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Féru de littérature française et étrangère, ma plume sévit dans diverses colonnes de journaux, de sites internet pour partager ce goût qui m´anime. Que détracteurs ou admirateurs n´hésitent pas à réagir à mes chroniques.

lundi 27 juillet 2009

Chronique d´août 2009



La résurrection de Irène Némirovsky.


En 1918, l´Europe de l´Ouest, traumatisée par les ravages de la première guerre mondiale, a vu débarquer dans ses principales villes une bourgeoise et une aristocratie- souvent liées à la Banque et à la haute finance et parfois juives- chassées de la Russie éternelle, devenue entre-temps le pays des Soviets. Cette classe était instruite, cultivée et avait connu une éducation tournée vers le cosmopolitisme et la maîtrise des langues étrangères, surtout le français. Une de ces familles –d´origine ukrainienne et juive- était celle du banquier Léon Némirovsky, dont la fille Irène, née en 1903,était particulièrement douée pour les arts et les lettres. Après un court séjour- d´à peine une année- en Finlande, puis en Suède, les Némirovsky se sont installés en France. Pour Irène la France n´était pas à proprement parler un pays inconnu, étant donné que sa gouvernante –qui a joué en quelque sorte le rôle de mère de substitution, sa vraie mère ayant toujours éprouvé un énorme désintérêt pour son enfant- l´avait élevée dans le culte d´un pays quasiment mythique, terre des libertés, des belles lettres et du raffinement des arts, de telle sorte que la jeune Irène maniait la langue de Voltaire et de Chateaubriand avec une verve et une aisance qui auraient sûrement fait rougir de honte nombre de Français instruits de l´époque.
Habitant dans un quartier chic du seizième arrondissement,Léon Némirovsky s´est procuré une nouvelle gouvernante- cette fois-ci anglaise- pour sa fille Irène qui a pu finir ses études et a épousé en 1926, Michel Epstein, un ingénieur russe immigré, devenu par la suite banquier. Ils auront deux filles : Elisabeth et Denise. C´est également vers 1926 que Irène Némirovsky a publié son premier roman, Le Malentendu. Malgré un premier texte paru en 1921 au bi –hebdomadaire Fantasio et une nouvelle écrite en 1923, elle faisait ses véritables débuts littéraires avec ce premier roman. Mais c´était en 1929 et le deuxième roman David Golder que Irène Némirovsky est devenue célèbre. Adapté au cinéma par Julien Duvivier en 1930 avec Harri Baur dans le rôle du protagoniste, ce roman- publié par les éditions Bernard Grasset- raconte l´histoire d´un homme ruiné, malade, abandonné de tous ceux qu´il chérissait et qui, désespéré, essaie de saisir une dernière occasion de redevenir riche. C´est le portrait d´un homme, mais aussi d´une société. Les personnages de Irène Némirovsky sont d´ailleurs assez souvent des gens immanquablement attirés vers le gouffre, le gouffre des passions, de l´argent.
Ce succès a permis à Irène Némirovsky de fréquenter le gratin de la littérature française des années trente – elle fut louée par Cocteau, Kessel, Maurois ou Brasillach- et c´est grâce à Paul Morand que quatre de ses nouvelles seront publiées chez Gallimard sous le titre de Films Parlés. Entre-temps, un autre roman, Le Bal, fait l´objet d´une adaptation cinématographique, un film qui révèlera au monde la figure éblouissante de l´actrice Danielle Darrieux. Malgré toutes ces réussites, la jeune égérie d´ascendance ukrainienne s´est vu refuser la naturalisation française en 1935 et plus tard l´avènement de la seconde guerre mondiale l´a placée – à elle et à toute sa famille, bien entendu- en une situation extrêmement précaire, étant donné sa condition juive. Avec la promulgation des lois antisémites du très ordurier régime de Vichy, Irène Némirovsky a filé un mauvais coton. Sa conversion au catholicisme en 1939 ne l´a pas sauvée d´être interdite de publication. Candide, l´hebdomadaire de droite où elle collaborait régulièrement a rompu tout lien à la suite de l´entrée en vigueur du Statut des Juifs en octobre 1940. Un autre hebdomadaire de droite –Gringoire -, devenu ouvertement antisémite, a néanmoins consenti à la publier sous couvert d´un pseudonyme. Entre-temps, Irène Némirovsky et sa famille s´étaient réfugiés à Issy-l´Évêque en Saône- et – Loire où la romancière fut arrêtée le 13 juillet 1942. Emmenée dans un premier temps à Pithiviers, elle fut déportée le 16 à Auschwitz où elle est morte le 19 août. Son mari, Michel Epstein, a connu le même sort en novembre de la même année et seules les deux filles Elisabeth et Denise ont pu se sauver.
Pendant des décennies, l´œuvre de Irène Némirovsky est tombée dans l´oubli, les reparutions étant on ne peut plus sporadiques. Les choses ont commencé à changer au début des années quatre vingt -dix où son ancien éditeur Albin Michel a republié quelques livres, mais le tournant décisif a été la parution d´un inédit- un véritable coup d´éclat-, Suite Française, en 2004. Exhumé d´une malle contenant quelques manuscrits, ce roman, écrit dans la tourmente des années noires de la seconde guerre mondiale, dépeint l´Exode de juin 1940 avec une verve, une ardeur, un sens du tragique et des splendeurs et misères de la condition humaine que nul n´y restera insensible, tant et si bien que les jurés du prix Renaudot n´ont pas rechigné à couronner l´œuvre à titre posthume, une première d´ailleurs. Le roman a paru chez Denoël avec une belle préface de Myriam Anissimov. Depuis lors, l´audience de Irène Némirovsky n´a cessé de croître. Grasset, Albin Michel ou Denoël republient à un rythme assez régulier toutes les œuvres de Irène Némirovsky : David Golder, Le Bal, L´affaire Courilof, Les Feux de l´Automne, Les Mouches de l´Automne, La proie, Le maître des Âmes, Chaleur de Sang ou le dernier en date, Les Vierges et autres nouvelles (avril 2009). Le 2 septembre reparaîtra- cette fois-ci dans la collection «Le livre de poche», la dernière édition(Albin Michel en grand format) remontant à 1990-Le Vin de la solitude un livre largement autobiographique qui se trouve être le livre préféré de Denise Epstein, une des filles de Irène Némirovsky, comme elle me l´a confié en novembre 2005 à Lisbonne, lors de la parution de la traduction portugaise de Suite française (1).
D´aucuns se sont déjà interrogés sur les raisons de cet énorme succès – non seulement en France, mais aussi à l´étranger, surtout dans les pays anglo-saxons et particulièrement aux États- Unis- qui ressemble à une véritable résurrection de l´œuvre d´un écrivain. Ce n´est pas tout facile dans ce genre de phénomène de déceler les véritables raisons d´une telle réussite, si tant est qu´il n´y ait qu´une seule raison ce qui serait déjà fort discutable. À mon avis, s´il ne fait aucun doute que Suite Française aura été le déclic, on peut penser que l´œuvre de Irène Némirovsky a la faculté rare de nous élucider mieux que beaucoup de livres d´histoire- n´en déplaise aux historiens, catégorie professionnelle que je tiens en haute estime –sur la psychologie, les tourments, les désarrois et les caractéristiques majeures de la société française et européenne de l´entre-deux-guerres. Irène Némirovsky interrogeait les caprices et les aléas du destin, disséquait les méandres de la psychologie humaine, brossait des portraits admirables sur des figures qui défiaient leur propre destinée. Des gens abîmés, voulant échapper à toute malédiction mais ne pouvant en même temps qu´y succomber. Pourtant, comme l´a si bien écrit Muriel de Brusle dans un texte paru en 2000« Si elle observe, Irène Némirovsky ne juge pas. Elle se sert de l´écriture pour livrer dans une langue enchanteresse le fruit de ses interrogations, laissant au lecteur le soin de détecter dans l´ambiguïté des personnages, la part de responsabilité, la part de justification»(2). La galerie de personnages est assez variée : on y côtoie des membres de la haute finance, des bourgeois en déroute, des hommes et des femmes ruinés, des actrices de cabaret et des gens modestes qui mènent banalement leur vie en la nourrissant souvent de rêves de grandeur. Il y a comme un ton russe qui émaille les romans et nouvelles de Irène Némirovsky d´un réalisme qui touche le cœur des lecteurs. Robert Brasillach avait vu juste quand il avait dit un jour que Irène Némirovsky avait réussi le prodige de faire passer l´immense mélancolie russe sous une forme française.
En lisant les livres d´Irène Némirovsky on ne peut avoir que deux seuls regrets : que la barbarie nazie, ennemie comme toute barbarie de l´intelligence et de la pensée libre et indépendante, ait interrompu la brillante carrière d´un écrivain (un des nombreux écrivains qui ont péri aux mains des bourreaux du Troisième Reich) et que l´État français n´ait pas compris en 1935 lorsqu´on a refusé la nationalité française à Irène Némirovsky que mérite d´être français celui qui porte la France dans le cœur, qui glorifie la langue française et qui épouse sa tradition et ses valeurs universelles. Ils sont peut-être plus dignes d´être Français que beaucoup d´autres, nés sur le sol français…

(1) Suite francesa, aux éditions Dom Quixote. Remarquable traduction et préface de Carlos Correia Monteiro de Oliveira.


(2) On peut lire le texte complet de Muriel du Brusle sur le site www.parutions.com