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Féru de littérature française et étrangère, ma plume sévit dans diverses colonnes de journaux, de sites internet pour partager ce goût qui m´anime. Que détracteurs ou admirateurs n´hésitent pas à réagir à mes chroniques.

samedi 29 décembre 2007

La mort de Jaan Kross



Après Julien Gracq le 22 décembre, un autre grand nom de la littérature européenne vient de disparaître : l´Estonien Jaan Kross, décédé le 27 décembre. Je reproduis ici la critique que j´ai écrite pour le site de la Nouvelle Librairie Française, en janvier 2007, sur son dernier livre traduit en français : Le vol immobile.


«Le vol immobile»-Jaan Kross


« L´Union européenne connaît ce mois-ci un nouvel élargissement avec l´adhésion de la Roumanie et de la Bulgarie. J´aimerais bien que ceci puisse être synonyme d´un regain d´intérêt pour la culture de ces nouveaux adhérents, surtout de la Bulgarie dont on connaît si peu. C´est que deux ans et demi après le dernier élargissement, on serait en droit de se demander quels efforts on a vraiment développés pour faire connaître aux membres les plus anciens la culture de leurs nouveaux partenaires. Au Portugal, par exemple, la plupart des lecteurs n´auront probablement jamais entendu parler de cette légende vivante de la littérature estonienne qui répond au nom de Jaan Kross. Et pourtant cet écrivain balte figure depuis des années sur la liste des candidats au prix Nobel. En France, du moins est-il abondamment traduit, quoique les premières traductions de ses livres soient en ce moment, pour la plupart, épuisées.
Né en 1920, Jaan Kross fut d´abord poète et traducteur de poésie. Entre 1958 et 1969, il a publié quatre recueils qui témoignaient d´une sensibilité poétique, intellectuelle et philosophique des plus raffinées, une oasis d´originalité dans un désert soviétique où foisonnaient des platitudes. C´est que, on vous le rappelle, en ce temps-là l´Estonie, sous la botte soviétique, n´était pas indépendante. Jaan Kross, comme nombre d´Estoniens, intellectuels ou anonymes, avait d´ailleurs été condamné, à la fin de la seconde guerre mondiale et l´annexion des trois républiques baltes, à six ans de travaux forcés, d´abord dans les mines de charbon de Vorkuta, puis dans le camp de Krasnoïarsk. La littérature a donc représenté pour lui, ainsi que pour de nombreux intellectuels des pays annexés, une sorte d´exil intérieur.
Après l´expérience poétique que j´ai mentionnée plus haut, Jaan Kross s´est tourné vers le roman dès le début des années soixante-dix. Dans ce registre, il s´affirme comme un des maîtres du genre. Ses romans, nouvelles, essais et récits- une quinzaine environ, à ce jour- retracent, dans leur grande majorité, le parcours de figures importantes de l´histoire estonienne ou ayant atteint une certaine notoriété internationale, le tout transfiguré, bien entendu, par le tamis de la fiction. Dans ce cadre, son roman le plus prestigieux à l´étranger et, paraît-il, le plus traduit est Le fou du tsar (actuellement épuisé en français) où l´on connaît la vie, les splendeurs et misères du baron balte Timotheus von Bock.
En septembre dernier les éditions Noir sur Blanc de Lausanne ont mis à la disposition des lecteurs francophones, traduit par Antoine Chalvin, un nouveau livre de Jaan Kross :Le vol immobile.
Ce roman, dans la même veine des livres précédents de l´auteur, nous fait revivre les malheurs de la génération estonienne de l´entre-deux-guerres, à travers les confessions- recueillies peu avant sa mort par un ancien condisciple et ami, dans les traits duquel on n´a aucun mal à reconnaître un alter ego de l´auteur- de Ullo Paerand. Ce personnage, d´une rare intelligence, était issu de la bourgeoisie de Tallinn, sûre d´elle-même dans les toutes premières années après l´indépendance, cosmopolite et dont les membres parlaient aisément l´allemand, le russe et le français. Pourtant, la tranquillité de la famille Berends (nom que Ullo s´est fait un devoir d´«estoniser» plus tard) allait être ébranlée par le côté volage et imprudent du père d´Ullo. En fait, monsieur Berends s´éprend d´une dame norvégienne, délaissant son épouse et trempe, à un moment donné, dans des affaires suspectes. Il part vivre en Hollande et au Luxembourg et n´envoie que très sporadiquement de l´argent à sa famille, des sommes insuffisantes, par-dessus le marché, pour subvenir aux besoins de Ullo et de sa mère. Ceux-ci déménagent plusieurs fois et filent un mauvais coton. Ullo parvient quand même tant bien que mal à s´en sortir jusqu´à se faire enrôler, en adulte, dans un cabinet ministériel. Mais derrière les désarrois de Ullo Paerand, ses amourettes, ses secrets, son habileté (en élève modèle, mais nécessiteux, il rédige, contre quelques couronnes, des devoirs pour ses camarades de classe), on plonge dans le drame de toute une génération et tout un pays, tout petit, tiraillé entre deux colosses : l´Allemagne et la Russie. Les Estoniens dans les années quarante assistent impuissants successivement à l´annexion de leur pays par l´Union Soviétique, à l´occupation par les troupes hitlériennes et à la nouvelle incorporation au sein de l´URSS, devant l´indifférence, voire la complicité des Alliés occidentaux.
Lisez donc Le vol immobile, un grand roman de celui en qui des figures de proue de la littérature européenne comme Claudio Magris ou Doris Lessing reconnaissent le Thomas Mann des pays baltes.»


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