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Féru de littérature française et étrangère, ma plume sévit dans diverses colonnes de journaux, de sites internet pour partager ce goût qui m´anime. Que détracteurs ou admirateurs n´hésitent pas à réagir à mes chroniques.

samedi 29 novembre 2008

Chronique de décembre 2008






Rodolfo Walsh, « les fusillés vivants» et le journalisme militant.



L´écrivain et journaliste argentin Rodolfo Walsh n´a jamais pu oublier la soirée du 18 décembre 1956. C´est dans un bar de La Plata, un quartier populaire de Buenos Aires où les chalands s´amusaient d´habitude à jouer aux échecs, qu´un ami lui a livré un petit secret sous la forme d´une phrase on ne peut plus bizarre qui allait changer sa vie et sa carrière journalistique : «Il y a un fusillé vivant» ! Trois jours plus tard, il avait rendez-vous avec Juan Carlos Livraga qui était non pas le fusillé vivant, mais tout bonnement un des fusillés vivants puisqu´il y en avait d´autres !
L´histoire s´était amorcée le 9 juin 1956 lors d´une tentative avortée de coup d´état, perpétrée par des partisans de Perón, sous la baguette du général Juan José Valle, contre le régime militaire argentin. Après que l´insurrection fut matée, le gouvernement en place- celui de la Revolución libertadora, commandé par le général Pedro Eugenio Aramburu - sous couvert de la loi martiale, a procédé à de nombreuses arrestations parmi lesquelles celles de civils apolitiques qui s´étaient rassemblés en un appartement du quartier de Florida, à Buenos Aires, pour écouter, dans leur grande majorité, un combat de boxe à la radio. Ces arrestations étaient néanmoins illégales puisque ces civils ont été détenus avant la promulgation du décret et l´annonce publique de l´instauration de la loi martiale. Sans qu´on leur eût donné la moindre explication, ils furent emmenés, six heures plus tard, près d´un dépôt d´ordures de la localité de José Léon Suárez, dans la province de Buenos Aires, pour y être fusillés. Des douze «condamnés» cinq sont effectivement morts -Nicolás Carranza, Francisco Garibotti, Carlos Alberto Lizaso, Mario Brión et Vicente Damian Rodriguez- mais sept autres sont miraculeusement parvenus à survivre à la fusillade : Horacio Di Chiano, Miguel Angel Giunta, Rogelio Díaz, Norberto Gavino, Julio Troxler, Reinaldo Benavidez, outre, bien entendu, Juan Carlos Livraga. Ils ont pu échapper à la mort soit parce que les coups de fusil ne les ont pas atteints soit grâce à un extraordinaire coup de pouce. Pourtant ils n´ont pas tous connu le même sort : Di Chiano est sorti indemne de la fusillade sans aucune égratignure ; Livraga, Giunta et Díaz ont été à nouveau emprisonnés pendant quelque temps alors que Gavino, Benavídez et Troxler(qui serait assassiné, pour des raisons politiques, deux décennies plus tard, en 1974) sont partis en exil en Bolivie.
Rodolfo Walsh, après avoir pris contact avec Livraga, a mené l´enquête, reconstitué les événements de la soirée, mis en échec, témoignages à l´appui, la version officielle des faits et il a ainsi pu écrire un livre intitulé Operación Masacre(Opération Massacre) qui a inauguré un nouveau style journalistique : le journalisme d´investigation ou journalisme –enquête neuf ans avant le livre communément considéré comme le précurseur de ce nouveau genre : Cold blood (De sang froid) de l´écrivain américain Truman Capote. Rodolfo Walsh a eu, cela va sans dire, du fil à retordre pour convaincre les gens de la véracité de son récit. Dans un premier temps, la presse a d´ailleurs purement et simplement ignoré les événements. La première nouvelle n´a vu le jour que le 23 décembre 1956 quand Leónidas Barletta a décidé de publier dans son journal Propósitos le témoignage de Juan Carlos Livraga, grâce- on le sait aujourd´hui- à la persévérance de Walsh. Les premiers reportages, Walsh les a publiés dans le journal Revolución Nacional, puis dans le magazine Mayoria, des frères Tulio et Bruno Jacovella, avant de les rassembler en un livre de plus de deux cents pages paru chez la maison d´édition Sigla en 1957. Le livre a connu plusieurs rééditions, revues et augmentées, jusqu´à la dernière en date- il y a de cela deux mois- chez 451 editores en Espagne qui reprend l´édition définitive, mise à jour en 1972. Si d´une part l´enquête de Walsh n´a pas produit en quelque sorte, les résultats escomptés, puisque aucun responsable- fût-il militaire ou civil- ne fut jamais traduit en justice, d´autre part son livre a connu un énorme retentissement et a marqué un tournant dans l´histoire du journalisme argentin. En 1972, Jorge Cedrón en a tiré un film et, il y a quelques années, avec plus de quatre décennies de retard, l´État argentin a pu finalement rendre un hommage posthume aux fusillés du 9 juin 1956.
L´ironie du sort a voulu que Rodolfo Walsh fût lui aussi victime d´une mort atroce.
Cet écrivain et journaliste tenace et militant était né en 1927 à Choele Choel, un petit village de la province patagonique de Río Negro, issu d´une famille d´ascendance irlandaise. À l´âge de dix-sept ans, il a commencé à travailler dans une éditoriale à Buenos Aires, d´abord comme correcteur, puis comme traducteur de polars. Jusqu´à la parution du polar Variaciones en rojo(1953) , il a mené une vie plutôt discrète, publiant ici ou là de petits récits, contes ou reportages. Après le livre- enquête sur les événements du 9 juin 1956, il est devenu un journaliste respecté et un remarquable écrivain. Parmi ses principaux titres, on compte Diez cuentos policiales, Granada et Batalla(deux pièces de théâtre) Quién mató a Rosendo ?et Caso Satanovsky(deux enquêtes selon le modèle d´Operación Masacre)Los oficios terrestres(Les métiers terrestres,apparemment un des rares livres de l´auteur traduits en français, dont il existe une édition de 1990 chez Découverte) et Un kilo de oro. Ces deux derniers livres sont considérés par nombre d´observateurs comme deux des meilleurs recueils de contes de la littérature argentine. Mais Rodolfo Walsh concevait le journalisme comme un métier militant et son activisme politique est devenu très incisif dès la parution de Operación Masacre et surtout à partir des années soixante où il a fondé à La Havane l´Agencia de Prensa Latina. De retour en Argentine, il s´est engagé en des causes sociales et politiques. En 1970, il a fait une déclaration qui attestait sa lucidité et confirmait à ceux qui ne voulaient pas l´entendre de cette oreille que Rodolfo Walsh n´ignorait pas que si journalisme et littérature faisaient bon ménage, les différences entre les deux genres étaient notoires lorsqu´il s´agissait de choisir celui qui se prêtait le mieux au combat politique : « La dénonciation traduite dans l´art du roman devient inoffensive, c´est-à-dire se sacralise en tant qu´art, alors que le document, le témoignage, admet tout degré de perfection. Dans le travail d´investigation, s´ouvrent d´immenses possibilités artistiques.»
Poussé par le désir d´aider les laissés–pour-compte, Rodolfo Walsh s´est enrôlé en des combats aux méthodes fort discutables à la lumière de ce que nous concevons aujourd´hui comme instruments de contestation devant l´injustice et les inégalités sociales, mais qui à l´époque étaient dans l´esprit du temps et tolérés comme des mouvements légitimes de prise de pouvoir par une grande partie de l´intelligentsia de gauche sud-américaine. Au début des années soixante-dix (peut-être un peu avant), il a rejoint les Forces Armées Péronistes et puis a adhéré à l´organisation Montoneros(1) où il a fondé le quotidien Noticias. Plus tard, en 1976, après le coup d´État de Videla et ses pairs, il a créé l´Ancla(agence clandestine de nouvelles). En cette même année, le malheur s´est abattu sur sa vie: sa fille Vicky(2), guérillero elle aussi du mouvement Montoneros, mourait en un combat contre l´Armée en se tirant un coup de revolver sur la tête aux cris de «Vous ne nous tuez pas, nous avons choisi nous-mêmes la mort.» Plongés dans la consternation, Rodolfo Walsh et sa femme Lilia se sont retirés dans la petite ville de San Vicente où le journaliste militant a commencé à préparer, de sa plume acérée et percutante, une lettre ouverte- à envoyer à la presse- adressée à la junte militaire de Videla et ses sbires. Dans cette lettre qu´il a mise à la poste le 25 mars 1977, le jour du premier anniversaire du coup d´Etat, il dénonçait les crimes, les tortures et les camps de concentration de la dictature et interpellait les Militaires sur les disparus.
On a souvent affirmé que c´est cette lettre qui aurait provoqué sa mort –le jour même de l´envoi de la lettre- mais on sait aujourd´hui que quand les militaires ont tiré sur lui ils ignoraient encore qu´il avait écrit la lettre.
Plus de trente ans après sa mort, Rodolfo Walsh reste dans mémoire de ceux qui l´ont connu comme un homme anticonformiste et persévérant, ne reculant devant aucun écueil. Pour l´histoire du journalisme et de la littérature argentine, il est celui qui a honoré son métier et qui a fait de sa plume une arme contre l´injustice et la quête de la vérité.
D´aucuns- comme je l´ai insinué plus haut- considèrent Rodolfo Walsh comme le précurseur du journalisme d´investigation, devançant de huit ans, avec Operación Masacre le célèbre Cold Blood de Truman Capote. Mais Rodolfo Walsh n´en avait cure, il n´a jamais réclamé ce titre un tant soit peu honorifique. Indirectement, à travers le brillant Operación Masacre, et sans probablement s´en rendre compte, il aura accompli- comme certains observateurs l´ont d´ordinaire rappelé- un de ses rêves : écrire des polars pour les pauvres…


(1)Les Forces Armées Péronistes et Les Montoneros étaient des mouvements de guérilla. Le premier a été fondé en 1968 et s´est fragmenté vers le milieu des années soixante-dix en des groupuscules peu expressifs. Les Montoneros, mouvement atypique mélangeant, en quelque sorte, péronisme et castrisme, a vu le jour en 1970, est devenu clandestin en 1974 et aura disparu en 1979. L´enthousiasme de Walsh se serait estompé vers 1974 et il se serait un peu détourné de l´organisation. Certaines voix lui imputent à blâme d´être le mentor de quelques actions violentes perpétrées par les deux organisations, ce que l´on n´a jamais pu prouver.


(2) Vicky était le diminutif de Maria Victoria. L´autre fille de Rodolfo Walsh, Patricia, vit toujours et elle est une femme politique.

P.S- Pour écrire cet article j´ai consulté plusieurs sources dont je me permets de relever l´article de Leila Guerreiro, «Rodolfo Walsh, ó como no ser un hombre qualquiera.», paru dans l´édition du 1er novembre 2008 du quotidien espagnol El País, et, sur internet, les sites argentins www.rodolfowalsh.org et www.literatura.org. Sur ce dernier site, on pourra lire aussi la lettre ouverte adressée par l´auteur à la junte militaire.
On pourra trouver aussi des textes de et sur Rodolfo Walsh dans l´excellente revue Cultures et Conflits(http://conflits.org).

L´enlèvement de Haroldo Conti



L´écriture du texte que vous venez de lire sur Rodolfo Walsh m´a rappelé un autre article que j´avais publié en avril 2006, sur le site de la Nouvelle Librairie Française de Lisbonne, sur un autre écrivain argentin,Haroldo Conti, enlevé par la dictature de Videla. Il est temps de le reproduire ici.


«En lisant, tout récemment, l´article de Horacio Castellanos Moya «La guerra : un largo paréntesis» («La guerre : une large parenthèse») publié, en septembre 2004, dans le magazine Letras Libres (http://www.letraslibres.com/), sur le combat des intellectuels latino-américains contre les dictatures militaires dans les années soixante-dix, nous avons constaté que l´écrivain salvadorien, entre autres épisodes, y faisait allusion à la disparition de l´Argentin Haroldo Conti, enlevé dans la nuit du 5 mai 1976, par les sbires de Videla, le chef de la junte militaire qui avait pris le pouvoir en Argentine.
Haroldo Conti, né en 1925, était un auteur fort prestigieux, surtout après qu´on lui eut décerné en 1975 le prix littéraire Casa de las Américas pour son roman Mascaró, el cazador americano (Mascaró, le chasseur américain), un énorme succès, porté à l´écran, quinze ans après la disparition de l´écrivain, par le cinéaste cubain Constante Diego. Presque par hasard, nous avons découvert sur le site http://www.literatura.org/, le témoignage de sa femme, Marta Scavac, sur la nuit de l´enlèvement, confié à la revue Crisis en avril 1986.
Ce jour-là, Haroldo et Marta rentraient du cinéma dans la soirée. À peine eurent-ils franchi la porte de leur maison qu´une dizaine d´hommes se sont abattus sur eux, les rouant de coups. Dans un premier temps, Marta a cru à une simple attaque d´une bande de délinquants qui auraient cambriolé leur maison. Pourtant, petit à petit, elle s´est aperçue qu´il s´agissait d´une affaire bien plus sérieuse (Les hommes appartenaient, en fait, au bataillon 601 de l´armée argentine). Un des membres du groupe, un homme plus poli que les autres, a commencé par lui poser une question énigmatique : «Madame, comment une femme de classe, comme vous, a-t-elle pu se laisser embarquer dans une pareille affaire ?». Après que Marta eut manifesté son effarement devant une telle question, l´homme a renchéri : «Nous sommes en guerre, madame. Ou bien nous vous tuons ou bien vous nous tuez». L´homme a alors assailli Marta d´une foule de questions concernant des séjours à Cuba, les liaisons politiques de son mari et sur le jeune décorateur qui était temporairement logé chez eux et que l´on accusait d´être un guerrillero. L´homme a également fait référence au dernier livre de Haroldo Conti, cité plus haut, et que les militaires tenaient pour un livre subversif. Le cauchemar allait encore durer. Pieds et mains liés, Marta était coincée dans ses mouvements et, de temps à autre, elle entendait son bébé qui pleurait, s´inquiétant aussi sur le sort de sa fille (la petite avait été endormie au chloroforme). Au bout de quelques instants, elle s´est rendu compte qu´on allait bel et bien enlever Haroldo. À peine leur a-t-on laissé le temps de se dire au revoir (ou plutôt adieu). Avant de partir, les sbires des militaires argentins ont sérieusement averti Marta : «Tu ne vas surtout pas essayer de t´échapper. Une voiture restera devant ta porte et si tu mets ta tête dehors, tu seras foutue», et, dans un raffinement de cruauté, ils se sont même permis de menacer Marta, lui braquant un revolver sur la nuque : «Ne bouge pas, ne bouge pas». À six heures du matin, Marta a osé mettre sa tête dehors et n´a trouvé aucune voiture dans les alentours. Avec ses enfants, elle a décidé de sortir pour se rendre chez ses parents. C´était un matin gris et pluvieux et, après avoir longuement marché, ils ont finalement aperçu un taxi. Marta était sans le sou, mais le chauffeur, dans un geste d´une rare solidarité, lui a répondu : «Madame, je travaille la nuit et chaque jour je vois des cas comme le vôtre. Je vous emmène où que ce soit». Marta n´a pas payé la course et, une fois arrivés chez ses parents, le chauffeur lui a posé une dernière question : «En quoi puis-je encore vous aider, madame ?»...
Le corps de Haroldo Conti n´a jamais, paraît-il, été retrouvé, comme d´ailleurs celui de milliers d´autres argentins qui ont péri sous la botte de ces militaires fanatiques et hideux qui ont semé la terreur entre 1976 et 1983, en torturant, en enterrant des corps dans des cimetières clandestins ou en les jetant à la mer, en arrachant des enfants à leurs familles. Ces fascistes abjects ont poussé la cruauté jusqu´à faire adopter des bébés par les tortionnaires et les meurtriers de leurs propres parents. Espérons qu´un jour toute la lumière sera enfin faite sur cette période sombre de l´histoire argentine.»



P.S. : À nos lecteurs qui comprennent bien la langue espagnole, nous leur conseillons la lecture du témoignage intégral de Marta Scavac (La noche del secuestro) que l´on peut consulter sur le site que nous avons cité dans notre article.

lundi 10 novembre 2008

Les quatre-vingts ans de Carlos Fuentes.


Ce mardi, 11 novembre, on fête un peu partout le quatre-vingtième anniversaire de l´écrivain mexicain Carlos Fuentes, un des noms les plus réputés de la littérature contemporaine. Des hommages lui ont été rendus, des conférences et des colloques sur son œuvre immense sont promus depuis plusieurs mois, témoignant de l´importance et du prestige indiscutable dont jouit Carlos Fuentes dans le monde entier et particulièrement dans les pays de langue espagnole. Depuis son premier livre La region más transparente, publié en 1958 jusqu´à son dernier roman La voluntad y la fortuna, paru en Espagne chez Alfaguara le 8 octobre, toute une foule de titres-La muerte de Artemio Cruz, Cambio de Piel, Terra Nostra, La frontera de cristal,Los años con Laura Diaz, entre autres- ont contribué à consolider Carlos Fuentes comme un des tout premiers écrivains latino-américains de sa génération.
Admirateur de son œuvre, je ne puis m´empêcher de saluer dans ce petit espace consacré à la littérature ce grand écrivain et de m´associer à toutes les commémorations de son quatre-vingtième anniversaire.

Le prix Goncourt a été attribué aujourd´hui à Atiq Rahimi.




Atiq Rahimi, une voix universelle.



On ignore les raisons qui auraient poussé Atiq Rahimi, dans son dernier roman, à troquer sa langue maternelle, en l´occurrence le persan, contre le français, la langue certes de l´exil, mais, en même temps, une langue qui n´avait plus de secret pour lui, avant qu´il n´eût décidé de vivre en France, puisqu´il l´avait jadis étudiée au Lycée français de Kaboul, en Afghanistan. Quoi qu´il en soit, c´est un honneur pour la langue française qu´un écrivain de cette trempe l´eût choisie comme moyen d´expression de son art.
Né en 1962, Atiq Rahimi est issu d´une famille de classe moyenne francophile, ayant donc grandi dans un milieu où la littérature et les arts jouaient un rôle important dans l´éducation des jeunes. Mais la personnalité d´Atiq Rahimi s´est épanouie à une époque où son pays, l´Afghanistan, a été secoué par toutes sortes de convulsions, de l´occupation soviétique à la fin des années soixante-dix à l´écroulement de l´empire soviétique, puis à l´irruption du mouvement taliban, l´expression la plus achevée, médiévale et sauvage de l´intégrisme musulman. Ces derniers événements, Atiq Rahimi les a vécus, loin de sa patrie, puisque la guerre l´avait poussé à s´installer dès 1984 au Pakistan et à demander plus tard l´asile politique en France où il a suivi un doctorat dans le domaine de l´audiovisuel à la Sorbonne. De toute façon, la sombre réalité de son pays n´en a pas moins nourri son œuvre.
En 2000, il a publié son premier livre Terre et cendres. De ce livre, on a tiré plus tard un film, dont le scénario a été écrit par Atiq Rahimi lui-même. Le film a fait partie de la sélection du festival de Cannes 2004, dans la rubrique «Un certain regard».En 2002, paraissait son deuxième livre, Les milles maisons du rêve et de la terreur, et en 2005, le troisième, Le retour imaginaire, toujours chez l´éditeur Pol.
Enfin, lors de cette rentrée 2008, Atiq Rahimi a publié son quatrième ouvrage et le premier directement écrit en français : Syngué Sabour, Pierre de patience. Dans la quatrième de couverture, l´éditeur nous explique le sens de cette expression : « Dans la mythologie perse, il s´agit d´une pierre magique que l´on pose devant soi pour déverser sur elle ses malheurs, ses souffrances, ses douleurs, ses misères…On lui confie tout ce que l´on n´ose pas révéler aux autres…Et la pierre écoute, absorbe comme une éponge tous les mots, tous les secrets jusqu´à ce qu´un beau jour elle éclate…Et ce jour-là on est délivré.»
Ce roman raconte l´histoire d´une femme afghane, de celles qui honorent leur condition de femmes. Elle veille son mari, un soldat d´Allah, un de ceux qui se sont laissés enivrer par l´hydre fondamentaliste. Est-il mort ? Est-il encore en vie, quoique grièvement blessé ? Toujours est-il que devant ce corps inerte, la femme égrène un chapelet de plaintes, d´interpellations à Dieu. Un flot de mots s´échappe de sa bouche, des mots exprimant sa colère longtemps rentrée, des mots d´où fuse une révolte de femme soumise à un mari tyrannique, fier de sa condition de mâle et chantre de l´obscurantisme religieux. Même à l´article de la mort, cet homme semble ne pas souffrir, comme nous le montre cet extrait de la page 34 : «L´homme ne réagit toujours pas (…) Aucune plainte. Ni dans les yeux, ni dans le souffle. «Tu ne souffres même pas ?!» Elle remet l´homme sur le dos, se penche sur lui pour le regarder dans les yeux. «Tu ne souffres jamais !tu n´as jamais souffert, jamais !» exhale-t-elle.»
Un jour, elle se fait putain, rien que pour se venger de ce mari, soldat d´Allah, pour qui le sexe ne sert qu´à assouvir son plaisir, celui de la femme ne pouvant jamais exister, ou alors si la femme ose l´exprimer, cela ne peut tenir que du domaine de la perversion.
Entre-temps, la guerre continue. Alors qu´elle veille son mari, le silence à la maison est souvent interrompu par des coups de feu, dehors…
Écrit dans une prose sobre et élégante, ce roman est un cri de liberté et un message d´amour adressé à toutes les femmes victimes de l´intolérance et du fanatisme religieux.
Cet ouvrage est aussi un exemple indiscutable de la vitalité de la littérature en langue française. C´est que, comme je l´ai déjà écrit dans ces colonnes et ailleurs, la littérature française n´est pas que la littérature produite par des auteurs nés en France. Les jurés du prix Goncourt l´ont bien compris...