée, cette littérature n´est pas la mienne»(6).
La maladie blanche(1937) est aussi une parabole, sous la forme d´une pièce de théâtre, où la population est atteinte d´une sorte de lèpre qui se manifeste par des tâches blanches sur la peau de personnes âgées de plus de quarante-cinq ans. Celles-ci sont donc tout près d´une mort certaine, en l´absence d´un antidote. Pourtant, selon le vieil adage, le malheur des uns fait le bonheur des autres et les jeunes voient cette maladie comme une aubaine, puisque l´avenir s´ouvre à eux et le chômage s´amenuisera de plus belle. Entre-temps, le docteur Galen trouve le remède pour neutraliser l´épidémie mais refuse de soigner les riches avant l´instauration de la paix mondiale.  Le dictateur- Maréchal qui dirige le pays d´une poigne de fer et  attaque un pays voisin sous les applaudissements de la majorité de son peuple, est atteint  à son tour par la maladie et finit à contrecœur (puisqu´il a peur d´être emporté par l´épidémie) par obtempérer aux conditions du médecin. Or, une foule indignée et belliqueuse, alors que le médecin crie «Non à la guerre !», se révolte, l ´accusant de «traître», le tuant et piétinant le médicament qui aurait guéri les malades…
Après ce nouveau succès, il ne lui reste plus longtemps à vivre.  L´année de sa mort, les événements se précipitent en Tchécoslovaquie. Hitler occupe les Sudètes et les Tchécoslovaques, ne pouvant compter sur le soutien de ses principaux Alliés (France et Angleterre), doivent s´incliner. Capek décide de rester au pays, alors que plusieurs  amis le somment de partir en exil, puisqu´il est clair que Hitler tôt ou tard s´emparerait du reste du territoire. Son décès le 25 décembre 1938, trois mois avant l´occupation nazie, lui aura peut-être épargné un destin aussi cruel que celui de son frère, mort au camp de Bergen-Belsen en avril 1945.
Après la guerre, l´œuvre de Karel Capek fut mise sous le boisseau par le nouveau régime communiste qui ne pouvait voir d´un bon œil cet auteur anti -totalitaire d´autant plus qu´il avait écrit dès 1924 un article intitulé« Pourquoi je ne suis pas communiste». Cette mise à l´index fut néanmoins levée vers les années soixante.
Cela va sans dire que, depuis 1989, l´œuvre de Karel Capek a pris un nouvel élan et sa bibliographie critique s´est considérablement enrichie.
Au moment où l´on signale le soixante-quinzième anniversaire de sa mort, l´œuvre de Karel Capek ne peut que séduire un nombre croissant de lecteurs, non seulement grâce à sa richesse et à son originalité, mais aussi parce que, derrière son côté allégorique, elle est porteuse d´un message humaniste et universel.  

(1)Malheureusement épuisé en ce moment.

(2)Titres disponibles chez l´Âge d´Homme (traductions de Michel –Léon Hirsch et Daniela Staskova-Pelliccioli) sauf Aérolithe qui, paraît-il, n´aurait jamais été traduit en français.

(3) Préface (novembre 1968) à l´œuvre Récits Apocryphes, chez l´Âge d´Homme  (traduction de Marilyse Poulette).

(4)Deux éditions disponibles, chez Cambourakis et La Baconnière, traduites toutes les deux par  Claudia Ancelot.

(5) Chez La Différence (Collection Minos) avec préface et traduction d´Alain Van Crugten.

(6) Propos que l´on peut retrouver sur le site : europecentrale.asso-web.com.

P.S-(Le 9 décembre)-Je viens d´apprendre que le 21 octobre est paru en France, toujours de Karel Capek, le livre La vie et l´oeuvre du compositeur Foltyn,traduit du tchèque par François Kerel, aux éditions Sillage.

dimanche 17 novembre 2013

La mort de Doris Lessing




La romancière britannique Doris Lessing est décédée ce dimanche à l´âge de 94 ans. Née en 1919 en Perse (l´actuel Iran), elle a passé son adolescence en Rhodésie (rebaptisée Zimbabwe après l´indépendance). Arrivée à Londres en 1949, elle a toujours été une femme engagée, ayant d´ailleurs été autrefois interdite de séjour en Afrique du Sud à cause de ses positions anti-apartheid. Par contre, les espoirs qu´elle fondait sur le communisme se sont dissipés, après que les nouvelles en provenance de Moscou et ailleurs (par exemple, l´écrasement de la révolte de Budapest, en 1956)  eurent fait état des violations des droits de l´homme que l´on y commettait au nom d´un idéal théoriquement juste et humaniste.

  En 2007, l´Académie Nobel lui a décerné son prix de Littérature. Les jurés du prix ont décidé de récompenser «la conteuse épique de l´expérience féminine qui, avec scepticisme, ardeur et une force visionnaire, scrute une civilisation divisée».

  L´œuvre de celle qui a affirmé un jour dans une interview qu´elle était assez intolérante envers les idéologies était très éclectique (elle a même fait une incursion dans la science-fiction) et composée de plusieurs titres dont Le chant de l´herbe, Le carnet d´or, La marche dans l´ombre, Les enfants de la violence, Nouvelles de Londres, Les Grands-mères et Un enfant de l´amour. Flammarion et Albin Michel sont ses principaux éditeurs français.

 

 


 
 

 

jeudi 7 novembre 2013

Centenaire de la naissance d´Albert Camus


Aujourd´hui, on signale le centenaire de la naissance d´Albert Camus. Je lui rends hommage dans  ma chronique du mois de novembre que vous pourrez lire sur ce blog et que j´ai mise en ligne la semaine dernière.

lundi 4 novembre 2013

Le Prix Goncourt pour Pierre Lemaître.






La saison des prix littéraires est lancée en France. Après l´attribution le 24 octobre du Prix de l´Académie Française à Christophe Ono-Dit-Biot pour son roman Plonger(éditions Gallimard), trois autres prix ont été annoncés aujourd´hui: le Renaudot roman pour Yann Moix avec Naissance(chez Grasset); le Renaudot essai pour Séraphin, c´est la fin(chez La Table Ronde) de Gabriel Matzneff et , le plus attendu de tous, le Goncourt pour Pierre Lemaître récompensant son roman Au revoir là-haut(aux éditions Albin Michel).
Pierre Lemaître est né en 1951 et son roman évoque la France d´après la première guerre mondiale et le scandale des exhumations militaires, étouffé par le gouvernement en 1922, une période où les capitalistes s´enrichissent sur les ruines et les imposteurs triomphent.
D´autres prix littéraires seront annoncés au cours de cette semaine.     

mardi 29 octobre 2013

Chronique de novembre 2013





Albert Camus, la conscience de l´homme solitaire.

Une question me vient à l´esprit au moment où je prends la décision de rendre hommage à Albert Camus à l´occasion du centenaire de sa naissance : Pourquoi souvent les hommes justes  meurent-ils prématurément ? On pourrait certes m´objecter par une autre question : leur statut aurait-il été aussi irréfutable s´ils n´étaient pas morts aussi tôt ? On ne saurait y répondre, mais, à vrai dire, peu importe. On ne peut passer sa vie à imaginer  ce qui  aurait pu se produire si le cours des événements avait été tout autre. Décrié d´ordinaire par une intelligentsia qui ne lui pardonnait pas sa liberté de ton, son combat incessant pour la vérité voire ses origines modestes, Albert Camus est aujourd´hui plébiscité et compte parmi les auteurs français les plus lus et étudiés de par le monde, devançant celui qui, à un moment donné, était devenu son grand rival littéraire, Jean –Paul Sartre.
Albert Camus- on l´a si souvent écrit que nul ne l´ignore- est un pur produit de l´école républicaine. Né le 7 novembre 1913 à Mondovi, en Algérie, Albert Camus était issu d´un milieu particulièrement modeste de parents peu ou pas du tout instruits. Son père, Lucien Auguste Camus, est mobilisé lors de la première guerre mondiale en septembre 1914 et meurt le 17 octobre. De lui, Albert ne connaîtra que des photos et des souvenirs évoqués par quelques-uns de ses proches dont son dégoût devant une exécution capitale à laquelle il avait assisté, ne pouvant se douter  que son fils cadet, devenu un jour écrivain célèbre, serait un des plus ardents défenseurs de l´abrogation de la peine de mort.  Sa mère, Catherine Hélène Sintès, analphabète et en partie sourde, devenue veuve, emménage avec ses deux enfants (Albert et l´aîné Lucien) chez sa mère et ses deux frères à Belcourt, un quartier populaire d´Alger. Catherine Camus est une femme plutôt fragile et impuissante devant le caractère tyrannique et atrabilaire de sa mère. La grand-mère d´Albert, comme nous le décrit si bien Michel Onfray dans son livre L´ordre libertaire-la vie philosophique d´Albert Camus «incarne la négativité : la brutalité, la violence, la méchanceté, les passions tristes, le contraire de la joie de vivre, l´injustice, le mensonge, l´anti-modèle de l´hédoniste du futur auteur de L´envers et l´endroit et de Noces ; la mère, c´est la victime de cette injustice, de ces vexations sans fin, de ces affronts répétés, de ces humiliations enchaînées. L´une est le bourreau ; l´autre est la victime. Toute sa vie de libertaire, Camus revendiquera cette même éthique : ni bourreau, ni victime».Cette dernière observation est très importante car « Ni victimes, ni bourreaux» sera plus tard le titre d´une série d´articles que Camus publiera dans le journal Combat, en 1946.
En dépit de la misère, Camus se construit une philosophie du plaisir, une philosophie hédoniste. Le soleil et la plage, les premiers émois amoureux avec de jeunes filles (la vie amoureuse future de Camus fera jaser : outre ses deux mariages, on lui connaît une passion violente pour l´actrice Maria Casarès, entre autres liaisons) et l´amitié. Et, bien sûr, le goût pour les belles –lettres. Quand j´écrivais plus haut que Camus était un produit de l´école républicaine c´est que l´on ne peut dissocier la réussite intellectuelle de Camus de l´attitude de son professeur primaire Louis Germain qui a flairé chez son jeune élève la promesse d´un génie. Si cet instituteur- à qui Camus dédiera trois décennies plus tard son discours de réception du Prix Nobel de Littérature- n´était pas intervenu auprès  de sa famille pour qu´il poursuive ses études, Camus ne serait jamais devenu un des plus  grands intellectuels français du vingtième siècle. Après Louis Germain- qui, ancien combattant, lui avait fait connaître Les croix de bois de Roland Dorgelès et fait découvrir les horreurs de la guerre-un autre professeur  allait jouer un rôle prépondérant dans la vie du jeune Albert, l´écrivain et professeur de philosophie Jean Grenier. C´est grâce à lui que Camus découvre Nietzsche, un de ses  auteurs de référence, et un roman qui dans un premier temps l´a fasciné : La douleur d´André de Richaud, un roman qui rapporte l´histoire d´une jeune veuve qui ayant perdu son mari officier au front tombe amoureuse d´un prisonnier allemand. Camus s´excusera plus tard d´avoir accordé une importance démesurée à un livre qu´il tenait désormais pour un roman pour adolescents. Toujours est-il que, somme toute, il  était assez naturel que, pendant sa jeunesse, ce roman l´eût ébloui, non seulement parce que le sujet en était la guerre, mais aussi à cause d´une certaine analogie entre la biographie de l´auteur, André de Richaud, fils d´un soldat tué à la première guerre mondiale, et la sienne.
En 1930, une tuberculose l´éloigne d´une de ses passions, le football-«tout ce que je sais de la morale et des obligations des hommes, je le dois au football», dira-t-il un jour-et le rapproche de son oncle Gustave Acault (mari de sa tante Gaby), anarchiste et voltairien, qui tient une boucherie et l´héberge chez lui pendant sa période de convalescence. Pour l´écrivain algérien Salim Bachi, qui vient de publier un très beau roman sur Camus, Le dernier été d´un jeune homme, la tuberculose fut essentielle pour que Camus fût effectivement devenu un écrivain. La perspective de la mort (il faut se rappeler qu´à l´époque la tuberculose était le plus souvent mortelle), la réflexion sur le côté absurde de la vie, le développement de ses lectures, la maturation intellectuelle, les suggestions de Jean Grenier, tout cela  fut rendu possible par la tuberculose.
Dans les années trente, Albert Camus entame sa vie intellectuelle. Il s´intéresse au théâtre, écrit dans les journaux et commence à rédiger ses premières œuvres. Ses auteurs de référence sont à l´époque, à part son ancien professeur Jean Grenier, Malraux, Montherlant, Gide, Barrès, Nietzsche et Dostoïevski. Il prend sa plume non pas pour des raisons purement artistiques mais parce que la parole est aussi le moyen de combattre les iniquités et de dénoncer la misère, l´arbitraire et la violence.  En 1933, il adhère au parti communiste qu´il quitte deux ans plus tard. En concomitance, il entre au journal Alger Républicain (organe du front populaire)-dont il devient le rédacteur en chef- fondé par Pascal Pia. Ses analyses percutantes font école et son enquête  Misère de la  Kabylie, publiée en 1939, se traduit par  un succès retentissant.  Entretemps, il est déjà l´auteur de trois œuvres : L´envers et l´endroit (essais, 1937) ; Caligula (première version, pièce en quatre actes, 1938) et Noces (recueil d´essais, 1939). Au gré du mûrissement de ses idées et de sa découverte d´un autre monde que l´Algérie  à travers les différents voyages qu´il effectue le long de la décennie, notamment aux Baléares (pour des raisons un tant soit peu sentimentales, puisque sa famille maternelle était issue de l´île de Minorque et il portait l´Espagne dans le cœur),  en Italie, en France et en Europe Centrale, son univers littéraire et philosophie commence à s´ébaucher et cette éclosion perce dans ses écrits, surtout dans les Carnets, tenus depuis mai 1935, où il consigne ses impressions.    
Les années quarante sont déterminantes pour l´affirmation intellectuelle d´Albert Camus. En 1940, le Gouvernement général d´Algérie interdit de publication Alger Républicain. Albert Camus part à Paris et travaille encore une fois aux côtés de Pascal Pia, en l´ occurrence  à Paris- Soir dont il devient le secrétaire de rédaction. Il collabore à des revues clandestines de la Résistance. Enfin, sous conseil d´André Malraux, lecteur à Gallimard, le prestigieux éditeur français, il publie en 1942 L´Étranger.  Ce roman –un des plus lus à ce jour de la collection de poche Folio du même éditeur et numéro deux de la collection après La condition humaine d´André Malraux et un des livres-je l´avoue- les plus décisifs de ma jeunesse et de ma formation intellectuelle-est aujourd´hui une œuvre de référence de la littérature mondiale, surtout dans le monde anglo-saxon. L´Étranger s´insère dans la tétralogie que l´auteur lui-même a dénommé «cycle de l´absurde» qui inclut aussi l´essai Le mythe de Sisyphe-qui lors de sa parution en 1942 fut amputé, par décision de l´éditeur Gaston Gallimard, d´un chapitre sur Kafka (repris dans l´édition de 1945) pour ne pas ulcérer les autorités d´occupation allemandes-  et les pièces de théâtre Caligula et Le malentendu. L´Étranger met en scène un personnage-narrateur qui répond au nom de Meursault et qui vit à Alger. Il reçoit un télégramme lui annonçant que sa mère vient de mourir à l´hospice de Marengo. Pendant les funérailles il ne pleure pas, ne voulant nullement simuler un chagrin qu´il ne ressent pas. Quelques jours plus tard, Meursault, en se promenant sur la plage sous un soleil aveuglant, retrouve un Arabe qui faisait partie d´un groupe croisé quelques jours plus tôt au cours d´une rencontre qui avait débouché sur une bagarre où son ami Raymond est blessé au visage par un coup de couteau. Ébloui par le reflet du soleil sur la lame que l´Arabe avait sorti à sa vue, Meursault prend le revolver qu´il avait sur lui et tire sur l´Arabe, le tuant d´une seule balle. Néanmoins, Meursault tire quatre nouveaux coups de feu sonores sur le corps de l´Arabe effondré sur le sol, ce qui empêchera que lors de son  procès soient invoqués soit la légitime défense, soit l´homicide involontaire. De toute façon, il n´en a cure, puisque pendant tout le procès, non seulement il ne montre aucune repentance, comme il affirme-devant la stupeur de l´audience-  avoir commis son meurtre à cause du soleil. Il est condamné à la guillotine.
L´Étranger est devenu, on le sait,-et je l´ai écrit plus haut- une œuvre de référence de la littérature mondiale, ayant notamment inspiré un film à Luchino Visconti et des chansons au groupe de rock britannique The Cure. On l´a souvent rapproché de Kafka et l´on y a vu l´empreinte de La voie royale de Malraux, voire de La nausée de Sartre. Par contre, le grand philosophe Paul Ricoeur a écrit un jour que L´Étranger était plus actuel que jamais car il installait le lecteur dans une «expression temporelle fictive». Mais le succès de L´Étranger ne fait pas oublier d´autres livres importants comme La Peste(1947) ou La Chute(1956).
La Peste nous décrit une ville d´Oran triste et ordinaire (dès le troisième paragraphe,  on y peut lire une phrase illustrative de la banalité et de l´absurde de la vie : «Une manière commode de faire la connaissance d´une ville est de chercher comment on y travaille, comment on y aime et comment on y meurt»). Le docteur Bernard Rieux fait face à l´absurde d´une vie dans une ville rongée par la peste. Pourtant, derrière l´épidémie réelle, il y a la peste symbolique. Il s´agit donc d´une parabole, d´une allégorie, d´une fable qui peut susciter plusieurs interprétations : dénonciation d´un régime spécifique ou de tous les totalitarismes à la fois (le régime de Vichy, le franquisme, le national- socialisme, le stalinisme) ? Barthes critique le roman en arguant que Camus met en scène une allégorie au détriment d´un abord historique et politique mais Camus avait déjà donné le ton, en épigraphe du roman, en citant Daniel Defoe : «Il est aussi raisonnable de représenter une espèce d´emprisonnement par une autre que de représenter n´importe quelle chose qui existe réellement par quelque chose qui n´existe pas».
Le récit La Chute est un long monologue d´un homme-l´avocat Jean-Baptiste Clamence (pour certains, une sorte d´alter ego de Camus)-à un autre homme qui reste mystérieusement silencieux. L´action se passe à Amsterdam et, au moyen d´interrogations et de réflexions, le narrateur fait son autoportrait. La formule a en quelque sorte dérouté tous ceux qui  s´étaient penchés jusqu´alors sur l´œuvre camusienne. Le livre  a suscité en effet les grilles de lecture les plus atypiques. Par contre, l´une des analyses les plus clairvoyantes sur La Chute, je l´ai lue sous la plume de Lissa Lincoln dans un numéro hors-série du Magazine Littéraire, paru début 2010. Dans un texte intitulé «La Chute ou le jugement en question», Lissa Lincoln écrit notamment: «Par le truchement du discours de Clamence, Camus cherche ainsi à illustrer les mécanismes sous-jacents à l´existentialisme, soit la capacité à manipuler les gens pour leur faire croire qu´ils sont responsables de tout» et elle reproduit une phrase de Clamence pour illustrer ses propos : «Je suis donc pour toute théorie qui refuse l´innocence à l´homme et pour toute pratique qui le traite en coupable. Vous voyez en moi(…) un partisan éclairé de la servitude. Sans elle(…) il n´y a point de solution définitive».  Plus loin, elle ajoute que dans ce livre Camus ne s´intéresse pas à convaincre le lecteur que Clamence a tort ou raison, qu´il est bon ou mauvais, moral ou immoral. Il chercherait plutôt à tracer, à examiner, à décrire le fonctionnement des différentes stratégies de pouvoir inhérentes au système du jugement, et par conséquent à tout discours prescriptif, dont la littérature fait elle-même partie. Lissa Lincoln clôt son texte par une  réflexion qui traduit une impossibilité latente : «Au lieu de trancher, il faut justement vivre dans la tension qui existe entre deux impossibles. Plutôt que de proposer des solutions, Camus semble alors poser une question : comment vivre à  l´intérieur de cette perpétuelle tension ?».             
Au sortir de l´occupation et de la guerre, Camus prône clairement un socialisme libertaire internationaliste. En tant que journaliste, il prend sa plume, surtout dans les colonnes de Combat, pour exprimer son opinion sur les sujets les plus divers : politiques, sociaux et  constitutionnels. Un des points chauds en est la politique coloniale et, en particulier, la nécessité de doter l´Algérie d´un nouveau statut.
En octobre 1951, c´est la parution de son essai L´homme révolté où il dénonce les totalitarismes de tout bord. Camus y affirme «Je me révolte, donc nous sommes», la révolte étant le seul moyen de dépasser l´absurde. Camus s´y interroge comment l´homme, au nom de la révolte, s´accommode du crime et comment la révolte a eu pour aboutissement les États policiers et concentrationnaires du vingtième siècle.
Le livre, quoique bien accueilli dans l´ensemble, déclenche quand même de vives polémiques dans un monde intellectuel français qui n´était pas mûr pour entendre et accepter le discours clair et sans arrière-pensées d´Albert Camus. On ne peut oublier que l´on vivait à l´époque des lendemains qui chantent, où il n´était pas toléré de critiquer le goulag soviétique puisqu´en le faisant on risquait de faire le jeu de l´ennemi, c´est –à-dire des soi-disant démocraties bourgeoises et du capitalisme. Soit pour des raisons politiques, soit pour des arguments purement artistiques, L´homme révolté a provoqué un tollé chez les  milieux littéraires français et la polémique fut engagée avec Breton et les surréalistes-à cause des textes intitulés  «Lautréamont  et la banalité» et «Surréalisme et révolution»-, Roland Barthes, Gaston Laval ou Georges Bataille. 
Les critiques les plus virulentes contre L´homme révolté ont été néanmoins déclenchées par la revue Les Temps Modernes de Jean-Paul Sartre et Maurice Merleau-Ponty. En mai 1952, la revue publie une longue recension-«Albert Camus ou l´ âme révoltée»- signée de Francis Jeanson, un jeune philosophe de 30 ans qui ne se fait pas faute de tirer à boulets rouges sur Albert Camus. Il lui reproche, entre autres considérations, de faire l´impasse sur le rôle de l´économie et du social dans l´émergence des révolutions et de s´attaquer au système soviétique qui d´après Jeanson quoiqu´imparfait restait le seul espoir des ouvriers français qui autrement pourraient donc, sans cet ancrage à l´idée de révolution, tomber irrémédiablement entre les bras du capitalisme. L´erreur impardonnable de Camus serait donc celle de ne pas «saisir la dialectique de l´Histoire» et de préconiser «un humanisme vague, juste relevé de ce qu´il faut d´anarchisme».  
Indigné et surpris-d´autant plus que Les Temps Modernes avaient pré-publié un des chapitres de L´homme révolté-Camus écrit une lettre de réfutation à «Monsieur le Directeur des Temps Modernes», Sartre donc, dont il avait été ami par ailleurs (tout comme de sa compagne Simone de Beauvoir, surnommée le Castor). Cette lettre et les réponses de Sartre et de Jeanson(les sartriens ne pardonneront jamais à Camus de s´être adressé directement à Sartre et non pas à Jeanson) sont publiées dans l´édition d´août. Camus est particulièrement  choqué par ce qu´il tient pour l´arrogance intellectuelle de Jeanson et sa caricature grossière de la thèse du livre et de son style. Une autre affirmation qui a écoeuré Camus c´est celle où Jeanson s´était permis d´insinuer qu´un style recherché est le signe indiscutable d´une sensibilité conservatrice et que quiconque critique le marxisme est ipso facto réactionnaire. Par-dessus le marché, selon Jeanson, le fait que le livre eût été bien accueilli à droite prouverait le glissement  de Camus vers des positions conservatrices (oubliant que le livre avait aussi fait l´objet de quelques réserves à droite, par exemple, chez Claude Mauriac, le fils aîné de François Mauriac).
La réponse de Sartre qui reprend les arguments de Jeanson (ou les confirme plutôt, puisque Jeanson était bien entendu un disciple de Sartre) est violente. Au-delà des considérations sur le marxisme, l´historicisme et l´antihistoricisme ou l´existentialisme, Sartre accuse Camus d´incompétence philosophique, d´incapacité à se réconcilier avec la dynamique de l´Histoire («…vous n´avez pas refusé l´Histoire pour en avoir souffert et pour avoir découvert dans l´horreur son visage. Vous l´avez refusée avant toute expérience parce que notre culture la refuse et parce que vous placiez les valeurs humaines dans la lutte de l´homme «contre le ciel.»») et de patauger en des questions oiseuses au sujet de la signification et de l´objet de l´Histoire :« Et le problème n’est pas de connaître sa fin, mais de lui en donner une... On ne discutera pas s’il y a ou non des valeurs transcendantes à l’Histoire : on remarquera simplement que s’il y en a, elles se manifestent à travers des actions humaines qui sont par définition historiques». Les propos les plus exacerbés de Sartre sont pourtant ceux qui suivent : «J´aurai  du moins ceci de commun avec Hegel que vous ne nous aurez lu ni l´un ni l´autre. Mais quelle manie vous avez de n´aller pas aux sources. Je n´ose vous conseiller de vous reporter à L´Être et le Néant, la lecture vous en paraîtrait inutilement ardue : vous détestez les difficultés de pensée. Et si votre livre témoignait simplement de votre incompétence philosophique ?».  
Jeanson, pour sa part, réitère l´importance du marxisme en tant que philosophie émancipatrice et sa fidélité au communisme et au stalinisme, indépendamment du bilan que l´on pût dresser de ces expériences jusqu´alors (toujours les considérations hégéliennes et l´idée sous-tendue par la phrase de Sartre selon laquelle il ne faut pas désespérer Billancourt). Pour couronner le tout, Jeanson affuble Camus de l´épithète, un brin moqueur, de «Le Grand Prêtre de la Morale absolue».
 La réponse de Sartre marque la rupture entre les deux maîtres à penser de France. Albert Camus ne répond pas publiquement aux philippiques de Sartre et Jeanson. Il finit par écrire un texte de défense de son essai L´homme révolté à la fin de l´année 1952 qui ne sera pourtant publié qu´à titre posthume en 1965.
Camus, on le sait, a toujours été fidèle à ses racines, à son enfance, à cette solidarité fraternelle née de la misère. Au début des ses Cahiers (mai 1935), récemment republiés en trois volumes dans la collection de poche Folio chez Gallimard sous le nom de Carnets (I, II et III), Camus écrit ce qui suit sur la pauvreté : «Ce que je veux dire : Qu´on peut avoir –sans romantisme-une nostalgie de la pauvreté perdue. Une certaine somme d´années vécues misérablement suffisent à construire une sensibilité. Les manifestations de cette sensibilité dans les domaines les plus divers s´expliquent suffisamment par le souvenir latent, matériel de son enfance (une glu qui s´accroche à l´âme). De là pour qui s´en aperçoit, une reconnaissance et donc une mauvaise conscience. De là encore et par comparaison, si l´on a changé de milieu, le sentiment des richesses perdues. À des gens riches le ciel, donné par surcroît, paraît un don naturel. Pour les gens pauvres, son caractère de grâce infinie lui est restitué. À mauvaise conscience, aveu nécessaire. L´œuvre est un aveu, il me faut témoigner. Je n´ai qu´une chose à dire, à bien voir. C´est dans cette vie de pauvreté, parmi ces gens humbles ou vaniteux, que j´ai le plus sûrement touché ce qui me paraît le sens vrai de la vie. Les œuvres d´art n´y  suffiront jamais. L´art  n´est pas tout pour moi. Que du moins ce soit un moyen» (Carnets I, pages 11-12). Ces phrases sont révélatrices de sa fidélité aux origines, aux principes qui l´ ont formé, mais traduisent aussi la peur que l´on puisse oublier ses origines et ces principes-là, la conscience des limites de l´écriture, mais aussi paradoxalement la valeur de cette même écriture en tant que témoignage. Cette fidélité aux principes, cette nostalgie de l´enfance, la peur de la culpabilité et surtout  sa perspective de l´écriture comme témoignage sont des caractéristiques qui ont toujours contribué à étaler au grand jour sa droiture morale.
Un des grands combats de Camus fut sans l´ombre d´un doute la dénonciation de la violence, fût-elle exercée au nom d´un noble idéal. Dans sa pièce Les Justes(1950), il met en scène des terroristes russes dans la Russie de 1905 et la confrontation entre deux perspectives. D´un côté, on a Stepan Fedorov, ancien bagnard, poseur de bombes, qui n´aime pas la vie, mais la justice au dessus de la vie, c´est-à-dire, on peut massacrer et tuer au nom de la justice afin de pouvoir abolir un jour toute injustice (la version politique de cette philosophie on l´a vue sous certaines expériences communistes). D ´un autre côté, on trouve Ivan Kaliayev pour qui on ne peut pas tout faire au nom de la cause, aussi juste soit-elle, on ne peut pas par exemple tuer des enfants ou des innocents. C ´est indiscutablement ce dernier personnage qui incarne la vision  de Camus. Comme nous rappelle Michel Onfray, dans l´œuvre citée plus haut : «Ivan veut aimer les hommes ici et maintenant et non ceux qui viendront dans trois ou quatre générations». Pour Michel Onfray, le couple Stepan Fedorov/Ivan Kaliayev au théâtre se nomme Jean-Paul Sartre/Albert Camus en ville.
Le refus de la violence est-il à l´origine de l´attitude de Camus devant la guerre d´Algérie ? Oui, en partie, mais il n´explique pas à lui seul son opposition à l´indépendance, sans conteste la prise de position la plus discutable d´Albert Camus. Certes, il s´était toujours attaqué aux méfaits du colonialisme français et avait toujours proposé dans ses papiers des réformes qui puissent mettre sur un pied d´égalité les Français d´Algérie dont il faisait partie(les pieds-noirs) et autres Européens d´un côté et les Algériens musulmans de l´autre. Pourtant, il avait toujours cru que l´indépendance totale ne serait pas envisageable et que l´on devrait négocier un statut d´autonomie en gardant le lien à la France, alors que la période coloniale était en train de se refermer dans les autres territoires français d´Afrique. À  un moment donné, il fond des espoirs sur le gouvernement de Pierre Mendès-France, un des hommes politiques français qu´il admirait le plus, mais ce gouvernement-là, puis le passage ultérieur du même homme politique par le gouvernement de Guy Mollet en tant que ministre d´État sont de courte durée.  Quoi qu´il en soit, Albert Camus a toujours dénoncé les atrocités commises par les deux camps, FLN (Front de Libération Nationale) d´un côté et armée française de l´autre (il n´a pas vécu pour voir l´Organisation de l´armée secrète, dite OAS,  groupe terroriste fondé par des fachos français en 1961). En plus, il pensait toujours à sa mère, à ses proches, à ses amis vivant à Alger et à la possibilité de leur mort dans un quelconque attentat. Cette préoccupation a occasionné pas mal de malentendus dont le plus significatif est celui qui s´est produit lors d´une rencontre à Stockholm avec des étudiants suédois peu après la cérémonie de l´attribution du Prix Nobel de Littérature à Albert Camus en 1957. À une question, en guise de reproche, posée par un étudiant arabe, il répond : « En ce moment,  on lance des bombes dans les tramways d´Alger. Ma mère peut se trouver dans un de ces tramways. Si c´est cela la justice, je préfère ma mère». La phrase devient dans le compte-rendu du quotidien Le Monde : «Je crois à la justice,  mais je défendrai ma mère avant la justice».
Le 4 janvier 1960, en revenant de Lourmarin(Vaucluse) par la Nationale 6, Albert Camus meurt, à l´âge de 46 ans, dans un accident de voiture (ainsi que Michel Gallimard, le neveu de l´éditeur Gaston Gallimard qui perd également la vie). Parmi ses documents, on trouve le manuscrit d´un nouveau roman inachevé, Le premier homme, qui ne paraîtra qu´en 1994.
Le lendemain, en annonçant sa mort, le quotidien anglais The Times titrait : «A man who walked alone». Ce titre traduisait d´une part  la solitude des personnages des romans de Camus et d´autre part la solitude de Camus lui-même en tant qu´écrivain devant un milieu intellectuel français qui, sous la figure tutélaire de Sartre, renâclait devant ses prises de position et  sa soi-disant trahison de l´idée de révolution, lui qui était libertaire et   hédoniste et qui n´avait cessé de prendre sa plume  pour dénoncer  toutes les perversions politiques et tous les totalitarismes érigés en dogmes de justice et de vérité.
Aujourd´hui, l´œuvre de Camus fascine nombre de lecteurs-jeunes et moins jeunes- et c´est tout à son honneur. Sa mémoire semble préservée, lui que ses détracteurs accusaient souvent  de  manquer  de profondeur dans ses œuvres et qui fut même brocardé post mortem par Jean-Jacques Brochier qui a publié un essai sous forme pamphlétaire intitulé Camus, philosophe pour classes terminales (chez La Différence, dernière édition parue en 2001). 
La pérennité de l´ensemble de l´œuvre de Camus est d´ailleurs, selon certains, un mystère. Jean Daniel, éditorialiste du Nouvel Observateur qu´il a fondé en 1964, a travaillé avec Camus à L´Express. Dans son beau livre Avec Camus, paru en 2006, il essaie de chercher une explication à ce succès. En partie, il se trouve, selon Jean Daniel, que les thèmes de l´absurdité du monde et du refus de s´en accommoder, le besoin du bonheur et l´impossibilité d´y accéder, les thèmes du Mal (et de la violence), l´émergence d´une nouvelle mémoire de la guerre d´Algérie et de la décolonisation, le problème dans tout conflit, des rapports entre la fin et les moyens, enfin et surtout la question incontournable de la mort et de la renaissance de Dieu ont attiré ou fait revenir des légions de lecteurs à certaines idées de Camus. Pourtant cela ne peut que susciter nombre d´interrogations soulevées par Jean Daniel dans le livre cité : «Comment sortir de l´absurde autrement que par le nihilisme ou la foi ? L´avenir est-il «la seule transcendance des êtres privés de Dieu»(Camus) ? Mais n´affirme-t-on pas aujourd´hui que Dieu est le seul recours des êtres privés d´avenir ? Peut-on imaginer des saints sans Dieu ? Peuvent-ils rester saints lorsqu´ils affrontent des militants de l´Absolu en recourant aux mêmes méthodes que leurs ennemis ? Ce sont encore et à nouveau les questions de notre siècle. À ces questions répondent des intellectuels».
D´aucuns s´attaquent aujourd´hui à l´image d´un Camus que l´on voudrait encenser,  réfutant ainsi l´idée mythique d´un parcours sans bavures d´un intellectuel exemplaire. À mon avis, la personnalité d´un écrivain suscite toujours les interprétations les plus diverses et la polémique naît de la marge de subjectivité individuelle qui perce derrière chaque étude, chaque commentaire, chaque analyse. En plus, peut-on concevoir un monde littéraire, politique et universitaire français qui ne soit pas constamment imbibé de ces polémiques virulentes ? 
Quoi qu´il en soit, en célébrant le centenaire de Camus, on rend hommage à un homme  solitaire, peut-être solipsiste, juste, qui avait une nette conscience de ses devoirs en tant qu´écrivain, que philosophe, que journaliste, bref qu´intellectuel. Un homme qui, malgré l´avis que l´on puisse porter sur son œuvre ou sur ses engagements (et le mien tant qu´à faire est très positif), n´a jamais tergiversé, ne s´est jamais privé d´afficher ses points de vue, n´a jamais eu peur de combattre pour ses idées.  Un homme probe et sincère, doublé d´un grand écrivain. 

Livres cités sur Camus : 

 Michel Onfray, L´ordre libertaire : la vie philosophique d´Albert Camus, éditions Flammarion, Paris, 2012(édition de poche : collection J´ai Lu, 2013). 

Salim Bachi, Le dernier été d´un jeune homme, éditions Flammarion, Paris, septembre 2013.

Jean Daniel, Avec Camus : comment résister à l´air du temps, éditions Gallimard, Paris, 2006.

Autres livres et numéros hors-série de magazines sur Camus parus récemment :

Paul Audi, Qui témoignera pour nous ? : Albert Camus face à lui-même, éditions Verdier, Lagrasse/Paris, septembre 2013.
Benjamin Stora et Jean Baptiste Péretié, Camus brûlant, éditions Stock, septembre 2013.

Cahier  Camus, éditions de L´Herne, Paris, septembre 2013.
Abel Paul Pitous, Mon cher Albert : Lettre à Albert Camus, éditions Gallimard, Paris, octobre 2013. 

Hors-série Le Monde, Paris, septembre 2013.
Hors-série Le Point, Paris, octobre 2013.

En portugais :

Marcello Duarte Mathias, A felicidade em Albert Camus(Le bonheur chez Albert Camus), éditions Dom Quixote-Leya, Lisbonne, juillet 2013 (première édition, 1975). Inédit en français.

Livres d´Albert Camus récemment (re)parus :

Albert Camus, Écrits libertaires,  Indigène éditions, Montpellier, avril  2013.

Albert Camus, Carnets (Tomes I, II, et III), collection de poche Folio, éditions Gallimard, Paris, septembre 2013.

Albert Camus, Journaux de voyage, collection de poche Folio, éditions Gallimard, Paris, septembre 2013.

Albert Camus, À Combat, collection de poche Folio, éditions Gallimard, Paris, septembre 2013.

Albert Camus, Correspondance avec Francis Ponge (1941-1957), éditions Gallimard, Paris, septembre 2013.

Albert Camus, Correspondance avec Roger Marin du Gard (1944-1958), éditions Gallimard, Paris, septembre 2013.

Albert Camus, Correspondance avec Louis Guilloux (1945-1959), éditions Gallimard, Paris, septembre 2013.

Ayant paru en  2007, on cite également, pour l´importance de l´amitié entre les deux écrivains, la Correspondance avec le poète René Char, disponible aussi chez Gallimard. 

Biographies (et dictionnaire) de référence sur Albert Camus :

Olivier Todd, Albert Camus, une vie, Gallimard, Paris, 1996(repris dans la collection de poche folio en 1999).

Herbert Lottman, Albert Camus, traduit de l´anglais (États-Unis) par Marianne Véron, Le Cherche-Midi, Paris, réédition septembre 2013(L´édition originale américaine-Albert Camus : A Biography-  est disponible chez Gingko Press).

Virgil Tanase, Camus, collection folio biographies, Gallimard, 2010.



Jeanyves Guérin, Dictionnaire Albert Camus, collection Bouquins, Robert Laffont, Paris, 2009. 





dimanche 20 octobre 2013

Claudio Magris à Lisbonne

 
 
Une grande personnalité de la culture européenne, en l´occurrence l´écrivain italien Claudio Magris, sera à Lisbonne cette semaine.
Lundi 21 octobre, il sera à la Fondation Calouste Gulbenkian, à 18 heures, pour recevoir le premier Prix Européen Helena Vaz da Silva pour la divulgation du patrimoine culturel, attribué par le Centre National de Culture du Portugal, par le Club Portugais de la Presse et par Europa Nostra.
Le lendemain, il sera à la Casa Fernando Pessoa, toujours à Lisbonne, à 18h30, pour  la présentation de la traduction portugaise de son livre Alfabeti.
Une occasion à ne pas rater.

jeudi 17 octobre 2013

Centenaire de la naissance de Vinicius de Moraes

 
 
Samedi prochain, 19 octobre, on signalera le centenaire de la naissance d´un grand nom de la poésie brésilienne du vingtième siècle: Vinícius de Moraes. Né à Rio de Janeiro, il est mort également dans cette ville le 9 juillet 1980.
Vinícius de Moraes fut poète(essentiellement lyrique), mais aussi journaliste, dramaturge, diplomate et compositeur. On le connaît surtout pour son apport au  rayonnement  de la musique populaire brésilienne. Son partenariat avec le compositeur Tom Jobim marque une époque dorée de la musique brésilienne. Vinícius de Moraes était un homme qui aimait  jouir des plaisirs de la vie. Ses  liaisons amoureuses avec plusieurs femmes et son goût pour les boissons alcoolisées(particulièrement  le whisky)font partie de sa legende.
Malheureusement, il n´y a pas en ce moment beaucoup de traductions de ses livres disponibles  en français. En faisant une recherche sur le Net, on n´en trouve qu´une seule: Recette de femme,cinq élégies et autres poèmes(préface de Véronique Mortaigne et traduction de Jean-Georges Rueff) aux éditions Chandeigne.
Pour les lecteurs de langue portugaise, toute son oeuvre est disponible chez, entre autres, l´éditeur brésilien A Companhia das Letras.  

vendredi 11 octobre 2013

Le cinquantenaire de la mort de Jean Cocteau





Aujourd´hui, on signale le cinquantenaire de la mort de Jean Cocteau, décédé donc le 11 octobre 1963 dans sa maison de Milly-la-Forêt.
Né le 5 juillet 1889 à Maison-Laffitte, Jean Cocteau était un homme aux multiples talents: poète, dramaturge, cinéaste, graphiste et dessinateur.
Personnage important de la vie artistique française de la première moitié du vingtième siècle, Jean Cocteau n´a jamais fait l´unanimité.Sa liberté de ton et ses extravagances ont ulcéré les gens du soi-disant juste milieu. Son homosexualité affichée(notamment sa relation avec l´acteur Jean Marais)lui a valu aussi pas mal d´inimitiés.
Des oeuvres comme Les enfants terribles, Opium, Plain -chant, Orphée, La voix humaine, Antígone, entre autres, restent des titres d´une importance indiscutable dans l´histoire de la littérature française du vingtième siècle.
Parmi les livres qui viennent de paraître ces derniers temps sur  Jean Cocteau, je me permets de vous conseiller un essai que je finis de lire en ce moment intitulé Proust contre Cocteau(éditions Grasset) écrit par son biographe Claude Arnaud.

jeudi 10 octobre 2013

Le Prix Nobel de Littérature 2013 pour Alice Munro



 L´écrivaine canadienne Alice Munro vient d´être couronnée du Prix Nobel de Littérature 2013. 
Elle est née Alice Ann Laidlaw le 10 juillet 1931, à Wingham, dans le comté de Huron, sur la rive sud-est du lac Huron dans l'Ontario
Alice Munro a surtout publié des contes et des nouvelles. L´Académie suédoise en lui attribuant le prix Nobel l´a considérée comme« la souveraine de l´art de la nouvelle contemporaine».
Parmi ses oeuvres principales, on se permet de relever Dance of the happy shades(en français La danse des ombres heureuses);The moons of Jupiter(Les lunes de Jupiter);The love of a good woman(L´amour d´une hônnete femme); Runaway(Fugitives);Too much happiness(Trop de bonheur).
Son oeuvre a reçu de nombreux prix littéraires au Canada dont le Prix du Gouverneur Général(à trois reprises) et le Giller Prize(deux fois). Elle s´est vu décerner également  le Booker Prize en 1980 et le Prix International Man Booker en 2009.
En France, ses livres sont publiés par les éditions Rivages, Albin Michel et De l´Olivier.
C´est la consécration suprême pour une écrivaine  hors pair. On ne peut que s´en réjouir.    

mardi 8 octobre 2013

Centenaire de la naissance de Claude Simon




Jeudi prochain, 10 octobre, le jour où l´on annoncera très vraisemblablement le lauréat du Prix Nobel de Littérature 2013, on signalera le centenaire de la naissance d´un ancien lauréat de ce prestigieux prix littéraire: Claude Simon qui s´est vu décerner le Nobel en 1985. 
Claude Simon est donc né le 10 octobre 1913  à Tananarive au Madagascar, ancienne colonie française, d´un père militaire qui meurt quelques mois plus tard lors de la première guerre mondiale(analogie tragiquement ironique avec un autre Prix Nobel français,Albert Camus, qui est né aussi en 1913 en Afrique et dont le père est mort également en combat pendant la première guerre mondiale). Élevé par sa mère à Perpignan jusqu´à la mort de celle-ci en 1925 des suites d´un cancer,Claude Simon est pris en charge dans les dernières années de sa jeunesse par sa grand-mère maternelle, un oncle et un cousin germain.
Son oeuvre, exigeante, d´un accès difficile et publiée aux Editions de Minuit,  a toujours connu un succès d´estime, mais le grand public, avant l´attribution du Prix Nobel, ignorait jusqu´au nom de Claude Simon.
Nombre de ses oeuvres-Le vent, L´Acacia, Les Géorgiques, L´Herbe, La route des Flandres, L´Histoire ou Le Tranmway-sont aujourd´hui disponibles en édition de poche.
Dans ses livres-assimilés au Nouveau Roman- où les thèmes récurrents sont l´érotisme, la guerre et l´Histoire,  la mémoire joue un rôle irremplaçable. 
Claude Simon est mort à Paris le 6 juillet 2005.