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Féru de littérature française et étrangère, ma plume sévit dans diverses colonnes de journaux, de sites internet pour partager ce goût qui m´anime. Que détracteurs ou admirateurs n´hésitent pas à réagir à mes chroniques.

dimanche 23 décembre 2007

Manuel Teixeira Gomes,le voyageur solitaire(octobre 2006)


L´un des aspects les plus fascinants de la littérature c´est que la fréquentation de certains auteurs nous invite à la découverte d´autres horizons,d´autres courants et d´autres noms importants, d´ordinaire tombés dans l´oubli, ou, selon l´expression de Pinheiro Chagas,un écrivain portugais mineur du dix-neuvième siècle, «ensevelis sous la crypte de notre langue».
Quand, à la fin des années quatre-vingt,alors que j´étudiais à la Faculté des Lettres de Lisbonne, j´ai eu comme professeur de Littérature Française l´écrivain Urbano Tavares Rodrigues, je me suis rendu compte que dans sa bibliographie, il était souvent question de livres et études(dont la thèse de doctorat) sur l´oeuvre de Manuel Teixeira-Gomes.Certes, je n´ignorais pas que ce dernier avait été, pendant une courte période(1923-1925), président du Portugal et qu´il avait même des livres publiés.Pourtant, je croyais qu´il s´agissait d´un homme politique qui avait sporadiquement écrit des livres et non pas d´un esthète, à la plume incandescente, dont le sens aigu du devoir civique avait amené à côtoyer les milieux politiques dans la turbulence de la première république portugaise.
Né à Portimão, en Algarve, le 27 mai 1860, Manuel Teixeira-Gomes était un enfant de la haute-bourgeoisie provinciale.Dans sa famille, on trouvait de riches propriétaires, de prospères commerçants et un de ses ancêtres(son grand-père paternel Manuel Gomes Xavier)avait même été soldat de Napoléon, ayant combattu à Waterloo.Après avoir fait ses études primaires à Portimão, il a dû partir à Coïmbra pour y fréquenter le séminaire, une option de sa famille qui n´a fait qu´accentuer, au fil des années, ses penchants anticléricaux.Par la suite, il s´est inscrit à l´Université, mais ses études de médecine,il ne les a jamais conclues.Dans ses années de bohème à Coïmbra, à Porto et à Lisbonne, il a noué des relations qu´il a gardées tout le long de sa vie et qui lui seraient utiles dans les années qui se sont succédé à la chute de la monarchie et à l´avènement de la première république.Mais avant cette période, il a beaucoup voyagé à l´étranger(notamment comme représentant de la société d´exportation que son père avait fondée et qui s´était spécialisée, entre autres produits, dans le commerce de fruits secs) et beaucoup écrit.La politique allait toutefois l´empêcher, pendant quelque temps, de se consacrer exclusivement à sa passion littéraire.En 1911, il était appelé à la Légation Portugaise à Londres, une mission difficile étant donné que dans la vieille Albion, on se méfiait encore des révolutionnaires portugais(dans les rangs desquels les intellectuels et, en particulier, les francs-maçons jouaient un rôle prépondérant).Nous vous rappelons que la famille royale portugaise s´était justement réfugiée en Angleterre après la révolution républicaine du 5 octobre 1910.Teixeira-Gomes s´est on ne peut mieux acquitté de la tâche qu´on lui avait assignée et l´image du Portugal auprès des Anglais, considérablement ternie après la révolution, s´est redorée grâce au raffinement, à l´entregent, au tact politique de cet homme aux manières aristocratiques.Il a également exercé des fonctions diplomatiques à Madrid et auprès de la Société des Nations avant sa nomination pour la Présidence de la République.Ce fut une expérience dont il n´allait pas garder un bon souvenir.Il a souvent confié à son secrétaire, le journaliste Urbano Rodrigues(père de mon ancien professeur, l´écrivain cité plus haut) son désagrément devant l´ambiance délétère et le côté turbulent du milieu politique de l´époque.Teixeira-Gomes fut aussi victime des pires calomnies concernant sa vie privée et ses qualités en tant qu´homme politique.Las de ce milieu pourri, il a démissionné avant la fin de son mandat.Son successeur, Bernardino Machado,renversé par le coup d´état du 28 mai 1926, n´a occupé qu´une année durant la plus haute magistrature portugaise.
Pour Teixeira-Gomes, son geste de renoncement a représenté comme une libération.Il a pu voyager et poursuivre sa carrière d´écrivain.Teixeira-Gomes était avant tout, nous l´avons déjà écrit, un esthète.Tributaire d´une culture païenne et hédoniste, les beaux paysages méditerranéens sont, naturellement, au coeur de son oeuvre.Celle-ci est majoritairement composée de récits, contes,impressions de voyages, une abondante correspondance, une pièce de théâtre(Sabina Freire,dont il existe, paraît-il,une traduction française de 1972 probablement épuisée)et un roman, Maria Adelaide, où l´on nous raconte l´histoire de Ramiro d´Arge un bourgeois libertin et de sa«jeune proie »Maria Adelaide, qui n´avait que seize ans.Les femmes ont d´ailleurs joué un rôle primordial dans la vie et dans l´oeuvre de Teixeira-Gomes. Il ne s´est jamais marié, mais il a eu une relation avec une dame de condition modeste,Belmira das Neves, qui lui a donné deux filles.Ses aventures amoureuses, notamment avec de jeunes femmes à peine arrivées à l´âge adulte, parfois même des adolescentes, ont fait dire à quelqu´un, tout récemment, que, de nos jours, Teixeira-Gomes aurait peut-être été écroué pour cause de pédophilie.À part la boutade,Teixeira-Gomes était, il est vrai, un esprit supérieur qui se moquait des conventions et des bigoteries réactionnaires.Sa prose épurée,sensuelle et érotique est assez originale,quoiqu´on puisse la rapprocher un peu, par moments, de celle de Valery Larbaud(voir, par exemple,Fermina Marquez ou Amants,heureux amants) un auteur-grand voyageur lui aussi-que j´ai déjà évoqué dans une de mes chroniques.Il y a deux histoires, dans ce registre sensuel, que je me permets de relever.Dans le recueil Novelas eróticas(Nouvelles érotiques) ,la nouvelle « A cigana»( la gitane), le souvenir d´une passion à mi-chemin entre le pittoresque andalou et le genre fantastique et dans Agosto Azul(Août bleu) , le conte du même nom,où un jeune garçon assiste sidéré, dans un recoin d´une plage d´Algarve, à des attouchements entre deux jeunes filles, dans une version moderne du mythe de Sapho et Bilitis.
Pour Teixeira-Gomes l´exil volontaire allait devenir forcé,en raison de l´avènement de la dictature salazariste au Portugal, l´auteur se fixant définitivement à Bougie, en Algérie .Peu avant sa mort(en 1941), il a encore accordé une longue série d´interviews au brillant journaliste portugais Norberto Lopes,rassemblés en un livre intitulé O exilado de Bougie(L´éxilé de Bougie).
Voué aux gémonies pendant le fascisme, la démocratie portugaise issue de la révolution des oeillets a réhabilité, à juste titre, cet homme intègre qui a honoré la politique et les lettres portugaises.
Les anciens Présidents portugais Mário Soares et Jorge Sampaio se reconnaissent en la figure de ce prédécesseur.Jorge Sampaio, dans le dernier voyage officiel avant d´achever son mandat, a rendu hommage à Teixeira-Gomes, en inaugurant un monument à la gloire de l´ancien président de la république portugaise (un buste fait par Irene Vilar) à Bougie.
L´homme politique est déjà réhabilité, il faut maintenant donner à connaître l´écrivain à ceux-qui sont encore légion-qui ignorent son oeuvre.


P.S- Dans la première version de ce texte, j´ai écrit, par erreur, que Jorge Sampaio avait visité la tombe de l´écrivain à Bougie, alors que la dépouille de Teixeira-Gomes avait été transférée de Bougie au cimetière de Portimão en 1950. Jorge Sampaio s´est en fait rendu à Bougie- comme je le rectifie maintenant- pour inaugurer un buste à la gloire de l´ancien écrivain et président de la république portugaise.

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