Qui êtes-vous ?

Ma photo
Féru de littérature française et étrangère, ma plume sévit dans diverses colonnes de journaux, de sites internet pour partager ce goût qui m´anime. Que détracteurs ou admirateurs n´hésitent pas à réagir à mes chroniques.

mercredi 26 août 2009

Chronique de septembre 2009




L´irréalité immédiate de Max Blecher.


Quand en 1972 l´ éditeur Maurice Nadeau a publié la première traduction française du livre Intâmplâri in Irealitatea imediatâ(Aventures dans l´irréalité immédiate)(1),on n´était même pas sûr du prénom de l´auteur tant et si bien qu´on l´a nommé Marcel Blecher. Quand le livre avait paru en Roumanie dans les années trente, l´auteur signait M.Blecher, laissant planer le doute sur son véritable prénom. En 1972, Maurice Nadeau a opté pour le prénom Marcel en suivant des avis autorisés. Pourtant, nombre d´autres voix, rejoignant des informations en provenance de la Roumanie, assuraient que ses amis l´appelaient Max et c´est sous ce nom que le livre est reparu chez le même éditeur en 1989.
Cette incertitude sur le prénom de l´écrivain peut s´expliquer entre autres raisons par la brièveté de sa vie. Il n´a vécu en effet que vingt-huit ans…
Issu d´une famille juive relativement aisée (son père était commerçant de porcelaines), Max Blecher est né le 8 septembre 1909 dans la petite ville de Botosani, près de Roman, en Moldavie. Après la fin des études secondaires, il est parti à Paris (destination mythique pour nombre de Roumains au fil du vingtième siècle) pour y suivre des études de médecine qu´il n´est néanmoins pas parvenu à conclure puisqu´il a été atteint du mal de Pott (une tuberculose de la colonne vertébrale), une maladie pour laquelle à l´époque il n´y avait pas le moindre espoir de guérison. Dès la découverte et l´aggravation des symptômes de cette terrible maladie, il fut contraint de passer sa vie allongé dans une gouttière et de séjourner dans plusieurs sanatoriums,-surtout à Berck, surnommée la «Mecque de la tuberculose osseuse»- une expérience dont il allait faire partiellement la matière de ses écrits. Pendant ce que l´on pourrait appeler son printemps parisien, il n´a pu rester insensible- lui, qui s´était déjà découvert une vocation d´écrivain – au bouillonnement littéraire et artistique de la ville lumière et les contraintes de sa maladie n´ont fait qu´accentuer ce goût pour l´écriture. Dès 1930, il a commencé à écrire régulièrement, du théâtre, de la prose et des poèmes qui auraient enchanté Breton qui l´a fait connaître, mais le coup d´éclat c´est la publication en 1935 à Bucarest de Aventures dans l´irréalité immédiate, un livre original, aux accents surréalistes, où le narrateur- qui raconte des pans de son enfance- semble se mouvoir au milieu d´un décor hallucinatoire et un tant soit peu féerique. Le livre suscite un énorme enthousiasme surtout dans certains milieux d´avant-garde. Les années trente en Roumanie furent- comme d´ailleurs un peu partout en Europe- des années sombres d´un point de vue politique avec l´éclosion d´une myriade de mouvements antisémites et fascistes symbolisés à fortiori par la Garde de Fer ou la Légion de l´Archange Michel, mais aussi en concomitance une effervescence artistique et littéraire sans pareil qui s´est traduite par l´irruption sur le devant de la scène d´une jeune génération d´auteurs qui ont bousculé le paysage littéraire roumain et dont certains sont devenus par la suite des noms incontournables du patrimoine culturel européen comme Mircea Eliade, Emil Cioran et Eugène Ionesco. C´est justement ce dernier, alors un critique littéraire particulièrement acerbe, qui de son propre aveu se nomme «anti-critique», qui s´attaque dans son livre Non aux plus grands écrivains de l´époque, dont le discours aux accents frondeurs balaie tout sur son passage, C´est Eugène Ionesco donc, comme nous le rappelle Georgeta Horodinca(2),qui salue en M.Blecher(son aîné de deux mois)quelqu´un qui ne s´est pas arrêté à« la psychologie, aux effets faciles, à la périphérie de l´âme, qui n´ont qu´à rester et à l´avenir le domaine réservé d´une soi-disant littérature d´auto-analyse(…) Son récit autobiographique est une véritable «épopée intérieure», qui met en valeur des faits au substrat métaphysique».
L´année suivante, c´est son roman Cœurs cicatrisés- qui dans sa première version portait le titre Berck, la ville du sanatorium où il a séjourné- qui impressionne un autre grand nom de la littérature roumaine, le romancier et dramaturge Mihail Sebastian. Néanmoins, la critique traditionnelle tout en reconnaissant les qualités étalées par le jeune écrivain dans ses livres rechigne encore à le placer parmi les chefs de file de la nouvelle littérature roumaine. En 1937, E. Lovinescu, un critique très en vue à l´époque, lui réserve un espace plutôt modeste dans son Histoire de la littérature roumaine contemporaine et sans qu´il eût le temps de prouver aux critiques de la vieille garde que c´était leur académisme poussiéreux qui les empêchaient de flairer dans ses écrits la modernité qui en jaillissait, M.Blecher, rongé par la maladie, meurt le 31 mai 1938, à l´âge de vingt-huit ans.
Après sa mort et surtout a partir de 1947, on a publié plusieurs inédits de l´auteur dont La tanière éclairée, un journal du sanatorium que l´on a joint aux Aventures dans l´irréalité immédiate dans la traduction française de l´éditeur Maurice Nadeau en 1989. C´est cette traduction de Marianne Sora(Aventures dans l´irréalité immédiate)et de Georgeta Horodinca et Hélène Fleury(La tanière éclairée) – agrémentée de deux belles préfaces de Georgeta Horodinca et de Ovid Crohmalniceanu- que j´ai lue et qui m´a véritablement ébloui.
La plupart des critiques qui se sont penchés sur l´œuvre de Max Blecher, y décèlent une parenté avec trois autres noms importants de la littérature européenne du vingtième siècle : Franz Kafka, Robert Walser et Bruno Schulz. C´est avec ce dernier que je lui trouve le plus de similitudes. Beaucoup d´aspects rapprochent Aventures dans l´irréalité immédiate de Les boutiques de cannelle de l´écrivain juif polonais assassiné en 1942 par un agent de la Gestapo : les souvenirs d´enfance, l´attirance pour ces labyrinthes noirs, ces longs couloirs des maisons, ces patios juifs d´Europe Orientale, enfin la fascination pour des objets (statuettes vulgaires, figures de cire des foires, produits à bon marché) qui tendent à être dévalorisés par autrui. Des objets qui sont souvent associés à la nostalgie ou à la mélancolie de l´enfance comme en témoignent ces lignes que l´on peut lire à la page 57 :« C´est dans de menus objets sans importance –une plume noire, un petit livre banal, une vieille photo où l´on distingue des personnages fragiles et inactuels qui semblent souffrir de quelque grave maladie, un cendrier de faïence vert tendre en forme de feuille de chêne et qui garde l´odeur des cendres refroidies-,dans le simple souvenir des lunettes de Samuel Weber, dans de menus ornements et d´humbles objets domestiques, que je retrouve toute la mélancolie de mon enfance.». Dans ce texte, on décèle également de multiples exemples du sentiment de vide et des spectres qui flottent et se confondent avec la vie réelle.
Il y a aussi, comme nous l´a rappelé Ovid Crohmalniceanu- et là Kafka et Walser rejoignent Blecher et Schulz – cette faculté de s´installer dans le malheur, de l´accepter comme une donnée da la vie courante. Et puis il y a une des caractéristiques essentielles de l´écriture blechérienne : l´ hallucination, l´irruption soudaine du rêve dans la réalité. D´aucuns y voient des traces des enseignements surréalistes que Blecher auraient assimilés à Paris. L´auteur ne refusait nullement cet héritage mais alors qu´il travaillait d´arrache-pied aux Aventures dans l´irréalité immédiate, il a tenu à clarifier, dans une lettre envoyée en 1934 à Sacha Pana (lui-même poète surréaliste à qui le père de Blecher a confié après la mort de son fils ses écrits inédits), ses rapports avec le surréalisme dont «l´orthodoxie de manifeste» ne pouvait que le rebuter. Et toujours dans cette lettre il finit par présenter son idéal d´écriture qui serait pour lui«la transposition en littérature de la haute tension que dégage la peinture de Salvador Dali. Voilà ce que je voudrais réaliser- cette démence à froid, parfaitement lisible et essentielle. Que les explosions se produisent entre les murs d´une chambre et non pas loin, dans des continents chimériques et abstraits. Que la visite des spectres ait lieu normalement par la porte, qu´ils frappent poliment avant d´entrer et qu´ils étranglent tout aussi poliment.»Tant dans Aventures dans l´irréalité immédiate que dans La tanière éclairée, cet idéal d´écriture est sans doute accompli. Dans ce dernier texte, un des extraits qui m´ont le plus impressionné se trouve entre les pages 228 et 236. Le narrateur- alter ego de l´auteur- se promène en ville et déniche une boutique atypique, à la fois charcuterie et maison de pompes funèbres. Le propriétaire s´en explique : le commerce de charcuterie, il l´a hérité de son beau-père et comme l´autre affaire- celui des pompes funèbres- était on ne peut plus florissante, et le loyer était très élevé, il a décidé de rassembler les deux affaires dans la même boutique et l´on avait donc les pompes funèbres les lundis, les mercredis et les vendredis et une charcuterie de bonne qualité les mardis, les jeudis et les samedis. Le plus bizarre c´est pourtant quand le propriétaire lui présente ses bricoles et ses produits parmi lesquels un poste émetteur de radio dont on pouvait extraire des objets, rien qu´en tournant un bouton, par exemple une boîte de sardines portugaises. Il s´agit bien entendu d´un rêve, mais c´est sans doute un des exemples les plus achevés de l´inventivité de l´œuvre de Blecher. En lisant certaines lignes de Blecher, et notamment ce mélange de rêve et de réalité, il m´est venu à l´esprit les transfigurations du réel des magnifiques poèmes de Cesário Verde,(par exemple, les transfigurations des fruits et des légumes en un beau corps féminin dans le poème Num Bairro Moderno, Dans un quartier moderne) un des plus grands poètes portugais de tous les temps, mort tuberculeux en 1886 à l´âge de trente et un ans…
À l´occasion du centenaire de sa naissance, il est finalement grand temps de découvrir l´œuvre originale de Max Blecher.

(1) Les éditions Maurice Nadeau en mentionnant le titre original ont maintenu l´ortographe russifiée et ont ainsi écrit« Intîmplari» au lieu de «Intâmplari». C´est que pendant la période communiste on a procédé en Roumanie à des changements linguistiques-notamment le remplacement de«â» par «î»- de sorte à rapprocher la langue roumaine-pourtant une langue latine-de la langue russe. Heureusement j´ai parlé de mon intention d´écrire ce texte à mon ami Virgil Mihaiu, directeur de l´Institut Culturel Roumain de Lisbonne, ce qui m´a permis de reproduire ici donc l´orthographe correcte.

(2) Dans le texte de la préface du livre Aventures dans la réalité immédiate.

dimanche 2 août 2009

Knut Hamsun,des sentiments contradictoires



Ce 4 août on signale en Norvège et un peu partout le cent cinquantième anniversaire de la naissance de Knut Hamsun. Plus de cinquante ans après sa mort, on nourrit encore à son égard des sentiments contradictoires : d´une part l´admiration pour l´écrivain et d´autre part la déception devant un homme qui au crépuscule de sa vie n´a pas hésité à collaborer avec les forces d´occupation nazies de son propre pays. Je reproduis ici un article que j´ai écrit en avril 2007 pour le site de la Nouvelle Librairie Française de Lisbonne sur cet admirable écrivain qui s´est certes égaré dans la collaboration, mais dont l´œuvre compte parmi les plus importantes du vingtième siècle.


«L´actualité littéraire a été secouée l´été dernier par la polémique autour des déclarations de Günter Grass sur son enrôlement, à l´âge de 17 ans, dans la Waffen-SS , un épisode de son passé que celui qui est considéré comme la conscience critique ou morale de la gauche allemande, prix Nobel de littérature en 1999, a caché pendant plus de soixante ans. L´écrivain allemand a expliqué son silence par la honte qu´il éprouvait devant ce fait et son enrôlement dans cette unité d´élite comme une façon d´échapper à l´univers familial. Nombre d´intellectuels ont apporté leur soutien à Günter Grass devant les attaques virulentes dont l´auteur fut victime, certains de ses critiques allant jusqu´à déclarer que l´Académie Nobel aurait dû lui retirer le prix décerné en 1999. Peu d´observateurs se sont rappelés que contrairement à Günter Grass qui ne fut jamais effectivement un nazi et dont l´œuvre témoigne de la lutte de l´auteur, à travers la fiction, contre l´oubli de la responsabilité collective allemande, il y a bien eu un autre prix Nobel de littérature qui, au crépuscule de sa vie, à l´âge de quatre-vingts ans, a applaudi de façon enthousiaste l´occupation de son pays - la Norvège- par les troupes hitlériennes. Je parle, bien entendu, de Knut Hamsun, nom de plume de Knud Pedersen. Écrivain hors pair, ce Norvégien né en 1859 à Garmo, un bourg de montagne, au sein d´une famille modeste, mène une vie vagabonde, émigre pour un temps à Chicago, aux Etats-Unis, avant de devenir un auteur réputé, à qui l´Académie Nobel n´a pas rechigné à attribuer, en 1920, la consécration suprême. Admiré par André Gide, Thomas Mann, Henry Miller, Kafka ou Brecht, Knut Hamsun fut, sans l´ombre d´un doute, un des auteurs les plus influents en Europe et dans le monde, dans la première moitié du vingtième siècle. Comme l´a écrit Chloé Hunzinger, en 2003, dans la Revue des Ressources, l´œuvre de Hamsun désoriente et fascine à la fois. Les héros de ses livres sont « de jeunes rêveurs condamnés à la marginalité et à la déchéance qui pourtant gardent une fraîcheur d´enfance, une grâce : des vagabonds d´une poésie saugrenue, étrangers à l´existence, évoluant au milieu de lacs, de forêts, de rivières ; avançant au sein d´un univers païen, presque panthéiste.»
Comment cet homme d´une rare intelligence a-t-il pu sombrer dans la collaboration avec la horde de fanatiques qui a occupé son pays lors de la seconde guerre mondiale ? D´aucuns diraient qu´il n´a pas été le seul, ils furent quelques-uns, les grands intellectuels européens qui ont salué le nazisme. En France, notamment, nous avons eu l´exemple de Céline, Drieu La Rochelle, et même Paul Morand (pourtant aussitôt réhabilité). De toute façon, on reste perplexe. Les raisons qui ont poussé Hamsun à soutenir les Nazis peuvent avoir trait entre autres aspects, à sa soif d´absolu, à sa traditionnelle germanophilie, à d´autres motifs qui ne sauraient être expliqués de façon rationnelle. À la fin de la guerre, il est mis au ban et soumis à un traitement psychiatrique. Un procès le condamne à payer à l´État des dommages élevés pour le soutien moral apporté à l´occupant et ses droits d´auteur rétrécissent comme peau de chagrin. Il meurt en 1952, à l´âge de quatre vingt treize ans, non sans avoir encore écrit deux livres Pro Domo (1947) et Sur les sentiers où l´herbe repousse (1949), une sorte d´autobiographie où il n´a cependant pas justifié ses prises de position pendant la seconde guerre mondiale.
Si aujourd´hui encore on a du mal à réhabiliter l´homme, l´œuvre est toujours aussi vivante. La faim est le roman qui a définitivement assis sa réputation de grand écrivain. Publié en norvégien en 1890, il fut traduit en français en 1895. Il est disponible dans la collection Biblio du Livre de poche, comme d´ailleurs la plupart des livres de l´auteur. Le héros est un jeune intellectuel qui lutte quotidiennement pour se nourrir ou pour garder une petite chambre d´ordinaire infecte. Parfois, il réussit à faire accepter ses textes par le directeur d´un quotidien qui souvent lui avance de petits acomptes. Pourtant, errant en quête d´une pièce pour pouvoir manger, il s´en débarrasse, la donnant au premier venu, comme si les pièces lui brûlaient les mains. La faim est le livre de la déchéance physique et psychologique, de quelqu´un qui, malgré la misère et le malheur, refuse de sombrer dans la mendicité. Un livre à lire de nos jours, pour que l´on comprenne ce qu´était à l´époque le vrai dénuement. Les autres livres de Hamsun à signaler (si tant est que l´on puisse considérer que dans l´œuvre de cet écrivain il y ait vraiment des livres plus importants que d´autres) sont Mystères (1892) ; Pan (1894) ; Victoria (1898) ou Sous le soleil d´automne (1906), des romans où il décrit avec une indiscutable maestria les angoisses qui secouent des figures à la personnalité hors du commun, vivant fréquemment en marge de la société, ou plongés dans un exil intérieur.
L´importance de Knut Hamsun dans la littérature du vingtième siècle est condensée dans un commentaire de Isaac Bashevis Singer que l´on peut retrouver dans la préface à l´édition américaine de La faim : «Hamsun est à tout point de vue le père de la littérature moderne par sa subjectivité, son impressionnisme, son usage de la rétrospection et son lyrisme (…). Toute la littérature moderne de ce siècle prend sa source chez Hamsun»».