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Féru de littérature française et étrangère, ma plume sévit dans diverses colonnes de journaux, de sites internet pour partager ce goût qui m´anime. Que détracteurs ou admirateurs n´hésitent pas à réagir à mes chroniques.

mardi 13 octobre 2009

Danilo Kis est mort il y a vingt ans



Ce jeudi, 15 octobre, on signale le vingtième anniversaire de la mort du grand écrivain Danilo Kis. En hommage à ce grand nom de la culture européenne, je reproduis ici un article que j´ai écrit en juillet 2006 pour le site de la Nouvelle Librairie Française de Lisbonne:

«Lorsque, en octobre 1989, le bloc soviétique était en train de s´effondrer, avec les révolutions successives dans les pays d´Europe centrale et orientale et, plus tard, la chute du mur de Berlin, s´éteignait à Paris à 54 ans, victime d´un cancer, une des voix les plus singulières de la littérature européenne, le yougoslave Danilo Kis. Dans un essai daté de 1994, l´écrivaine américaine Susan Sontag (décédée en décembre 2004) écrivait que la mort prématurée de Danilo Kis l´avait empêché de suivre la transformation de l´Europe, mais ironiquement lui avait également épargné la tristesse d´assister au retour des vieux démons balkaniques et de l´émiettement, sous le coup de la fureur exterminatrice et génocidaire, de la Yougoslavie , lui qui avait toujours combattu les totalitarismes de tout poil et qui était, de par ses origines, un Yougoslave bon teint.
Danilo Kis est né en 1935, à Subotica, ville située en Voïvodine, près de la frontière hongroise, d´un père juif hongrois et d´une mère serbe orthodoxe originaire du Monténégro. Sa prime enfance, il la passe en Hongrie, mais à l´âge de neuf ans il vit une terrible expérience : son père est déporté à Auschwitz d´où il ne rentrera jamais. En 1947 grâce à la Croix rouge internationale, il est rapatrié avec le reste de sa famille au Monténégro où il est accueilli par son oncle maternel, historien et directeur de musée à Cetinje. Au sortir de l´adolescence, il s´essaie à la poésie et à la traduction, un domaine pour lequel il était très doué, non seulement grâce à son bilinguisme (serbo-croate et hongrois), mais aussi à une bonne maîtrise du français, de l´anglais et du russe. Il suit, en concomitance, des études à l´université de Belgrade et fait partie de la première génération des comparatistes sortis de cette université. Il débute donc une carrière académique comme lecteur de serbo-croate dans plusieurs universités françaises (Strasbourg, Bordeaux, Lille), mais il publie aussi ses premiers livres. Le tout premier, La Mansarde, est un roman qui parodie l´amour, où le héros de l´histoire est à la recherche de l´amour idéal et vit dans une mansarde sale, pleine de cafards ou de souris, mais entouré de livres-culte comme L´ Éthique de Spinoza, Don Quichotte de Cervantès, La Bible ou Le Manifeste de Breton. Ce roman, où l´humour côtoie parfois la mélancolie et où les passages lyriques succèdent à des évocations qui frôlent l´obscénité, recèle des images poétiques d´une richesse assez rare.
Jardin, cendres et Chagrins précoces sont les livres suivants où Danilo Kis commence à ébaucher les contours définitifs de son oeuvre : une profonde réflexion sur les totalitarismes du XXème siècle, tant communiste que fasciste, d´ordinaire au travers de récits d´inspiration autobiographique, où l´enfance est un lieu magique, mais aussi d´irruption des premiers chagrins. Le pouvoir d´évocation des souvenirs de sa prime enfance établit une parenté -que nombre d´observateurs ont su, à juste titre, déceler- entre son oeuvre et celle de l´écrivain polonais Bruno Schulz (voir nos chroniques de février). Mais la parenté s´arrête là.
Ce n´est néanmoins qu´en 1976 que Danilo Kis a pu asseoir à jamais sa réputation, non sans mal. En fait, son recueil de nouvelles, Un tombeau pour Boris Davidovitch , qui constitue à vrai dire, sept brillantes variations sur une même «histoire» (la dissidence et la répression dans les pays de l´Europe de l´Est), a connu un énorme succès international, mais a occasionné d´absurdes accusations de plagiat et une sale campagne de dénigrement. Kis s´en défend dans son livre suivant - La leçon d´anatomie (1978) - où il établit la généalogie de ses oeuvres et expose, avec une surprenante acuité, les fondements de sa pensée.
Danilo Kis nous donne encore la juste mesure de son talent dans le recueil Encyclopédie des morts (1985), un ensemble de récits où le fantastique, le lyrisme et l´ironie s´entremêlent en des histoires fort imaginatives sous le signe de l´amour et de la mort. Ce livre contient d´ailleurs, en épigraphe, une belle citation de Georges Bataille «Ma rage d´aimer donne sur la mort comme une fenêtre sur la cour».
Après sa disparition, en 1989, la presse belgradoise pleurait sa mort et -ironie du sort- ceux qui l´avaient naguère traîné dans la boue, lors de l´affaire sordide de l´accusation de plagiat, ont été les premiers à vouloir l´élever au rang de gloire nationale. On sait bien que l´hypocrisie n´a pas de honte...
Par contre, comme nous l´a également raconté Susan Sontag dans son petit essai cité plus haut, repris dans le recueil Where the stress falls (Vintage,2003) , le souvenir de Danilo Kis était présent –et évoqué un peu partout- à Sarajevo, pour son exemple de lutte contre tous les totalitarismes y compris les nationalismes bornés, et pour l´harmonie entre les différents peuples d´un même pays, rejoignant d´ailleurs la pensée d´un autre grand Yougoslave, Ivo Andric, prix Nobel de Littérature en 1961.
Il est temps que les lecteurs qui l´ignorent encore se laissent séduire par l´oeuvre originale de Danilo Kis.»

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