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Féru de littérature française et étrangère, ma plume sévit dans diverses colonnes de journaux, de sites internet pour partager ce goût qui m´anime. Que détracteurs ou admirateurs n´hésitent pas à réagir à mes chroniques.

jeudi 28 janvier 2010

J. D. Salinger (1919-2010)


Je me rappelle encore l´émotion et l´enthousiasme que j´ai ressentis en lisant, il y a presque vingt-cinq ans, le roman The Catcher in the Rye(traduction française: L´attrape-coeurs), publié en 1951 par l´énigmatique écrivain américain J. D. Salinger. Holden Caulfield, le personnage principal du roman, a enivré, dans son rôle d´antihéros, des générations de jeunes lecteurs.Or, Jerome David Salinger vient de décéder à l´âge de quatre-vingt-onze ans, chez lui,à Cornish dans l´État du New Hampshire. Atteint du soi-disant syndrome de Bartleby, il n´avait rien publié depuis 1965, année où l´on avait pu lire dans le magazine New Yorker la nouvelle Hapworth 16, 1924. Loin d´avoir jamais été un auteur prolifique d´ailleurs, J.D. Salinger n´aimait nullement se montrer en public et il a rarement accordé des interviews.

Que sa mort puisse au moins attirer l´attention des jeunes lecteurs sur ses livres et, particulièrement, sur son chef-d´oeuvre The Catcher in the Rye.

mercredi 27 janvier 2010

Chronique de février 2010


Witold Gombrowicz ou le goût de la provocation.


Ricardo Piglia, en évoquant un jour Witold Gombrowicz, a tenu le propos qui suit : «C´ est le plus grand écrivain argentin du vingtième siècle». C´était bien entendu une boutade que d´aucuns n´ont pourtant pas vu d´un bon œil, non seulement parce qu´il se serait agi d´une offense à l´ombre tutélaire de Jorge Luis Borges, mais aussi parce que, comme chacun le sait, Witold Gombrowicz, malgré son séjour de vingt-quatre ans en Argentine, était un écrivain polonais.
Né en 1904, à Maloszyce, près de Opatow, Witold Gombrowicz s´est tôt affirmé comme un écrivain provocateur, tirant à boulets rouges sur les piliers de la société traditionnelle polonaise, catholique, nobiliaire et provinciale. Enfant, il prenait un malin plaisir à contredire sa mère qui se plaignait, la pauvre, du côté excessivement plaisantin voire burlesque de son rejeton. La situation économique relativement aisée de sa famille a permis au jeune Witold d´obtenir sa licence à la faculté de droit de Varsovie, puis d´achever ses études à Paris où il a suivi des cours de philosophie et de sciences économiques. Pendant son séjour parisien, si d´une part il a pu jouir de la richesse culturelle de la ville lumière qui tranchait on ne peut plus avec la pénurie et le provincialisme bigot de sa Pologne natale, d´autre part, il s´est rendu compte que malgré l´effervescence qui y régnait, il ne saurait, de par son tempérament irrévérent et iconoclaste, épouser aucune des innombrables coteries intellectuelles qui y sévissaient.
De retour en Pologne, et une fois rejetée sa candidature au tribunal de Radom, il a renoncé à une carrière d´avocat. Se sentant de plus en plus attiré par l´écriture, il a publié en 1933, Mémoires du temps de l´immaturité, un recueil de récits pleins d´humour- reparu plus tard sous le nom de Bakakaï- où perçaient déjà les sujets chers à Gombrowicz, dont, comme l´indique le titre même du livre, l´immaturité. Le livre fut mal accueilli et tout à fait incompris par une critique traditionnelle, toujours en retard (d´une révolution, aurait-on envie de dire) quand il s´ agit de flairer des œuvres innovatrices. La parution de ce livre a toutefois procuré au jeune auteur un certain prestige auprès des cercles d´avant-garde et il s´est mis à fréquenter les cafés littéraires de Varsovie, se faisant petit à petit remarquer, malgré sa timidité campagnarde.
En 1937, Gombrowicz a récidivé, cette fois-ci avec un livre tout à fait révolutionnaire, sans doute son chef-d´œuvre : Ferdydurke. Gombrowicz amplifiait dans ce magnifique roman les sujets que l´on avait déjà entrevus dans son premier livre, l´immaturité et la jeunesse (l´idéal de beauté féminine de Ferdydurke c´ est une petite collégienne moderne qui vous fascine avec ses mollets), le masque dont on se sert pour se couvrir devant autrui, l´oppression de la société sur l´ individu et la «gueule». Gombrowicz a expliqué dans un livre ultérieur, Souvenirs de Pologne, ce qu´était pour lui «la gueule» ainsi que le «cucul» : «Je suis l´auteur de la «gueule» et du «cucul»- c´est sous le signe de ces deux puissants mythes que j´ai fait mon entrée dans la littérature polonaise. Mais que signifie «faire une gueule» à quelqu´un ou «encuculer» quelqu´un ?«Faire une gueule» à un homme, c´est l´affubler d´un autre visage que le sien, le déformer…Et l´«encuculement» est un procédé similaire, à cette différence près qu´il consiste à traiter un adulte comme un enfant, à l´infantiliser. Comme vous le voyez, ces deux métaphores sont relatives à l´acte de déformation que commet un homme sur un autre. Et si j´occupe dans la littérature une place à part, c´est sans doute essentiellement parce que j´ai mis en évidence l´extraordinaire importance de la forme dans la vie tant sociale que personnelle de l´être humain. « L´homme crée l´homme»-tel était mon point de départ en psychologie.»
Pour en revenir à Ferdydurke, le livre, cela va sans dire, a suscité un tollé. De véritables philippiques ont été adressées à l´encontre de Gombrowicz, les gens du soi-disant juste milieu l´ayant même traité de corrupteur. Néanmoins, il y a eu aussi des voix pour prendre le parti de Gombrowicz, et parmi les plus importantes, on trouve celle d´ un autre admirable écrivain, Bruno Schulz. Ce dernier a salué la liberté de ton et la forme nouvelle et révolutionnaire de la méthode de narration. En outre, il a qualifié Gombrowicz de «chasseur acharné des mensonges culturels».
L´année suivante, Gombrowicz a accouché de son premier texte dramaturgique : Yvonne, la princesse de Bourgogne, un texte marqué par son caractère grotesque qui est passé relativement inaperçu.
L´année 1939 a constitué un tournant dans la vie de ce jeune écrivain polonais. En juillet 1939, dans un entretien au café Zodiac à Varsovie avec un écrivain ami, Czeslaw Straszewicz, il a découvert que ce dernier allait voyager le mois suivant jusqu´ en Amérique du Sud à bord du nouveau transatlantique polonais Chrobry qui lèverait l´encre pour Buenos Aires début août.
Straszewicz, s´étant aperçu de l´enthousiasme de Gombrowicz, lui a promis de faire des démarches pour que son ami fût aussi du voyage. Pourtant, c´est grâce à un miraculeux coup du destin que Gombrowicz a pu faire le déplacement. En effet, la veille de son départ, Gombrowicz s´est entendu dire qu´il lui manquait un document important : une autorisation militaire spéciale. Etant monté dans un taxi à vive allure vers le bureau militaire, Gombrowicz y est arrivé avec trois minutes de retard et l´huissier lui a donc refusé l´entrée. Néanmoins, par un de ces coups de chance qui ne se produisent pas tous les jours, Gombrowicz a été sauvé grâce au retard providentiel d´une équipe de football qui devait partir au Danemark et dont l´entrée n´a pu être refusée. Gombrowicz a donc fini par se voir apposer le tampon nécessaire sur le document militaire.
Une dizaine de jours après l´arrivée du transatlantique à Buenos Aires, éclatait la seconde guerre mondiale. Le Chrobry ne pouvait pas rentrer en Pologne, envahie par les troupes nazies et Gombrowicz- contrairement à Straszewicz qui a opté pour le départ en Angleterre- a décidé de rester en Argentine. Ce séjour au pays des pampas s´est prolongé pendant vingt-quatre ans et il a façonné en quelque sorte une partie de l´œuvre ultérieure de l´auteur tant et si bien que dans un roman que Gombrowicz a commencé à écrire en 1947 Le Trans -Atlantique, on peut reconnaître sous les traits de certains personnages des figures de la vie intellectuelle argentine, du moins Gombrowicz se serait-il inspiré de quelques caractéristiques de ses figures-là pour créer ses personnages. Les rapports entre Gombrowicz et les principales figures de la vie culture argentine ont été un tant soit peu ambigus. Il a toujours rechigné à faire partie des cercles littéraires les plus influents de Buenos Aires, comme celui qui rassemblait chez Victoria Ocampo des noms comme Jorge Luis Borges, Adolfo Bioy Casares et sa femme Silvina Ocampo(sœur de Victoria)autour de la revue Sur. Il a pourtant plus ou moins fréquenté d´autres noms importants de la littérature argentine comme Ernesto Sabato. À vrai dire, Gombrowicz, ne connaissant pas l´espagnol et ignorant presque tout de la littérature argentine avant son séjour au pays, a vécu, surtout dans ses premières années en Argentine, comme un simple immigré. Son salaire comme secrétaire surnuméraire du Banco Polaco(Banque polonaise)ne lui permettait pas de mener grand train. Il a longtemps partagé sa chambre avec d´autres immigrés. Son goût de la provocation l´amenait souvent à se présenter comme un comte et de son propre aveu il s´était installé dans son anonymat et se moquait pas mal du milieu littéraire. En évoquant plus tard cette période dans une série d´entretiens accordés à Dominique de Roux (rassemblés en livre sous le titre Testament), Gombrowicz affirmait : «J´étais libre, indépendant, capricieux et provocant.» Il a commencé à se faire un peu remarquer après la traduction en espagnol de Ferdydurke, une tâche à laquelle il s´est attelé dans un café de Buenos Aires qu´il fréquentait avec la collaboration de quelques amis dont l´écrivain cubain Virgilio Piñera qui vivait en ce temps-là en Argentine. Mais pour que ce livre fût véritablement reconnu comme une œuvre majeure, il lui manquait une chose essentielle qui ne s´est produite que bien des années plus tard : la reconnaissance de Paris. C´était d´ailleurs un aspect où Polonais et Argentins se rejoignaient. En tant que littératures soi-disant minoritaires voire marginales à cette époque-là, il leur fallait que leurs œuvres fussent applaudies dans un pays de grande tradition littéraire(en ce moment-là c´était surtout encore la France) pour qu´elles pussent acquérir leurs lettres de noblesse. Or, l´édition française de Ferdydurke n´a vu le jour que dans les années cinquante et elle a joué, il est vrai, un rôle fondamental dans la reconnaissance à l´échelle mondiale de l´œuvre de Gombrowicz. Les affinités entre la Pologne et l´Argentine ne sont pas particulièrement nombreuses, mais ont suscité des commentaires lucides et des extrapolations intéressantes. On se permet de citer dans ce registre quelques observations de Blas Matamoro dans un article publié dans le numéro 469/470 des Cuadernos Hispano-Americanos en 1989 : « L´exil dédouble Gombrowicz en une paire de patries imaginaires : le mythe du corps jeune (l´Argentine) et celui de la parole immarcescible (la Pologne), un mot qui perd de son actualité, à compter de la distance et qui se réfugie en l´évocation du baroque polonais désigné par «sarmata», une sorte de nationalisme récalcitrant qui définit la Pologne comme un espace auquel ne peuvent que répugner les séductions de la modernité européenne. Quelque chose qui ressemble à l´Argentine des nationalistes argentins. La synthèse de ces deux côtés mythiques est le roman Trans -Atlantique, une approche caricaturale de certains aspects de la vie argentine (la richesse commerciale de la rue Florida, les bals populaires, l´oligarchie liée au bétail, le côté précieux des salons érudits, etc) et de la vie polonaise dans l´immigration (l´hypertrophie cérémonieuse et faussement chevaleresque de sa diplomatie) racontée en un registre néo -baroque de «gaweda», récit populaire du dix-neuvième siècle». Ce double espace gombrowicien est également présent dans le roman Trans -Atlantique sous la perspective du mythe de la jeunesse associé à l´homosexualité. Toujours selon Blas Matamoro, à ce propos «il suffit de lire Trans-Atlantique et sa position intermédiaire entre Gonzalo et le vieux général polonais, entre la morale du millionnaire argentin métis qui sort chaque jour dans la rue pour séduire des maçons avec l´espoir de se faire rosser et se promène habillé en dame sophistiquée par les salons bariolés de son «estancia pampeana», et l´éthique sévère du vieux seigneur européen, qui veut retirer son fils d´entre les bras du «puto»*».
Quand j´ai cité plus haut la boutade de Ricardo Piglia, un des meilleurs écrivains argentins contemporains, certains lecteurs auront pensé en lisant les toutes premières lignes de cet article qu´il s´agissait d´un indiscutable pied de nez à Borges. Ce n´était sans doute pas celle-là l´intention de Ricardo Piglia, mais toujours est-il que les rapports entre Borges et Gombrowicz ont fait jaser et le moins que l´on puisse dire c´ est que les deux auteurs ne se tenaient pas en haute estime.
Interrogé un jour sur Gombrowicz, Borges a proféré les paroles qui suivent : « À cet homme, Gombrowicz, je l´ai vu une fois. Il m´a semblé une sorte d´histrion. Il vivait très modestement et il a fait croire à ses compagnons de chambre qu´il était un comte afin de ne jamais nettoyer leur chambre : « Nous les comtes, nous sommes très souillons» aurait-il dit(…) Il m´a été présenté par un ami commun, Mastronardi. Il parlait tellement de Gombrowicz qu´un jour il s´est vu interdire de le nommer. Chaque fois que Mastronardi employait les mots « un étranger, un esclave, un aristocrate, un observateur», on n´ignorait nullement de qui il parlait(…) Quand je suis allé à Paris les journalistes me demandaient si je connaissais Gombrowicz et je leur répondais : «je dois vous avouer mon ignorance, je ne l´ai jamais lu». En effet, j´ai commencé à lire Ferdydurke mais au bout de dix minutes de lecture j´ai eu l´envie de lire d´autres livres. Peut-être ce qu´il y a de mieux dans la littérature européenne c´est justement ça : par vertu ou par défaut elle nous amène à vouloir lire les classiques : je dois à certains auteurs modernes le fait d´avoir relu Virgile tant de fois…»
Gombrowicz ne s´est pas privé de lui brûler la politesse, quoique son discours soit quand même plus nuancé. Dans Testament, la série d´entretiens accordés à Dominique de Roux, il a répondu à propos d´une question sur Borges : « Borges et moi, nous sommes à l´opposé. Il est enraciné dans la littérature, moi dans la vie, je suis à vrai dire antilittéraire. C´est à cause de cela justement qu´un rapprochement avec Borges aurait pu être fructueux, mais des difficultés techniques y ont fait obstacle. Nous nous sommes rencontrés une fois ou deux, et nous en sommes restés là. Borges avait déjà une petite chapelle, un peu trop obséquieuse, il parlait, eux, ils écoutaient. Ce qu´ il disait ne me paraissait pas de la meilleure qualité, c´était trop étroit, trop littéraire, des paradoxes, des bons mots, des subtilités, bref, le genre que j´ai particulièrement en horreur. Son intelligence ne m´a pas ébloui, ce fut seulement plus tard, lorsque je lus ses œuvres proprement artistiques (ses contes), que je fus contraint de lui reconnaître une rare perspicacité d´âme et d´esprit. Mais le Borges «parlé», ce Borges de conversations, de conférences, d´interviews, et aussi celui des essais et des critiques, m´est toujours apparu étriqué, plutôt superficiel. En Argentine, on m´a souvent cité comme «excellents» les bons mots de Borges. Eh bien, chaque fois j´ai été déçu. Ce n´était que de la littérature, et même pas de la meilleure.»
Malgré cette méfiance entre eux, il y avait quand même des caractéristiques qui les rapprochaient, comme nous l´a si bien rappelé le grand écrivain argentin Juan José Saer(1937-2005) dans l´article La perspectiva exterior, paru en 1989 dans la revue Punto de Vista. Selon Saer, ils avaient en commun, entre autres choses, le même goût pour la provocation, la même méfiance théorique vis-à-vis des avant-gardes et surtout la même tentative de démolition de la forme, Gombrowicz en exaltant l´immaturité et Borges, en démantelant constamment l´illusion de l´identité, très vraisemblablement s´inspirant du même maître, Schopenhauer. Puis ils s´entre- accusaient de snobisme, aristocratisme et autres épithètes qui à vrai dire pourraient en un certain sens aider à brosser le portrait craché et de l´un et de l´autre.
Pendant son séjour argentin, Gombrowicz n´a jamais cessé d´écrire, comme en témoignent le roman La pornographie ou la pièce Le mariage. Il a commencé aussi de rédiger son magnifique Journal qui contrairement à d´autres journaux d´écrivains comme ceux de Thomas Mann, de Cesare Pavese ou d´André Gide s´occupe très peu de la vie intime de l´auteur, à mon avis pour la gloire et le plaisir du lecteur. Selon les sages paroles de Juan José Saer, le Journal de Gombrowicz n´est pas le prétexte pour l´introspection, mais plutôt pour l´analyse, la réflexion et la polémique.
En 1963, alors que sa réputation en Europe était croissante, Gombrowicz, grâce à une bourse, quittait l´Argentine pour séjourner pendant un an environ à Berlin comme invité de la Fondation Ford et du Sénat. L´année suivante, il s´installait en France, d´abord à Royaumont, dans une résidence pour écrivains- où il a connu l´étudiante canadienne Rita Labrosse qui deviendrait sa femme-, puis à Vence, une petite ville des Alpes-Maritimes. En 1965, paraissait son dernier roman Cosmos qui s´est vu décerner le Prix Européen de Littérature et pendant ce temps ses pièces de théâtre suscitaient un énorme enthousiasme dans les milieux dramaturgiques français. Entre-temps, il poursuivait la rédaction de son Journal et préparait les textes des entretiens avec Dominique de Roux. Le 24 juillet 1969, il s´éteignait à l´âge de soixante- quatre ans, des suites d´une insuffisance respiratoire.
Aujourd´hui plus de quarante ans après sa mort, Gombrowicz est considéré comme une des voix les plus géniales de la littérature du vingtième siècle.
Je vous invite donc, si vous ne l´avez pas encore fait, cher lecteur, à découvrir l´œuvre d´un auteur original qui a dit un jour de lui-même ce qui suit : «Je suis un humoriste, un plaisantin, je suis un acrobate et un provocateur. Mes ouvrages font le pied au mur pour plaire, je suis cirque, lyrisme, poésie, horreur, bagarre, jeu, que voulez-vous de plus ?»


*Puto- mot populaire espagnol pour désigner celui qui se prostitue.

samedi 2 janvier 2010

«Mon» Camus



Ce 4 janvier, on signale le cinquantième anniversaire de la mort prématurée (à l´âge de 46 ans), dans un stupide accident de voiture, d´un des écrivains français les plus importants du vingtième siècle. Prix Nobel en 1957, à l´âge de 44 ans, Albert Camus, est né en Algérie en 1913, fils d´un «poilu», mort à la Grande Guerre en 1914, dont il n´avait donc aucune mémoire, et d´une femme de ménage analphabète. C´est grâce aux bons offices de son professeur Louis Germain auprès de sa mère que Camus a pu poursuivre ses études et devenir un écrivain hors pair, un philosophe de l´existentialisme et un des analystes les plus lucides de la vie culturelle et politique française des années quarante et cinquante du siècle précédent.
Un de ces jours, j´ai retrouvé parmi de vieux papiers gardés dans un tiroir, un texte que j´ai écrit quand j´avais dix-huit ans, à la demande de mon professeur de Français de Terminale, au lycée Passos Manuel à Lisbonne. Il s´agit d´un commentaire sur un extrait du roman L´Étranger de Camus. J´ai longtemps hésité avant de me décider finalement à reproduire ici ce texte. J´ai même pris conseil auprès de quelques amis. Je craignais que l´on ne me prît pour quelqu´un de prétentieux. Néanmoins, la mise en ligne du texte présente à mon avis plus d´avantages que d´inconvénients, dès lors celui de voir comment un jeune portugais, épris de culture française, pouvait lire Camus à l´âge de dix-huit ans, avec toutes les imperfections propres de sa pensée à l´époque. La mise en ligne de ce texte me permet aussi de rendre hommage non seulement à Albert Camus mais aussi au professeur qui m´a demandé d´écrire ce texte, M. Vitor Oliveira que malheureusement j´ai perdu de vue, et aux deux professeurs qui l´ont précédé, Madame Maria Manuela Gamboa que j´ai eu le plaisir de retrouver tout récemment et Madame Zélia Sampaio Santos qui est aujourd´hui ma collègue- heureuse ironie du sort !- à l´École Secondaire José Gomes Ferreira, à Lisbonne.
Voici donc mon texte, avec les corrections qui s´imposent (deux petites fautes d´orthographe que j´avais commises). Pour la petite histoire, j´ai eu comme note 18/20 :

«Dans ce texte de L´Étranger, l´action se déroule en un espace limité, plus précisément dans la rue où habite Meursault le personnage principal de l´œuvre et la fenêtre à travers laquelle il peut observer le déroulement d´un dimanche, la fenêtre étant celle de sa chambre.
Le décor de la rue, selon lui, nous montre au premier abord qu´il s´agit d´un dimanche pareil à tant d´autres. Les trams bondés qui d´un moment à l´autre se vidaient complètement, rendant la rue déserte ou le garçon qui balayait la sciure dans la salle déserte étaient des décors qui se répétaient à chaque dimanche et il en fait d´ailleurs référence à la fin du premier paragraphe : «c´était vraiment dimanche.»
Le soleil, le ciel, la lumière, tout ce qui fait partie de la nature en somme, conditionne dans l´œuvre de Camus et, dans ce texte aussi, la conduite de l´individu. Cela est bien compréhensible, si l´on tient en considération le fait que Camus est né en Algérie (où se déroule d´ailleurs l´action de L´Étranger), un pays ensoleillé (quand l´ouvrage a été écrit, l´ Algérie était encore une colonie française) où les décors sont tous naturels, ce qui a profondément marqué toute son œuvre. Mais, en reprenant le rôle tenu par la nature (et à plus forte raison par le soleil), on constate que le changement de temps météorologique coïncide avec un changement de décor dans la rue où habite Meursault. On peut aussi témoigner de l´influence que la nature exerce sur les gens. Dans le premier paragraphe, alors que la rue était encore déserte, «le ciel était pur mais sans éclat au-dessus des ficus qui bordent la rue».Dans le deuxième paragraphe, l´exemple est encore plus flagrant : «Le ciel s´est assombri et j´ai cru que nous allions avoir un orage d´été. Il s´est découvert peu à peu cependant. Mais le passage des nuées avait laissé sur la rue comme une promesse de pluie qui l´a rendue plus sombre. Je suis resté longtemps à regarder le ciel».
Dans le paragraphe qui suit, une fois chassée la menace d´orage, et au fur et à mesure que le temps se découvrait, les tramways devenaient plus fréquents et la rue n´était plus déserte.
Dans le quatrième paragraphe encore un changement de temps(le ciel est devenu rougeâtre) et par conséquent changement de décor : «Les rues se sont animées» ; «on se promenait».
Dans le tout dernier paragraphe, la métamorphose devient plus incisive. La lumière des lampes éclipsait les premières étoiles du ciel. Et la lumière agissait alors de toute sa puissance comme une force qui porte malédiction. C´est presque un paradoxe mais la lumière du soleil qui était plus dangereuse rendait néanmoins les gens plus gais alors que la lumière artificielle les éloignait puisqu´elle était synonyme de la tombée de la nuit. À mon avis, on peut établir un parallèle entre le cours du jour et la vie d´un être humain, ce qui ne me semble pas exagéré dans le cadre de la théorie de l´absurde de Camus. On ne sait quel temps va faire le lendemain, la seule certitude c´est que le jour se lève et la nuit tombe.
Dans ce texte tout semble s´enchaîner. Des phrases courtes et des paragraphes pas trop longs marquent une action précise et une succession de faits.
On se doit aussi de faire référence aux sensations. Dans ce texte les sensations que l´on relève sont essentiellement visuelles : «J´ai senti mes yeux se fatiguer à regarder les trottoirs avec un changement d´hommes et de lumières» et auditives : les bruits des tramways et des gens sur la rue.
Pour ce qui est des figures de style, on en trouve quelques exemples – la synesthésie : « le ciel est devenu rougeâtre» ; la métaphore : «Les cinémas du quartier ont déversé dans la rue un flot de spectateurs» ; «des grappes de spectateurs».
Quoique ce texte ne nous fournisse pas assez d´éléments sur les théories et la philosophie d´Albert Camus (notamment, le soleil ne joue pas ici son rôle incisif à l´instar de ce qui se passe dans d´autres moments de l´ouvrage), il n´en est pas moins intéressant puisque chaque chapitre joue un rôle important dans le développement de la théorie de l´absurde et du cours logique de la mainmise du destin sur l´individu. Le destin auquel on ne peut pas échapper.
Regardons la dernière phrase du texte : « Je pensais que c´était toujours un dimanche de tiré, que maman était maintenant enterrée, que j´allais reprendre mon travail et que, somme toute, il n´y avait rien de changé». Pour Meursault il s´agissait d´un jour (et d´un dimanche) comme beaucoup d´autres. Certes, sa mère était morte. Mais cela ne changeait rien. Puisque la mort est la seule certitude de la vie. Elle nous rejoint un jour ou l´autre. Aussi est-elle un fait banal.»

vendredi 1 janvier 2010

José Marçal Matos Ferreira (1947-2009)


Une triste nouvelle est venue clore l´année 2009:la mort de M. Matos Ferreira,le fondateur et animateur de la Galerie qui porte son nom(sise Rue Luz Soriano, dans le quartier de Bairro Alto, à Lisbonne) et où grâce à la gentillesse et à la nature affable de son propriétaire j´ai pu donner ces derniers temps des conférences sur des auteurs de langue portugaise.

Son décès représente un vide difficile à combler dans un temps où ceux qui s´intéressent à la littérature en particulier et à la culture en général semblent faire partie d´une sorte de société secrète et ultra-minoritaire.

Tous ceux qui ont connu M. Matos Ferreira sauront sûrement honorer sa mémoire et suivre son exemple.