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Féru de littérature française et étrangère, ma plume sévit dans diverses colonnes de journaux, de sites internet pour partager ce goût qui m´anime. Que détracteurs ou admirateurs n´hésitent pas à réagir à mes chroniques.

vendredi 27 avril 2012

Chronique de mai 2012






La conscience humaniste de David Rousset.


Le 18 janvier on a signalé, dans un silence  pour le moins étrange et dérangeant, le centenaire de la naissance de David Rousset. Ceux qui raffolent de ce genre de date commémorative n´ont pas fait cette fois-ci de grand  bruit autour de l´événement. Pour ma part, je le regrette énormément tout comme je ne puis qu´exprimer mon désarroi devant l´ignorance étalée par nombre d´observateurs sur ce qu´ont représenté après la seconde guerre mondiale les  témoignages de David Rousset sur les camps de la mort nazis. Quatorze ans  après la mort  de ce résistant et combattant de la liberté, je ne suis pas sûr que, outre les universitaires en général, les historiens et les journalistes, les lecteurs de David Rousset soient particulièrement nombreux.
David Rousset est né en 1912 à Roanne au sein d´une famille modeste de confession protestante. Philosophe de formation, il a fait aussi des études dans le domaine de la littérature et s´est intéressé de près à la politique dès sa jeunesse. Dans les années trente, une fois achevées ses études universitaires, il a suivi une carrière de journaliste,  d´enseignant et  de militant politique. De ses voyages en Allemagne et en Tchécoslovaquie, il a ramené des impressions sur les bouleversements en Europe qui l´ont aidé à mûrir ses opinions politiques. Une rencontre avec Léon Trotski à Paris en 1935 l´a rapproché du révolutionnaire russe mais a précipité en même temps son exclusion de la SFIO (Section française de l´Internationale ouvrière) en 1935. L´année suivante, il a été à l´origine de la fondation du POI (Parti ouvrier internationaliste) et a milité contre le colonialisme français en Afrique du Nord.
Épris de justice, il ne pouvait que combattre activement l´occupation nazie. Militant particulièrement engagé, il a  participé à la reconstitution dans la clandestinité du parti qu´il avait fondé en 1936. Pourtant, le 12 octobre 1943 il fut arrêté par la Gestapo, torturé rue des Saussaies pendant toute une journée, puis emprisonné  à Fresnes et enfin déporté.  Pendant sa déportation, il a séjourné en Allemagne à Porta, Westphalica Neuengamme, aux mines de sel de Helmstedt et à Buchenwald.  Ce dernier camp sera un des derniers à être libéré, par les troupes américaines, en 1945.
 Après sa libération, David Rousset a encore broyé du noir du fait de sa santé on ne peut plus affaiblie. En effet, il avait perdu aux camps autour d´une cinquantaine de kilos. En plus, il était atteint par le typhus et souffrait d´une  congestion pulmonaire. C´est quasiment par miracle qu´il a pu alors échapper à une mort certaine. Pendant qu´il dépérissait, la mémoire de sa vie aux camps s´estompait également.  Il se souvenait certes de son internement mais des pans entiers de son expérience s´étaient comme effacés. Sa convalescence à Saint – Jean-de-Monts, en Vendée,  lui a permis, à force de suralimentation, de recouvrer sa santé et de récupérer petit à petit sa mémoire.
Son premier témoignage, il l´a livré à La Revue Internationale, une publication politique, économique et littéraire d´extrême gauche, fondée par Maurice Nadeau, Pierre Naville, Gilles Martinet et Charles Bettelheim et qui comptait sur la collaboration, entre autres,  de Maurice Merleau- Ponty. C´est justement ce dernier qui a réclamé avec insistance à David Rousset un article sur son expérience aux camps. David Rousset a toutefois longtemps rechigné devant cette possibilité, face à la surenchère de publications sur le sujet. Si les parutions ont été légion, nombre d´entre elles n´étaient  pas de vrais témoignages, ni des œuvres scientifiques ou littéraires dignes de ce nom, l´exemple le plus grotesque étant celui du livre d´un abbé, rédigé en alexandrins (y compris les notes de bas de page).  On sait d´ailleurs que les grandes œuvres littéraires ou les grands documents sur l´expérience concentrationnaire nazie ont eu, dans un premier temps, du mal à s´imposer -voir le cas de Primo Levi qui a dû publier d´abord Se questo è un uomo(Si c´est un homme)en 1947 chez De Silva, un petit éditeur de Turin –les gens voulant toujours oublier au plus vite les périodes de guerre.  
Le comité de rédaction a tellement insisté que David Rousset a fini par donner son accord et l´essai intitulé L´univers concentrationnaire (1) fut publié en trois livraisons de La Revue Internationale (décembre 1945, janvier et février 1946).  Le texte a suscité un énorme intérêt tant et si bien que Maurice Nadeau a pris la décision de le faire paraître en un seul volume en 1946, inaugurant ainsi sa nouvelle collection «Le Chemin de la Vie», aux éditions du Pavois. La même année, le livre est couronné du prix Renaudot.
Dans un style concis et direct et sous la forme de dix-huit chapitres sans continuité narrative, David Rousset décrit le système qui régit l´univers concentrationnaire. Selon Émile Copfermann, son biographe: «David Rousset rompt avec la plupart des ouvrages alors parus en ce qu´il met à nu la logique concentrationnaire. La machine nazie applique à la lettre les ultimes conséquences de son idéologie inspiratrice, celle grâce à laquelle les «surhommes» (ceux de la race pure, les Aryens), imposent leur domination aux «sous-hommes» (des races inférieures : Juifs, Tziganes, Slaves, etc., ou déviants de tous ordres : communistes, socialistes, homosexuels…)»(2). Le monde des camps il faut l´avoir vécu pour pouvoir l´évoquer dignement et sans fioritures.  Le peuple qui y végète  c´est, de l´aveu même de Rousset, un monde à la Céline avec des hantises kafkaïennes. Toutes les perversions, tous les clichés sur les nationalités, toutes les misères et crudités humaines émaillent le quotidien d´un camp de concentration. La singularité de ce témoignage, doublé d´une réflexion et d´une analyse historique, sociologique et politique tient au fait –comme nous le rappelle si bien Alain Parrau dans son livre Écrire les camps(3)-que «à l´opposé des Récits de la Kolyma, ou du Monde de Pierre (4), qui se replient sur une solitude que le lecteur ose à peine interrompre, le livre de David Rousset est tout entier tendu vers son lecteur, il l´appelle impérativement. La dimension littéraire de l´ouvrage participe de cette volonté de s´emparer de lui, de l´assigner à l´exigence d´une connaissance sensible de l´univers des camps» (pages 374-375).
Si L´univers concentrationnaire est d´ordinaire rangé dans le rayon des documents, le livre suivant de Rousset, Les Jours de notre mort (5), est souvent classé comme un roman polyphonique. Dans ce livre de plus de 900 pages, l´auteur recueille les récits de témoins allemands, autrichiens, tchèques ou français et reconstitue le calvaire des rescapés des camps.
Un livre plus littéraire que le précédent mais dont le but est pareillement celui de décrire les rouages de l´univers concentrationnaire, d´éveiller la conscience des contemporains de l´auteur sur l´horreur vécue sous la férule nazie et de lutter contre l´oubli en défense de la mémoire.
Alors que les témoignages et les récits commençaient d´étaler au grand jour l´ignominie des camps nazis, David Rousset a décidé de mener un autre combat qui devait lui valoir bien des incompréhensions et des inimités : la dénonciation des camps soviétiques. Cette attitude ne pouvait que soulever un immense tollé. L´Union Soviétique, auréolée de l´héroïsme de  ses soldats et de l´acharnement de son peuple contre la bête nazie, était sortie agrandie de la seconde guerre mondiale et jouissait d´un prestige croissant auprès des intellectuels progressistes européens en général et français en particulier. D´aucuns n´admettaient pas la moindre insinuation sur l´existence des camps soviétiques, connus sous le sigle Goulag(6), comme on a pu le constater lors de l´éclatement en France en 1947 de l´affaire Kravtchenko(7). Néanmoins, nombre d´intellectuels, tout en reconnaissant que  force distorsions ternissaient l´éclat de l´Union Soviétique et donc du communisme, se gardaient d´exprimer publiquement  tout point de vue critique pour, de leur propre aveu, ne pas donner des armes au capitalisme. Or, lorsque David Rousset le 12 novembre 1949  a publié un appel dirigé aux anciens déportés pour que ceux-ci ne fassent pas l´impasse sur les camps soviétiques et dénoncent leur existence, le choc fut des plus retentissants. De nombreuses fédérations de déportés- où le poids des communistes était naturellement énorme- se sont scindées en deux. L´avilissement dont David Rousset a fait l´objet fut tellement cruel que d´anciens amis changeaient de trottoir quand ils le croisaient dans la rue. Même Emil, le communiste allemand, camarade de camp à qui est dédié le livre Les Jours de notre mort, n´a pas été solidaire avec lui. La presse communiste, Les Lettres françaises en tête, l´a abreuvé d´injures, ce qui l´a poussé à traduire en justice les calomniateurs. Dans le procès- où est venue témoigner pour lui Margarete Buber – Neumann(8) – il a obtenu gain de cause. Des intellectuels de renom ont exprimé leur mécontentement à l´égard de Rousset des façons les plus diverses. Jean-Paul Sartre et Maurice Merleau-Ponty ont signé en janvier 1950 dans les Temps modernes un article intitulé «Les jours de notre vie» où ils ont rompu avec l´ancien camarade avec des arguments pour le moins hypocrites : «La vérité est que même l´expérience d´un absolu comme l´horreur concentrationnaire ne détermine pas une politique», refusant de la sorte toute condamnation de l´Urss.  On  ne peut point ignorer bien entendu que nombre de caractéristiques rendaient dissemblables les univers concentrationnaires de l´Allemagne nazie et de l´Union Soviétique.  En plus, en Urss, il n´y a pas eu,bien sûr, de solution finale. Pouvait –on pour autant se garder de toute dénonciation sous prétexte que le capitalisme en tirerait profit et que l´édification d´une société communisme justifiait tous les excès ?Cependant, un nombre important d´intellectuels se sont prêtés à ce jeu, les conditions géopolitiques de l´époque et  la guerre froide y étant pour beaucoup.
Le combat de David Rousset en quête de la vérité et de la justice a continué de plus belle. En 1950, il a fondé avec un groupe d´anciens déportés une Commission internationale contre le régime concentrationnaire (la CICRC) pour enquêter  sur les camps de concentration toujours en activité. L´Urss refusant de collaborer, la Commission  a convoqué en 1951 une séance publique à Bruxelles –où Rousset fut nommé procureur général- dans laquelle un tribunal d´honneur se penchait sur la réalité concentrationnaire soviétique. Le représentant de la France dans cette commission était l´ethnologue et résistante française Germaine Tillion. Les travaux de cette Commission ont duré plusieurs années avec des moyens financiers très limités et sous la pression des accusations infondées de complicité avec les Américains. La persévérance de Rousset ne s´est pas pour autant amenuisée. Ce qui est d´ailleurs exceptionnel dans le parcours de David Rousset c´est que, pour reprendre les sages paroles de Tzvetan Todorov dans son livre Mémoire du mal, Tentation du bien (9), l´idéal collectif consiste dans la liberté de l´individu : «C´est cette découverte qui explique la conduite de Rousset lui-même qui, une fois sorti du camp, choisit la vérité de préférence à la fidélité aux organisations» (page 172).
La conscience humaniste de David Rousset ne peut pourtant pas être vue uniquement sous l´angle de son rôle dans la dénonciation des camps. Son combat pour l´émancipation des peuples et contre le colonialisme datant de sa jeunesse ne s´est pas estompé. Il a repris le flambeau soit pendant la guerre d´Indochine soit pendant la guerre d´Algérie où il a fondé avec d´autres intellectuels le comité Maurice Audin du nom du jeune mathématicien communiste enlevé et  vraisemblablement occis par les parachutistes français du Massu. Il  a enquêté sur la torture en Algérie et a  également écrit un Livre Blanc  sur la situation pénitentiaire en Chine.
La décolonisation menée par le Général De Gaulle en Algérie a poussé David Rousset à soutenir sa candidature présidentielle en 1965(devenant ce qu´on appelait alors «un gaulliste de gauche») et en 1968 il a été élu député Udr en Isère. Il s´ est néanmoins détourné du parti après la mort du Général en 1970. Il a  encore fondé l´Union travailliste et a terminé la législature comme non-inscrit. 
Pendant ce temps, il n´a jamais abandonné le journalisme ayant collaboré au Figaro, au Monde et à France-Culture. Il a  également continué à publier des livres dont La Société éclatée, Sur la guerre et Fragments d´autobiographie.
David Rousset s´est éteint à Paris le 13 décembre 1997. L´année de son centenaire on ne peut que rappeler son exemple et célébrer  sa conscience humaniste et indépendante traduite par exemple dans cette phrase qu´il a proférée un jour (10): «On ne peut se remettre du choix entre la vérité et le mensonge ni à sa classe, ni à son parti, ni à son État. Le tribunal de dernière instance est toujours en soi-même». 


(    (1)    David Rousset, L´univers concentrationnaire, collection Pluriel, Hachette, Paris, 2011
(   ( 2)    Préface de L´univers concentrationnaire.
(   (3)    Alain Parrau, Écrire les camps, éditions Belin (poche), Paris, 2009
(   (4)   Varlam Chalamov, Les récits de la Kolyma, éditions Verdier, Paris, 2003 et Tadeusz Borowski, Le monde de pierre, Christian Bourgois, Paris, 1992.
(   ( 5)    David Rousset, Les Jours de notre mort, collection Pluriel, Hachette, Paris, 2005
(   ( 6)    Goulag signifie effectivement : Administration principale des camps.
(    (7) Victor Andreïevitch Kravtchenko, dissident soviétique, accusé par l´hebdomadaire procommuniste Les Lettres françaises d´avoir été piloté par les services secrets américains, à la suite de la parution de son livre J´ai choisi la liberté. Kravtchenko a intenté un procès en diffamation contre l´hebdomadaire français et l´a remporté. Pour en savoir davantage, je vous conseille le livre de Nina Berberova, L´affaire Kravtchenko, collection Babel, Actes-Sud, Arles, 2009.
(   (8)   Margarete Buber-Neumann, militante politique allemande fut livrée par Staline à Hitler en 1940 et a connu l´expérience concentrationnaire des camps  soviétiques et nazis à la fois. On peut lire son témoignage notamment dans Prisonnière de Staline et d´Hitler : Volume 1-Déportée en Sibérie ; volume 2-Déportée à Ravensbrück. Les deux volumes sont disponibles en français dans la collection Points, aux éditions du Seuil. Elle a participé en tant que témoin du dissident soviétique au procès Kravtchenko-Les Lettres françaises. 
(        (9) Tzvetan Todorov, Mémoire du mal, Tentation du bien, Robert Laffont, Paris, 2000.
(   (10)In «Le Sens », cité par Tzvetan Todorov dans l´ouvrage mentionné.     



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