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Féru de littérature française et étrangère, ma plume sévit dans diverses colonnes de journaux, de sites internet pour partager ce goût qui m´anime. Que détracteurs ou admirateurs n´hésitent pas à réagir à mes chroniques.

samedi 27 mars 2010

Chronique d´avril 2010






Le temps et la mémoire selon Antonio Tabucchi.




Il est déjà bien lointain ce jour des années soixante où, attendant le train pour regagner l´Italie à la gare de Lyon à Paris, un jeune italien découvre chez un bouquiniste la traduction de Pierre Hourcade du poème «Tabacaria» de Álvaro de Campos, un des hétéronymes du poète portugais Fernando Pessoa. La lecture des poésies de Álvaro de Campos pendant le voyage l´a tellement ébloui que l´on peut dire sans l´ombre d´un doute qu´elle aura changé sa vie. Il s´est mis en tête séance tenante d´en savoir davantage et sur l´œuvre du génie des lettres lusitaniennes et sur la littérature portugaise en général. Une littérature qu´il a fini par enseigner en des universités italiennes. Ce jeune italien n´était autre- vous l´aurez déjà sûrement deviné- qu´Antonio Tabucchi qui a porté à une telle incandescence sa passion pour la littérature portugaise qu´il s´est même permis d´écrire en 1993 un roman –Requiem- directement en portugais. L ´histoire de Tabucchi se confond tellement avec l´évocation de l´œuvre de Pessoa que d´aucuns pourraient aller jusqu´à penser, ignorant tout de lui y compris sa date et lieu de naissance et s´il est vivant ou mort, qu´Antonio Tabucchi serait tout compte fait un hétéronyme de Pessoa(en écrivant ceci, il me vient à l´esprit une phrase aux accents provocateurs de António Lobo Antunes dans une interview au magazine Ler, à la fin des années quatre-vingt, selon laquelle Fernando Pessoa était peut-être un hétéronyme de João Gaspar Simões, un critique portugais, précurseur dans l´étude de l´oeuvre du génie portugais). Bien sûr, je pousse l´ironie jusqu´à introduire ici une boutade, peut-être une sorte de jeu à l´envers comme Tabucchi en a d´ailleurs le secret. Dans ses romans, ses personnages sont toujours soit à la recherche d´autrui soit en quête de leur propre personnalité, ou les deux à la fois. L´écrivain mexicain Sergio Pitol(prix Cervantès 2005), grand admirateur de Tabucchi, écrit dans son livre El arte de la fuga* ce qui suit :« Les malentendus, les équivoques, les zones d´ombre, les fausses évidences, les réalités rêvées, les rêves maculés par une réalité terrible, la recherche de ce que l´on sait au départ perdu, les jeux à l´envers, les voix issues de lieux se trouvant près de l´enfer sont des éléments que l´on côtoie d´ordinaire dans le monde de Antonio Tabucchi. Et encore, une élégance, parfaite parce qu´elle ne fait jamais étalage d´elle-même. L´élégance chez Tabucchi va de pair en général avec la mélancolie, toujours à l´ombre du récit ou cachée derrière le langage».Mais Tabucchi est également, on le sait, un intellectuel engagé («impegnato», comme on dit en Italie) et si une grande partie de ses livres(dont certains ont fait l´objet d´adaptations cinématographiques) gravite autour de la recherche de soi ou d´autrui comme Notturno Indiano, quand il ne s´agit pas de donner un nom à un corps inconnu(il filo dell´orizonte)ou d´ enquêter sur une tête déplacée d´un corps( La testa perduta di Damasceno Monteiro), Antonio Tabucchi s´immisce de temps à autre en des univers plus politisés et ainsi a-t-il enfanté des romans tout aussi intéressants tels Piazza d´Italia, (où l´on regarde l´histoire du côté des perdants, en l´occurrence les anarchistes toscans), Sostiene Pereira( une fiction sur un journaliste dans le Portugal salazariste des années trente du vingtième siècle) ou Tristano muore(où l´on entend un vieux résistant raconter, à l´article de la mort, sa vie passée). Contrairement à Umberto Eco qui tient l´intellectuel pour quelqu´un qui organise et oriente les connaissances, pour Tabucchi, il a le droit de prendre position et de sonner le tocsin quand les libertés publiques sont en danger. Tabucchi ne s´est jamais privé de dénoncer le marasme berlusconien où l´Italie se trouve plongée depuis des années devant l´indifférence, l´inertie, l´ineptie, oserait-on dire, de la majorité du peuple italien. Son courage lui a d´ailleurs coûté assez cher, les sbires de Berlusconi l´ont traîné dans la boue et lui ont intenté des procès, parfois en soulevant les insinuations les plus sordides.
Je n´ai jamais fait à vrai dire la connaissance de Tabucchi. D´aucuns mettent en exergue sa gentillesse et sa courtoisie contrairement à d´autres qui ne le supportent pas et parlent de lui comme d´un homme hautain ou à tout le moins indifférent. Si je ne l´ai jamais vraiment connu, je l´ai déjà croisé à deux reprises dans ma vie. La première fois ce fut il y a plusieurs années (je ne pourrais même pas préciser la date) dans la Rua da Rosa dans le quartier de Bairro Alto à Lisbonne. Il semblait se promener dans un après-midi printanier, regardant autour de lui, en fin observateur, comme si le détail le plus infime pouvait déclencher un quelconque mécanisme de réflexion, voire l´idée d´une fiction. La deuxième c´était tout récemment le 18 septembre 2009, à la Fondation Mário Soares, lors de la présentation de la traduction portugaise du livre Avec Camus de Jean Daniel, avec la présence de l´auteur. On s´est croisés dans l´ascenseur et une fois arrivés au premier étage où avait lieu la conférence, je l´ai prié de passer devant moi et lui, courtoisement, m´a rendu la politesse, me priant à son tour de passer devant lui, avec un large sourire aux lèvres. Donc, c´est une image de courtoisie et de politesse que je garde d´Antonio Tabucchi…
Le dernier livre de Antonio Tabucchi, paru au printemps dernier en France chez Gallimard, avant même de paraître en Italie chez Feltrinelli au mois de septembre (et le mois dernier en Espagne chez Anagrama), s´intitule Il tempo invecchia in fretta(Le temps vieillit plus vite, en français) et il s´agit d´un livre de contes. Neuf histoires d´une rare finesse où le temps déroule le fil de la mémoire et les personnages semblent apparemment égarés ou impuissants devant le cours inexorable de la vie. Comme si leurs fantasmes se réveillaient soudain et venaient hanter leur existence. Pourtant ce n´est effectivement qu´une apparence, parce que les personnages sont d´ordinaire à même de donner un sens à leur vie.
Dans «Nuvole»(«Nuages»), peut-être le plus beau récit du livre (du moins est-ce l´avis de la plupart des membres du club de lecture de Libritalia**), on tombe sur un curieux dialogue entre un officier italien (d´ascendance étrangère) à la retraite et une jeune écolière d´origine péruvienne, adoptée par un couple italien dans un lieu de villégiature(une plage croate) pendant les grandes vacances. L´officier italien a été victime de radiations de l´uranium appauvri et explique à l´enfant comment on peut lire dans les nuages. Dans «Fra Generali» («Entre Généraux»), un des récits les plus émouvants à mon avis, il y est question de solidarité entre militaires. Deux militaires (un Hongrois et un Russe) qui s´étaient connus quelque temps auparavant, se retrouvent des deux côtés opposés de la barricade lors de l´insurrection hongroise de 1956. Le résistant hongrois finit emprisonné et purge naturellement une peine. Après la chute du mur de Berlin, il est décoré et réintégré dans l´armée magyare, mais la vie semble n´avoir plus aucun sens et en regardant les gratte- ciels de New York, où il habite, il se rend compte que la ville lui dit effectivement très peu. C´est alors qu´il décide de se déplacer à Moscou pour rencontrer l´officier russe, parce que, au bout du compte, il n´ y a pas de haine entre les militaires.
L´Europe de l´Est, à l´occasion du vingtième anniversaire de la chute du mur de Berlin, est d´ailleurs fort présente dans le livre, l´action d´autres récits s´y déroulant comme «Bucarest non è cambiata per niente»(«Bucarest n´a pas changé du tout») et «I morti a tavola»(«Les morts sur table»). Dans ce dernier récit, un ancien agent de la défunte République Démocratique Allemande qui avait espionné Bertold Brecht pendant des années, déambule dans la ville de Berlin et décide de visiter la tombe du dramaturge pour lui confier un secret.
Les autres récits, tous indépendants entre eux, semblent néanmoins des pièces du même puzzle, tout en donnant aussi contradictoirement l´impression d´être souvent de petites équivoques sans importance ou de rêves de rêves. Et ce, parce que, au fond, on ne saurait pas bien expliquer ce qu´est au juste l´écriture. Elle est peut-être une bête sauvage comme Tabucchi l´a affirmé lui-même dans un entretien récent accordé au Magazine Littéraire (numéro 486-mai 2009). Et les personnages font souvent naître en nous un sentiment étrange. Comme Tabucchi en témoigne dans le même entretien : « On leur donne la vie, ils sortent des limbes, et soudain ils existent, et puis vous les enfermez dans une cage, vous les obligez à vivre éternellement l´histoire que vous avez inventée. Raconter au lecteur comment un personnage est né, c´est un peu lui faire cadeau de ce personnage, lui dire : voilà je vous le donne, faites en ce que vous voulez, vous pouvez lui imaginer une autre histoire.»
Des histoires et des personnages, Tabucchi en enfantera sûrement beaucoup d´autres. On pourra donc continuer à se délecter de ses livres, ceux que l´on a déjà lus et ceux qu´on lira encore. Le temps vieillit peut-être vite, mais sûrement pas les livres de Antonio Tabucchi…

*Traduction française : L´art de la fugue, éditions Passage du Nord- Ouest. L´édition originale en langue espagnole a été publiée chez Anagrama.


**Le club de lecture de Libritalia(Librairie italienne de Lisbonne) dont je fais partie existe depuis quatre ou cinq mois et en février le livre choisi c´était bien Il tempo invecchia in fretta(Le temps vieillit vite).


P.S- Les livres cités dans l´article sont tous traduits en français avec les titres qui suivent : Le fil de l´horizon, Nocturne Indien, Pereira prétend, La tête perdue de Damasceno Monteiro, Tristano meurt. Requiem et Piazza d´Italia conservent en français le même titre de la version originale.

Antonio Tabucchi,Il tempo invecchia in fretta, Feltrinelli, Milano, 2009(traduction française : Le temps vieillit vite, Gallimard, Paris, 2009).

jeudi 18 mars 2010

Semaine de la francophonie


Dans le cadre de la semaine de la francophonie, on pourra assister aujourd´hui vers 18 heures à l´Institut franco-portugais à Lisbonne à une rencontre avec le cinéaste et écrivain français d´origine américaine, Eugène Green(voir photo), auteur notamment de La Reconstruction et La bataille de Roncevaux.

À 20h, à l´Institut Culturel Roumain, dans le même bâtiment, on pourra entendre des poèmes français et roumains par l´actrice Andreia Macedo.

Ne manquez pas!

samedi 13 mars 2010

Miguel Delibes(1920-2010)

Une des voix les plus respectées de la littérature espagnole contemporaine vient de s´éteindre dans sa ville natale- Valladolid-à l´âge de quatre-vingt neuf ans: Miguel Delibes. Auteur d´une oeuvre couronnée de prestigieux prix littéraires dont le prince des Asturies en 1982 et le Cervantès en 1993, Miguel Delibes a écrit des livres remarquables parmi lesquels on pourrait citer:La sombra del ciprés es alargada(L´ombre du cyprès est allongée), Cinco horas con Mario(Cinq heures avec Mario) et El hereje(L´hérétique). Un auteur immense et qu´au Portugal on connaît malheureusement très peu, en dehors des cercles littéraires. Un auteur à faire connaître du grand public amant des belles lettres.