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Féru de littérature française et étrangère, ma plume sévit dans diverses colonnes de journaux, de sites internet pour partager ce goût qui m´anime. Que détracteurs ou admirateurs n´hésitent pas à réagir à mes chroniques.

mardi 24 février 2009

Chronique de mars 2009

André Pieyre de Mandiargues.
André Pieyre de Mandiargues et Bona Tibertelli.



André Pieyre de Mandiargues ou l´art de la jouissance.



Quand l´idée m´est venue à l´esprit d´évoquer, dans ces chroniques mensuelles, la vie et l´œuvre d´André Pieyre de Mandiargues, à l´occasion du centenaire de sa naissance, j´ai dans un premier temps pensé à un tout autre titre pour cet article. Le titre porterait sur l´art de l´érotisme qui a souvent atteint des sommets dans les récits, nouvelles, contes ou des fictions tout court de cet auteur secret et rare. On aurait pourtant mis sous le boisseau des pans entiers de son œuvre riche et singulière qui a toujours été placée sous le signe de la jouissance, qu´elle fût érotique ou non.
Né le 14 mars 1909 à Paris, André Pieyre de Mandiargues était issu d´une famille protestante, d´origine languedocienne par son père et normande par sa mère. Cependant, il a éprouvé dès l´enfance une énorme répugnance à l´égard de la philosophie austère et corsetée de ce milieu bourgeois et calviniste dans lequel il était élevé. Comme nous le rappelle l´écrivain franco-argentin Hector Bianciotti dans son livre Une passion en toutes lettres (1), Mandiargues voyait dans l´oisiveté une sorte de stoïcisme, sinon même un véritable héroïsme. Or la mort de son père au début de la première guerre mondiale lui a permis des années plus tard quand il eut atteint la majorité de recevoir l´héritage qui lui était dû, le délivrant en quelque sorte de soucis financiers et lui ouvrant la voie à l´accomplissement de son idéal. Il fut un élève médiocre, s´excusant de son bégaiement pour ne pas être interrogé dans les cours, peut-être parce que dans l´enseignement traditionnel de l´époque il n´y avait pas de place pour les enfants à l´imagination et à la curiosité pétillantes et qui aimaient les reptiles ou les batraciens. En évoquant un jour son enfance à Dieppe, en Normandie, il se disait «l´enfant des vagues et du cri des mouettes», c´est dire comment son harmonie avec la nature a façonné sa personnalité.
Au début des années trente, dans ce Paris en proie, comme les autres grandes capitales, à la crise économique et sociale que l´on sait, Mandiargues, rétif à toute idéologie (il s´est toujours prévalu de n´avoir jamais voté et sa seule incursion, aussi subtile fût-elle, dans le monde de la politique fut quand il a pris parti contre la guerre d´Algérie et manifesté de la sorte sa sympathie à l´égard du parti communiste, le seul parti français qui n´eût jamais été impliqué dans le carnage algérien de quelque forme que ce fût), Mandiargues, donc, a consacré le plus clair de son temps à fréquenter les milieux littéraires et surtout artistiques de la ville lumière. À cette époque, il s´était déjà lié d´amitié avec Henri Cartier- Bresson et du cercle de ses intimes ont commencé de faire partie des peintres comme Leonor Fini,Leonora Carrington, Max Ernst et Lanza del Vasto. Il a aussi beaucoup voyagé surtout en Europe et dans l´Orient méditerranéen, et s´est passionnément livré à l´étude de la civilisation étrusque.
Son goût inné des sensations l´a inévitablement poussé vers la littérature. En 1943, encouragé par son amie Leonor Fini, il a publié à Monte Carlo,où il s´était réfugié pendant la guerre, à compte d´auteur, son premier livre Dans les années sordides, des poèmes en prose, où percent déjà les obsessions et les caractéristiques qui ont modelé son œuvre. Salah Stétié aura donné à mon avis une des meilleures définitions de l´œuvre mandiarguienne(2): «André Pieyre de Mandiargues se situe au cœur d´un blason baroque qui s´ouvre des poètes élisabéthains au surréalisme, du dolce stil nuovo au romantisme allemand. Chez lui se réconcilient le rêve méditerranéen et le songe nordique, au soleil noir étincelant d´Eros.» Baroque, Mandiargues l´est surtout pour le goût du paradoxe, de la parole fusant en cascade, la jouissance des images de la vie en leur désordre. En ceci, Mandiargues emprunte à l´univers élisabéthain aussi bien qu´au siècle d´or espagnol. Surréaliste, il l´est pour le goût de la provocation, mais le surréalisme, pour lui, c´était avant tout André Breton. Tout en restant fidèle aux grands noms de la mouvance surréaliste, son œuvre s´est essentiellement développée en marge de cette école littéraire, malgré ses indiscutables affinités spirituelles et idéologiques avec le groupe. Ceci dit, certains critiques et spécialistes ne cessent de mettre en exergue les caractéristiques rapprochant l´œuvre mandiarguienne du surréalisme et l´auteur est souvent classé comme surréaliste. On doit ajouter, par ailleurs, qu´il a parfois revendiqué lui-même cette filiation. Quoi qu´il en soit, on ne peut passer sous silence bien entendu l´originalité des fictions de Pieyre de Mandiargues et surtout le rôle du fantastique dans ses récits. Dans une préface qu´il a rédigée pour le roman L´araignée d´eau de Marcel Béalu, Mandiargues a défini le secret de la littérature fantastique : «cette aptitude à saisir tout de suite le lecteur et à le mener tout naturellement avec soi jusque dans le climat du surnaturel».Tout en reconnaissant l´existence de plusieurs filiations dans ce que l´on a communément dénommé la littérature fantastique, Mandiargues prise surtout le fantastique rattaché au merveilleux romantique des textes gothiques. On le remarque dans certains récits de Musée noir (1946) et Le Soleil des Loups (1951). La rencontre et la coïncidence sont deux des véritables caractéristiques des récits fantastiques, mais toujours liées au désir et à la transgression. Dans Le sang de l´agneau, première fiction du recueil de nouvelles Le Musée noir, Mandiargues nous raconte l´histoire de Marceline, une adolescente de quatorze ans, qui a pour animal favori un lapin dénommé Souci avec lequel elle se livrait à des caresses innocentes. Un jour, l´animal lui est servi par ses parents, dans un repas, à son insu. L´adolescente, poussée par la rage, quitte nuitamment sa maison et se réfugie au cabaret Corne de Cerf où elle rencontre un boucher noir qui l´emmène dans sa tanière où elle ne peut cacher son effarement devant le spectacle qui se présente devant elle : une foule d´agneaux écorchés. La jeune fille plonge dans une rêverie et à son «réveil», elle se rend compte que le boucher s´est pendu. Marceline prend alors le couteau du boucher, rentre chez elle et égorge ses parents. Le meurtre est pourtant imputé au boucher qui se serait donc suicidé par la suite. Marceline, orpheline, est recueillie par des religieuses. La femme- qui a une importance capitale dans l´œuvre de Mandiargues- joue ici le rôle de manipulatrice. Tantôt perverse, tantôt candide, parfois perversement candide, elle n´est ni innocente ni naïve ; elle n´est surtout pas une victime livrée aux regards ou aux appétits lubriques comme, par exemple, Justine, héroïne de Sade.
La femme, omniprésente donc, nous renvoie à l´érotisme, un des thèmes fondamentaux, comme je l´ai écrit plus haut, des fictions de Mandiargues. L´érotisme, Mandiargues le concevait comme un art, peut-être quasiment une ascèse. Si l´on excepte la fantaisie, frôlant peut-être la pornographie, du récit L´Anglais décrit dans le château fermé, qu´il avait d´abord publié sous pseudonyme (et qu´il priait les lecteurs de considérer comme une sorte de corrida),l´érotisme chez Mandiargues était souvent un érotisme subtil, sophistiqué,voire puritain comme dans Le deuil des roses,première nouvelle du recueil homonyme où quatre jeunes et jolies Japonaises enlèvent un Parisien en pleine rue pour en faire le spectateur d´une étrange et somptueuse représentation funèbre. Dans la quatrième de couverture de ce livre, paru en 1983 aux éditions Gallimard comme d´ailleurs la plupart des œuvres de cet écrivain (3), on y écrit : «Une certaine complicité avec Sade et Mishima n´empêche pas que Pieyre de Mandiargues ressemble avant tout à lui-même.» On a vu juste. Mandiargues, malgré les diverses sources où il a puisé son inspiration, a su construire une œuvre pure et d´un raffinement assez rare. Dans la poésie, domaine où il a tout autant excellé, on retrouve cette voix personnelle qui nous permet de reconnaître son empreinte dès la lecture des premiers vers. L´Age de craie, L´Ivre œil, Passage de l´Egyptienne,Astyanax et Gris de Perle comptent parmi les titres de ses livres ou recueils de poésie où l´on côtoie des spectres et autres créatures réelles ou fictives, des femmes bien sûr, des allusions à la peinture et des réflexions sur la poésie. Du recueil, L´Ivre œil, je me permets d´en reproduire un petit poème (Pouvoir poétique) daté du 24 novembre 1971 :


Parviendrais-tu à retirer
Ta mort de ton futur flou
Pour l´inscrire avec éclat
Au plus bas fond de ton passé
Alors tu ne mourrais plus
Poète et ton clair présent
Persisterait dans le temps même
Où le temps désintégré
Se fera le grand miroir
De la fin de l´éternel.

Si Mandiargues n´a jamais été un auteur particulièrement populaire, il s´est fait connaître un peu plus du grand public avec ses deux romans écrits dans les années soixante, La Motocyclette qui a raté d´un cheveu le Goncourt en 1963 et La Marge qui en 1967 remportait finalement le prix qui lui avait échappé quatre ans auparavant et dont Walerian Borowczyk a tiré un film en 1976, avec Sylvia Kristel, qui n´a pas déplu à Mandiargues mais qui à mon avis est une adaptation très pâle du roman. La Marge raconte l´histoire d´un homme se retrouvant«en marge de sa vie» après avoir vécu un terrible choc affectif. À Barcelone, il prend conscience de la situation tragique du peuple catalan en se promenant dans le sordide quartier de la prostitution. Il y a encore une fois une femme dans l´histoire, tout comme dans la dernière fiction de Mandiargues, Tout disparaîtra(1987), où l´on met en scène l´incarnation théâtrale d´un certain éternel féminin. Une de ses figures féminines les plus éclatantes est néanmoins celle de sa pièce de théâtre Isabella Morra, inspirée dans la vie d´une jeune poète du seizième siècle,assassinée à vingt-six ans par ses propres frères pour laver l´honneur de la famille. Malheureusement, ce titre est épuisé depuis plusieurs années.
La fréquentation des écrivains et des peintres et sa curiosité inassouvie pour les arts et les lettres ont également fait de Mandiargues un admirable critique. Dans les quatre tomes du Belvédère, se trouvent rassemblés la plupart de ses articles et réflexions sur la peinture et la littérature et le premier tome inclut un des textes les plus brillants de l´auteur Les Monstres de Bomarzo, sur les grands monuments bizarres qui se trouvent en Italie, non loin d´Orte, dans la province de Viterbe. On ne saurait oublier, dans le registre des arts, ses livres Le cadran lunaire et encore Arcimboldo le merveilleux, sur le peintre milanais du seizième siècle, en collaboration avec Yasha David.
Dans ses écrits, il y est souvent question de l´Italie. C´était une grande passion de l´écrivain et s´il a connu de nombreuses femmes dans sa vie, il ne se sera épris que d´une seule, Bona Tibertelli, une Italienne justement, nièce de son grand ami le peintre et poète Filippo de Pisis. Bona était elle aussi peintre ou peintresse dans le néologisme évoqué une fois par Mandiargues qui l´a épousée à deux reprises. De leur relation est née une fille Sybille et Mandiargues n´a jamais caché que Bona- à qui il a dédié plusieurs poèmes- a véritablement été sa muse. Hector Bianciotti rappelait dans le livre cité plus haut une phrase où Mandiargues exprimait l´émerveillement qu´il avait ressenti après avoir vu Bona pour la première fois:«J´eus l´impression qu´une grande fleur,une sorte de pensée brune et mauve, immense, s´était ouverte devant moi,pour moi peut-être.»
André Pieyre de Mandiargues est décédé à Paris le 13 décembre 1991, à l´âge de 82 ans. Quoiqu´il n´eût jamais cessé d´être après sa mort ce qu´il avait toujours été pendant sa vie, à savoir un auteur culte, l´intérêt autour de son œuvre ne s´est pas estompé. Le mois dernier, les éditions Gallimard ont republié dans la collection Quarto les nouvelles de l´écrivain- centenaire oblige- et d´autre parutions sont prévues pour l´année en cours. Quand au rôle de Mandiargues dans l´histoire de la littérature française du vingtième siècle, le moins que l´on puisse dire c´est qu´il ne fait pas l´unanimité. Si on loue souvent son style, ce n´est parfois que pour amenuiser l´importance du contenu. Quoi qu´il en soit, il s´agit d´un écrivain singulier et dont l´œuvre est assez exigeante- contrairement à ce que l´on eût pu supposer-, sans concessions à la facilité et d´un raffinement qui ne cesse de nous éblouir.


(1) Publié en 2001 chez Gallimard, il s´agit d´un recueil d´articles parus auparavant au Monde et au Nouvel Observateur.

(2)Salah Stétié,Mandiargues,éditions Seghers,Paris,1978.

(3)Outre Gallimard,il y a des œuvres de Mandiargues publiées chez d´autres éditeurs, notamment Grasset, Robert Laffont et Fata Morgana.

jeudi 12 février 2009

Hommage à Julio Cortázar



«C´est peut-être le premier écrivain latino-américain qui ait crée une métaphysique moderne». Cette affirmation de Luis Harss dans son livre Los nuestros sur l´histoire du boom littéraire latino-américain des années soixante du vingtième siècle –et reproduite aujourd´hui par Juan Cruz dans les colonnes de El País –traduit on ne peut mieux l´importance de l´Argentin Julio Cortázar dans l´histoire de la littérature en langue espagnole du siècle précédent. Je me rappelle encore à ce jour l´émerveillement que j´ai éprouvé, au début des années quatre-vingt-dix, en lisant, en version originale, son chef d´œuvre Rayuela(Marelle en français), publié pour la première fois en 1963.
Né le 26 août 1914 à Bruxelles où son père exerçait des fonctions diplomatiques, Cortázar est décédé à Paris le 12 février 1984. Cette année, alors que l´on signale le vingt-cinquième anniversaire de sa mort, beaucoup de manifestations culturelles –dans son pays et ailleurs - glorifient l´œuvre de ce génie des lettres argentines. Pourtant, le plus grand hommage que l´on puisse rendre à Julio Cortazár, c´est de continuer à lire ses œuvres, non seulement Rayuela, mais aussi El libro de Manuel, Los cronopios, Los premios, 62 Modelo para armar, Queremos Tanto a Glenda et tous les contes et autres livres qui ont fait la réputation de ce grand nom de la littérature du vingtième siècle.